Est-il facile de succéder à un best-seller et de faire mieux ? Tel est le défi que doit relever la Benelli TRK 702, présentée comme l’évolution de la TRK 502, la moto la plus vendue en Italie. Après de nombreux retards dus notamment à la pandémie de Covid-19, le trail sino-italien est enfin arrivé et il a une montagne à gravir, un peu comme les routes sur lesquelles cet essai nous a emmenés.
Un essai publié dans le Moto 80 #875 / Texte Julien Muntzer – Photos Benelli
Bienvenue au cœur de la haute vallée d’Aoste, à l’ombre du mont Blanc, côté italien. Plus intimiste, mais tout aussi chic que le versant français, voilà un paysage théâtral dont la scène est constituée d’une langue de bitume tortueuse. Un petit paradis pour motard voyageur en goguette chevauchant un trail. C’est le rôle qu’incarne ici la Benelli TRK 702. L’appellation est une vague évocation phonétique du mot anglais trek, qui fait allusion à une longue randonnée. Parfait pour notre essai, non ? D’ailleurs, pour son interprétation dans la catégorie “trail petit budget pour grand rouleur”, la TRK 502 a remporté plusieurs récompenses en squattant le top des charts italiens pendant quatre ans ; pas mal pour une moto d’entrée de gamme venue de Chine. Mais le petit trail, vaillant, avait toutefois un gros défaut : un moteur anémique ou presque. Benelli et la maison mère Qianjiang Motorcycle voulaient y remédier en musclant leur actrice principale ; un peu comme Daniel Craig débarquant dans le costume de James Bond…
TRK SOUS STÉROÏDES ?
Longtemps annoncée, maintes fois repoussée, la sortie de la TRK de la salle de musculation avec une cylindrée de 698 cm3, prête à enfiler le costume du héros, est donc effective en cette mi-2023. Après ce petit relooking pour rajeunir et donner du sex-appeal à sa moto, voici donc Benelli avec son nouveau 007. Mieux, le trail se décline en version routière, avec roues de 17 pouces et pneus Pirelli Angel GT, et en version 702 X, plus typée tout chemin, avec une roue avant de 19 pouces et des pneus mixtes. Les différences sont minimes et nous nous concentrerons sur la première.
La TRK 702 dispose d’un charme certain, en tout cas d’une présence. Que l’on apprécie ou pas, les lignes complexes et torturées qui rappellent celles d’une Ducati Multistrada, il faut reconnaître que ce restylage rend la moto plus dynamique que ne l’était la précédente 502, grâce à des proportions mieux maîtrisées lui offrant une allure moins pataude. La petite équipe de design de Pesaro a travaillé dur pour donner un caractère dynamique à son nouveau personnage. D’ailleurs, les responsables de Qianjiang Motorcycle n’hésitent pas à mettre en valeur cette team de designers le plus possible, et pas seulement pour jouer les stylistes italiens par procuration. Mais Daniel Craig, en dépit de son look, n’est pas là pour jouer les espions de haut vol dans un univers luxueux. Non, ce trail reste un outil d’évasion à petit budget pour cols bleus et néo-motards en mal de road-trips. Quelques détails chatouillent la rétine, comme une visserie un peu grossière ou certains plastiques. Mais, dans l’ensemble, la qualité de finition est là, et la moto est bien assemblée. Pas le temps de jouer avec le grand écran TFT pour le connecter au téléphone ; tant pis pour la gestion des appels, ou la navigation qui s’affiche via l’application Benelli. On ne pourra qu’attester sa bonne lisibilité, avec des informations bien hiérarchisées et qui vont à l’essentiel grâce à un affichage épuré. De toute façon, ici, pas de modes de conduite ou d’assistances électroniques en dehors de l’ABS, donc pas de menus compliqués.
LES QUALITÉS ET LES DÉFAUTS DU PRÉDÉCESSEUR
La balade commence et, rapidement, je me rends compte que je me suis trompé de film ! Je me retrouve dans Cliffhanger, avec Sylvester Stallone en train de lutter pour gravir les falaises escarpées. Dès les premiers mètres, la route grimpe. À peine le temps de régler les rétros qu’il faut jouer du sélecteur. La chaleur me ferait-elle perdre mes moyens ? Je n’arrive pas à trouver le bon régime moteur, car le bicylindre de 698 cm3 ne semble pas à son aise. Je passe un rapport, la moto semble s’étouffer dans sa propre toux à basse vitesse. Les premiers lacets vont conduire à une première analyse abrupte : je me retrouve à devoir ressortir des épingles en première, ou en seconde, en jouant de l’embrayage pour m’en extraire sans caler au milieu, mais surtout sans dynamisme. Serait-ce l’altitude et le manque d’oxygène qui privent Sylvester de ses muscles ? Pourtant, le moteur est “nouveau”, en tout cas il offre une nouvelle interprétation du bicylindre parallèle maison qui semble très proche de celui que l’on trouve chez Kawasaki. Sur la Versys, c’est plutôt un moulin pétillant et volontaire, bien qu’un peu capricieux à bas régime. Ici, le trait de caractère paraît grossi par un mauvais jeu d’acteur grimaçant à la Stallone. La fiche technique annonce bien 70 ch à 8.000 tr/min et 70 Nm de couple à 6 000 tr/min, mais notre Sly ne parvient pas à tracter ses 233 kg. Petit bras…
Tout au long de la balade de Courmayeur au col du Petit-Saint-Bernard, la réponse à la poignée est précise, mais les accélérations sont très linéaires, avec un moteur creux à bas régime et se réveillant au-dessus de 4 500 tr/min. Mais, très vite, il semble s’étrangler au moment de déclamer son texte avec force, avant de stopper son effort rapidement, faute d’allonge. On attend de l’action, mais le twin préfère l’introspection pendant la scène de grimpette. Il faut jouer de la boîte de vitesses en permanence pour rester accroché à la paroi, boîte heureusement précise et fluide, assistée par un embrayage antidribble léger et agréable, confirmant la montée en gamme des productions de Qianjiang. Et dans ce contexte, l’absence de modes moteur comme d’antipatinage ne pose finalement aucun problème.
VOYAGEUR FLEGMATIQUE
Le journaliste essayeur culpabilise un peu. Peut-être joue-t-il trop les gros bras au guidon, ne faisant que mal interpréter le scénario imposé en cherchant à jouer les Rocky ? Pourtant, c’était bien l’objectif de Benelli, ainsi dévoilé dans le synopsis et la bande-annonce : donner plus de punch à sa grande voyageuse. Non, décidément, les routes de la vallée d’Aoste n’étaient pas le meilleur décor pour faire briller cette TRK 702. Ce trail n’est pas taillé pour les scènes d’action, mais pour les voyages tranquilles où le pilote prendra le temps de savourer les paysages sans forcer le rythme. Là, le moteur se laisse faire en douceur et vous enveloppe dans la sonorité discrète, mais chaleureuse, de l’échappement.
Flegmatique, sans être le meilleur, un peu comme un James Bond façon Roger Moore… Dommage : de nos jours tout le monde veut un Daniel Craig calé à 270° comme un twin CP2 de Yamaha MT-07. Mais tout le film n’est pas à jeter, loin de là. Certains passages sont bien maîtrisés par Benelli, notamment les douces scènes romantiques. La 702 a conservé les qualités de la version 502, avec le même châssis, le même cadre treillis tubulaire éprouvé, mais un nouveau bras oscillant et de nouvelles roues. Elle se place aisément en virage, au regard, facilement manœuvrable avec son grand guidon, et les changements d’angle se font sans forcer. La version standard avec sa roue de 17 pouces est logiquement un peu plus vive, mais la version « X » ne pâtit pas de sa jante de 19 pouces, voire y trouve un comportement plus cohérent. Dans l’ensemble, le poids élevé de 233 kg ne se fait pas ressentir et, dans les grandes courbes, la moto est stable.
LE CONFORT POUR CREDO
À l’arrêt, le guidon large et les pieds qui touchent facilement le sol grâce à une hauteur de selle de seulement 790 mm, permettront de compenser le poids et d’éviter certaines frayeurs lors des demi-tours en pente. À ce moment du film, la scène contemplative en haut du Petit-Saint-Bernard permet d’apprécier les qualités de la voyageuse. C’est douillet, la protection est bonne derrière les grands carénages, même si la bulle est un peu courte.
Moins « engoncé » derrière le réservoir que sur la TRK 502, on se trouve plus mobile sur la moto, avec de la place et une position décontractée. Les suspensions fournies par Marzocchi sont plutôt orientées confort. Si leur nom rutile sur la fiche technique, dans les faits elles ne proposent que du ressort et manquent d’hydraulique, le tout rebondissant sur les moindres aspérités lorsqu’on accélère le rythme. Finalement, Stallone qui vous regarde avec ses yeux de saint-bernard, ce n’est pas si mal pour qui apprécie les scènes lentes. Mais voilà, le public aime la bagarre, l’action, et le tempo de notre balade augmente encore. Les “gros bras” se remettent à bastonner dans les virages et ce pilotage nerveux révèle vite les limites de la partie-cycle. Les transferts de masses se font ressentir au freinage, la fourche se compresse et sature rapidement, le freinage paraît dur à l’attaque du levier, la faute au maître-cylindre, et le reste de l’action manque de force. Non, décidément, malgré son physique bodybuildé, la TRK 702 aime la douceur, les freinages anticipés et les virages enroulés.
UNE 702 X QUI N’A PAS QUE DE LA GUEULE
Si nous avons essayé la routière, la version baroudeuse TRK 702 X se la joue plus Out of Africa que Rambo. Cette X, avec les très bons pneus mixtes Pirelli Scorpion STR, les jantes à rayons et la roue avant de 19 pouces, aura droit au même constat au moment de la scène bucolique. Du chemin blanc roulant, mais pas d’action façon The Expendables, sous peine de finir en butée au moindre trou, par la faute d’un débattement insuffisant (140 mm).
Après un court passage par la France, nous sommes de retour en Italie. La fin de journée est encore chaude, mais la lumière est douce. Ce serait parfait pour un tour en duo, dans l’idéal avec les valises en alu disponibles en accessoires, ou un sac jeté avec désinvolture sur le porte-paquet (en alu lui aussi). Le tout confortablement calé sur la double selle pour un tableau romantique et un final avec un baiser. Tout compte fait, Stallone pourrait jouer dans James Bond, non ?
CONCLUSION
Benelli a voulu faire évoluer sa TRK 502 en lui faisant prendre du muscle. Si le trail conserve les qualités qui ont fait sa force, comme la facilité de prise en main et un tarif accessible, la tentative de gagner en punch n’a pas fonctionné. Cette TRK 702 s’adresse aux voyageurs à petit budget qui veulent du confort plutôt que de la performance. Une moto valorisante pour les titulaires du permis A2, mais qui souffrira de la concurrence d’une autre marque sino-italienne, Moto Morini, avec la X-Cape 650.