Depuis 2010, KTM travaille sur un prototype électrique. Aujourd’hui, il est commercialisé avec bonheur. Nous l’avons essayé et nous avons été conquis…
Fraülein Frida, une brune au corps sculptural comme peuvent l’être les Bavaroises, me fixe de ses beaux yeux, même pas étonnés. Je ne suis pourtant qu’à quelques centimètres d’elle, presque à la toucher sous les regards de ses amies, pas plus effarouchées, à la limite même très intéressées par mon irruption soudaine dans leur causette de cet après-midi ensoleillé. Je passe comme un ange et Frida et ses camarades reprennent leur mastication un moment interrompue par leur curiosité féminine… Sans doute les vaches (que pensiez-vous chers lecteurs?) de Saalbach, petite commune des alpes bavaroises, sont-elles habituées à côtoyer les cyclistes dévalant les pentes de cette station autrichienne dédiée corps et âme aux vélos tout-terrain, mais de là à voir apparaître une moto et rester sans réaction il y a un mystère… qui s’explique aisément.
J’ai le privilège de piloter la nouvelle KTM Freeride, avec un E comme électrique! C’est donc en mode silence, sinon accompagné d’un très léger sifflement style ventilateur, que j’accomplis l’une des nombreuses descentes aux mille virages relevés, aux petits tremplins et multiples difficultés techniques qui agrémentent les pentes de cette chatoyante vallée. Depuis ce matin, avec mes collègues journalistes venus des quatre coins d’Europe, nous les arpentons joyeusement sans aviver une quelconque fois l’ire des promeneurs. Du plaisir pour eux et leurs oreilles, du plaisir aussi pour nous de redécouvrir des endroits et des sentiers qui en d’autres circonstances nous seraient interdits. Qui plus est au guidon d’une bécane agréable qui, à l’image des précédentes de sa lignée, elles à moteurs thermiques, amalgame les qualités d’une trial avec celles d’une enduro. Je vous l’avoue franchement, au contraire de beaucoup, je n’étais pas un fan inconditionnel des premières Freerides, n’y retrouvant ni le plaisir de la conduite d’une trial ni, surtout, celle d’une enduro. La version E-XC d’aujourd’hui m’a complètement réconcilié avec le genre, peut-être parce qu’à la base, dès 2010, le châssis fut conçu pour un moteur électrique plutôt que thermique!
Une vraie moto!
Le commun des mortels ne fera pas la différence tellement est proche la conception de cette «E» d’une enduro traditionnelle. Lecteur averti, vous constaterez l’étroitesse et les formes anachroniques du moteur ainsi que la finesse d’un châssis minimal avec son arrière-cadre en polyamide et plastique ABS et cette simple lame d’alu faisant la jonction entre la poutre avant et la base des repose-pieds. Parlons-en des repose-pieds. Ils sont larges, ajustables (8mm vers l’arrière) mais un peu esseulés car ni l’un ni l’autre n’est accompagné d’un sélecteur de vitesses ou d’une pédale de frein! Pourtant il y a bien deux freins, mais la commande du disque arrière a été placée sur le côté gauche du guidon au lieu de l’embrayage. Un peu déroutant aux premiers abords comme nous le constaterons plus loin, mais vu l’œillet présent en bas du cadre, il est possible de revenir à une conception plus classique. L’absence d’échappement et de son silencieux, mais aussi de plus petits radiateurs allègent complètement la ligne de la machine. Vu d’en haut, cette moto est particulièrement fine. Rien ne dépasse ! Une sensation de finesse qu’on apprécie dès qu’on l’enfourche.
Pour le reste, on retrouve des éléments déjà découverts sur les Freerides à moteur thermique, c’est-à-dire fourche inversée WP, monoamortisseur, freins radiaux avant/arrière, disques wave et, en version enduro, plaque phare, stop, feu rouge led et petit porte-plaque.
Un couple direct
Les formes du moteur, dessinant de grands ronds, sont inhabituelles, toutes en hauteur puisque ce moulin est directement surmonté par une volumineuse batterie au lithium-ion de 27kg. Celle-ci se dissimule sous un cache qui bascule vers l’avant. Quatre longs boulons à défaire, deux prises à déconnecter et vous l’avez en main en quelques secondes.
Le moteur, développé en collaboration avec la firme autrichienne Kiska, tourne avec des aimants permanents et est accouplé à une boîte automatique à trois rapports. Il est refroidi par liquide car lors des essais initiaux, les 20 ingénieurs du R&D de Mattighofen qui travaillaient sur ce projet constatèrent que les bobines avaient tendance à surchauffer. Un peu d’huile (155cc) à changer toutes les 50 heures, assure la longévité de la boîte automatique. Ce moteur développe une puissance maximale de 22ch à 4.500tr/min, mais c’est surtout son couple qui est intéressant puisque les 42Nm sont disponibles dès…zéro tours/minute! A l’emploi, on constatera que cela crée quelques surprises… La batterie peut retrouver 100% de sa capacité en 80 minutes et 80% de celle-ci en 50 minutes via un chargeur complémentaire fonctionnant sur le 220V d’une prise habituelle de16 ampères. Durée de vie prévue: 700 recharges, pour un coût à l’unité de 0,77€.
Trois choix
En mettant le contact (une clef classique fixée à droite de la plaque phare), une série de diodes verte, orange ou rouge s’illuminent sur un petit tableau de bord situé à l’emplacement habituel du bouchon du réservoir d’essence. Au centre, les chiffres 1, 2 et 3 vous permettent de choisir la puissance développée par le moteur et, indirectement le temps d’utilisation, la puissance 3 bouffant plus de batterie que la première sélection. Un temps d’utilisation que vous verrez s’estomper par l’extinction, les unes après les autres, de diodes vertes. Rassurez-vous, KTM a prévu une réserve de puissance qui vous permettra de rallier votre domicile à 15km/h environ si celui-ci n’est pas trop loin. La sélection de ces trois puissances s’effectue par un classique bouton poussoir de mise en marche. Vous avez tout compris? Votre batterie est bien chargée? Alors en route…
Le plaisir du silence
La position de conduite est identique à celle d’une moto classique, en nettement plus fin au niveau des jambes et cuisses, même si vous êtes surpris de n’avoir aucune commande sous les pieds et si vous devez bien enregistrer que le levier gauche n’est pas un embrayage mais le frein arrière. Cette double absence aux pieds vous obligera à les repositionner plusieurs fois en cours de balade. Il m’arrivera aussi de tenter à une ou deux reprises de rentrer une vitesse. On ne se refait pas d’un seul coup. Notre guide nous avertit à ne pas remettre plein watts dans certaines conditions sous peine de partir en sucette, la roue arrière montée avec un pneu FIM (et non plus un trial comme sur les autres Freerides) risquant de se dérober. J’oublie d’entrée de jeu ce judicieux conseil et me paie une figure gauche/droite à la limite de la cabriole. Pourtant, je ne suis qu’en mode 2, gare au mode 3. Donc important de bien manipuler la poignée de gaz, ou plutôt le rhéostat des watts. Un collègue en fait l’expérience en attaquant les flancs pentus d’un petit ruisseau. Trop de watts, la Freeride se met à la verticale et fatalement notre confrère s’accroche à la poignée augmentant encore le mouvement. Belle gamelle, restons prudent pour ne pas faire de même.
Au début donc, mieux vaut remettre les gaz une fois bien en ligne, mais avec un peu d’habitude on commence à mieux contrôler la poussée directe du moteur électrique et de jouer avec l’adhérence. On n’hésite plus à attaquer de belles pentes truffées de racines et de découvrir une traction constante même si un coup de watt intempestif fait immédiatement patiner la roue arrière. Tout est donc question de feeling et ici mon passé de trialiste me sert bien. Je m’habitue aussi à la commande du frein arrière. Une chance, son efficacité n’est pas terrible (est-ce voulu?) et il faut vraiment poigner dedans pour bloquer la roue arrière. Ici également, petit à petit, avec l’habitude, on parvient à placer la Freeride en glissade contrôlée. Sur ce type de machine électrique, les freins sont importants car ils doivent compenser l’absence de frein moteur. Je présume que la consommation de plaquettes sera en conséquence. Vous avez l’impression d’effectuer les descentes en roue libre (surtout celles proposées à la déclivité importante), en entendant juste un petit sifflement façon turbine. Ce silence de fonctionnement pose d’ailleurs un problème lorsque vous êtes en groupe car vous n’entendez absolument pas si une autre Freeride «E» vous suit ou non.
Anticiper davantage
Pour les passages des obstacles, style rondin ou rocher, il vaut mieux un peu anticiper car il est assez laborieux de lever la roue avant. Trop de watts et le pneu arrière patine, trop peu et la roue avant reste collée au sol. Les spécialistes du wheeling que compte notre groupe devront même s’y reprendre à plusieurs fois pour réussir leur figure préférée.
Une petite spéciale d’enduro a été tracée sur une pâture pentue, pleine de bosses et de fosses. Avec une machine normale, je pense, et mes confrères partageaient le même avis, qu’on aurait fait la moitié des tours que nous enquillons avec la Freeride «E» tellement elle est facile et maniable, pardonnant bien des erreurs. Par contre, on constate rapidement la limite des suspensions, surtout à l’arrière qui tape vite sec! On s’amuse, on s’amuse, mais les diodes vertes s’éteignent les unes après les autres. Même en mode 2, la batterie s’épuise vite. Comptez entre 40 et 55 minutes avant de changer de batterie. C’est peu, trop peu surtout au vu du plaisir rencontré. Avec le prix, c’est le seul hic de l’affaire. Juste une question de temps et de développement d’une nouvelle génération de batteries puisque tous les constructeurs autos et autres y travaillent.
En conclusion
La KTM Freeride «E» est loin d’être un jouet-gadget. C’est une vraie moto qui donne du plaisir dans un silence agréable pour vous et les autres. Elle est juste en avance sur son temps et, à l’avenir, nos (arrière) petits-enfants ne sortiront sans doute plus la moto de Papy à 2 ou 4 temps qu’aux rendez-vous des motos anciennes…
Un essai signé Philippe Borguet et publié dans le Moto 80 n°768 de novembre 2014.