En mondial d’endurance, nombre de nos compatriotes jouent un rôle bien en vue, dans différents domaines de compétences. Nous les avons rencontrés lors des 8 Heures de Suzuka pour qu'ils nous parlent de cette épreuve légendaire.
Les 8 Heures de Suzuka: l’eldorado de l’endurance. Sur les terres de Honda, durant la dernière semaine de juillet, le temps s'arrête. Pour les constructeurs japonais, s'imposer à Suzuka est presque plus important que décrocher le titre en MotoGP. Les investissements sont colossaux et les motos sont les plus affutées au monde. 198 pays retransmettent la compétition et le départ est donné devant 70.000 fans hystériques. En 39 éditions, un seul Belge a réussi à inscrire son nom au palmarès de Suzuka: Richard Hubin qui, en compagnie de Hervé Moineau, s’est imposé en 1983 devant plus de 200.000 spectateurs. Suzuki avait ensuite axé toute sa campagne de communication sur cette victoire et on pouvait retrouver le visage de Richard sur les panneaux publicitaires dans toutes les rues du pays du Soleil-Levant.
Témoignages:
Grégory Fastré – Pilote – Retinne (Province de Liège)
Je suis arrivé en endurance mondiale en 2003, à l’occasion de la dernière édition des 24 Heures de Liège. J’avais intégré le team Jadoul, sur une Kawasaki. Depuis lors, j’ai fait mes armes en catégorie Superstock où j’ai gagné les 24 Heures du Mans, le Bol d’Or ainsi que deux titres mondiaux, en 2012 et 2013. Il y a trois ans, j’accomplissais mon rêve de pilote avec ma première participation aux 8 Heures de Suzuka. Mais cette dernière édition fut encore plus exceptionnelle, avec mon équipe, en arrivant en tête du championnat du Monde dans la cage japonaise aux lions. Suzuka, j’en ai un peu la même vision que l’ensemble des gens. C’est tellement mythique mais aussi tellement différent, par la mentalité des gens. La piste se révèle à la fois magique et très compliquée car il s’agit, à la base, d’une piste d’essai. Sur ce tracé en forme de 8, on retrouve tous les types de virages. Néanmoins, je ne me sens pas vraiment en sécurité ici. Tracé à l’ancienne, dégagement à l’ancienne… les murs sont proches. Et quand je pense que pour notre circuit national, on fait tout un cinéma au sujet de l’homologation du tracé, c'est déplorable. Surtout que la Formule 1 passe aussi par Suzuka. Toutefois, ces 8 Heures restent une course d’enfer car on roule avec les meilleurs pilotes de MotoGP, Moto2 et Superbike.
Mario Kuper – Télémétriste – Lontzen (Province de Liège)
Au sein d’une des plus anciennes équipes du plateau, en activité depuis plus de 30 ans, je suis responsable suspension et télémétrie. Je règle en quelque sorte l’ensemble de la moto. Durant la course, je m’occupe de la gestion de celle-ci et je suis prêt à intervenir au moindre problème électrique ou électronique. On peut dire que je suis tombé dans le chaudron à 17 ans, aux 24H de Liège, en tant que responsable pneus. Mais depuis 2005, je suis à 100% impliqué avec ma propre structure qui a remporté le Mans et le Bol d’Or en compagnie de Grégory Fastré, Marc Fissette et Michael Weynand. Il s’agit de ma 5e visite à Suzuka. La grande première fut en 2006, au sein de l’équipe de Michel Nickmans. C’était un rêve de gamin. La première fois que tu passes le portail d’entrée, le magie opère! Sur la piste, tu vois ces top-pilotes se donner à 200% afin de réaliser la course de leur vie. Car si tu t’imposes ici, tu assures ton avenir. Bel exemple, en 2002, Colin Edward, alors en Superbike, avait gagné et l’après Suzuka lui avait permis de remporter toutes les courses Superbike, ainsi que le titre, suite à la décision de Honda de lui apporter toutes les meilleures pièces d’usine pour sa VTR-1000 SP1! Malheureusement, Suzuka m’a également déjà déçu, en 2007. Avec une équipe 100% belge (Michel Nickmans, Olivier Depoorter, Wim Van den Broeck), nous étions en tête, dans l’ancienne catégorie Superproduction (Superbike avec un moteur Stock) avant de casser la boîte à 20 minutes du terme…
Bruno Boggiano – Préparateur / Team Manager – Barcelone
J’ai découvert l’endurance en 1982 avec une équipe de chez nous, et j’ai crée ma société Bruno Performance, il y a plus de 20 ans, intégrée en CEV Moto2 et Moto3. C’est là que Masakazu Fuji, grand parton de FCC/TSR nous a contactés afin de préparer ses motos pour le championnat d’Espagne CEV. Trois fois vainqueurs des 8 Heures de Suzuka, FCC/TSR, avec Musashi Harc Pro, sont les deux seules équipes officielles Honda. Elles bénéficient ainsi des pièces «factory racing». Le team nous fait confiance pour la logistique et la préparation des motos lors des différentes épreuves sur le continent européen. Et ici, en quelque sorte, je passe la main aux Japonais et ce rendez-vous constitue davantage pour moi le début des négociations pour l’année suivante. La course ne manque pas vraiment. Suzuka s'apparente davantage à une épreuve de vitesse de longue durée. Une course de 24 heures est une véritable compétition d’endurance. À Suzuka, le facteur chance est très important. Tu as beau compter sur les meilleurs pilotes, la meilleure moto, la meilleure équipe, si tu n’as pas le brin de chance, tu es foutu!
Arnaud Prida – Mécanicien – Barcelone
J’ai commencé comme mécano chez un concessionnaire Honda. En 2003, j’ai fait un passage par la case «pilote» pour disputer le championnat de Belgique Aprilia Cup 125, et participé aux 24 Heures de Liège en tant que mécanicien, dans un team belge, pour ensuite peaufiner mon apprentissage de la mécanique en France, dans le Gers, à l’École de la performance. Depuis lors, via Bruno Performance, j’ai découvert les 8 Heures de Suzuka en tant que mécanicien officiel Honda. Après une première édition dans le team Asia, une équipe satellite de Honda TSR/FCC, je suis passé chez les fameux FCC, avec les pilotes Rea & Akiyoshi. En 2015, toujours au sein de FCC, nous avons échoué à la deuxième place, mon meilleur résultat professionnel. Je suis mécanicien sur l’ensemble de la machine, sauf le moteur pour lequel nous recevons les pièces de chez HRC. J'arrive à Suzuka 3 semaines avant la course afin d’assembler le tout. Durant la course, exceptionnellement ici, je laisse mon rôle de changement de roue lors des ravitaillements aux Japonais, afin de faciliter la communication en cas de problème à résoudre en urgence. L’anglais est pratiqué uniquement avec certains. Venir à Suzuka constitue une expérience très enrichissante. Le MotoGP, c’est beau, c’est une vitrine. Mais ici, c’est vraiment la passion de la moto qui domine.
Renaud Jeanfils – Team coordinator – Xhoffraix (Province de Liège)
Je m'occupe des relations du promoteur Eurosport Event, des organisateurs, de la fédération et des équipes. Ces dernières me surnomment «le chef du village». J’ai débuté dans la moto en 1993, en tant que team coordinator de Jean-Michel Bayle, pour ensuite importer les vêtements Stand 21 en Belgique. Je suis revenu à la voiture en 2013 en organisant deux fois le Baku World Challenge, puis j'ai donné un coup de main à Eurosport Event pour la manche WTCC, à Spa, avant de plonger dans l’endurance moto. J’ai découvert Suzuka en 1993, lors du Grand Prix. Mais j’ai n’ai aucun souvenir précis car le circuit n’existait pas dans sa mouture actuelle au niveau de l’infrastructure. J’ai fait mon retour l’an passé et j’ai découvert une atmosphère incroyable. Rien que le show à l’arrivée doit être vécu! Niveau organisation, les Japonais fonctionnent différemment, ils se montrent par exemple inflexibles si une chose n’est pas programmée. Il s’adaptent difficilement. Je suis originaire de Francorchamps et comme tous les Belges, je rêve du retour de l’endurance sur le toboggan ardennais. La différence principale avec Suzuka, c’est que la course ne s’est jamais arrêtée. Si Francorchamps doit redemander une homologation FIM, aucune exception ne sera accordée. Francorchamps compte sur un nouveau management et montre la volonté de ramener la moto à Spa. Je n’ai pas dit que cela se fera mais c'est une chose dont on n'avait plus entendu parler depuis longtemps.
Steven Casaer – Team coordinator – Berlaar (Province d’Anvers)
J’ai plusieurs casquettes, dont celle de race manager de l’équipe Honda Endurance Racing. Cela signifie que je prends en charge la gestion de la course et, entre-temps, je suis responsable technique pour l’acquisition, les suspensions, la programmation moteur. Les motos sont préparées dans mon atelier en Belgique tandis que l'équipe de gestion et la structure à proprement parler se trouvent en Angleterre. J’ai découvert l’endurance en 1996, comme pilote, pour le compte du team Motorsportschool. En 2000, nous avons commencé le projet MV Agusta en endurance et je remplissais l’ensemble de mes rôles actuels… en plus d'être pilote. Les week-ends étaient plus que remplis! Les Japonais nous avait invités à participer aux 8 Heures de Suzuka mais la marque italienne ne voulait pas y participer. Ce n’est que l’année suivante que j’y roulerai au guidon de l’Aprilia du team belge de Benny Pister. J’avais réussi à me qualifier, au contraire de mes deux équipiers. J’avais adoré le tracé mais j’avais bien souffert avec la chaleur. Car à l’époque, on ne connaissait pas les chambres froides pour les pilotes. Mon meilleur souvenir date naturellement de 2011 avec la quatrième place de BMW. C’était la première fois qu’une moto européenne finissait à une telle place. En tant que team manager-responsable technique, ce fut pour moi une première de gérer l’ensemble de la préparation de cette course avec les Japonais.
Rudi Van den Eeden – Mécanicien – Anvers (Province d’Anvers)
L’endurance, pour moi, c’est une histoire avec Steven Casaer car je suis à ses côtés depuis le début, toujours en tant que mécanicien. Nous avons débuté et évolué ensemble. Ses souvenirs, ses déceptions à Suzuka sont les miennes. Venir à chaque fois à Suzuka est très spécial. C’est en quelque sorte la cerise sur la gâteau pour toute personne travaillant dans l’endurance.
Stéphane Mertens – Pit Reporter / Double champion du monde – Nothomb (Province du Luxembourg)
Adolescent, je travaillais dans une colonie de vacances dont le patron était fan du Bol d’Or. Il m’y emmena avec un groupe de copains, et non des moindres: Simeon, Orban… En 1982, le rêve de gosse devenait réalité au sein du team Kawasaki de Roger Kockelmann. En compagnie de Michel Siméon et Paul Ramon, nous pointions dans le top 10 à 30 minutes du terme avant une chute qui nous faisait perdre tout espoir. Mais je me rattrapai huit ans plus tard en montant sur la plus haute marche. J’ai posé la première fois les pieds à Suzuka en 1987, alors que j’étais pilote en Grand Prix 250cc. J'ai ensuite pris part à mes premières 8 Heures sur une Honda RVF750 d’usine, en 1990. Mon équipier de l’époque, Fred Merkel, s’étant blessé, il fut remplacé par Jean-Michel Matiolli en dernière minute. J’avais bouclé mon premier relais en 3e position derrière Doohan et Fujiwara mais mon équipe japonaise n’était pas très performante. Lors des ravitaillements, elle nous faisait perdre d’énormes minutes. Finalement, j’y réalisai mon meilleur résultat avec une 7e place, un classement égalé en 2002 avec Zongshen. J’ai remporté le Bol d’Or, le Mans et les 24 Heures de Liège mais une victoire à Suzuka, voire un podium, aurait signifié une satisfaction complémentaire dans ma carrière. J’ai toujours porté de l'affection au Japon. Je m’y suis rendu à de multiples reprises, pour des courses, des tests privés… le dépaysement total: c’est loin et exotique. Suzuka reste un circuit exigeant, rapide et technique et avec une moto compétitive, c’est un vrai régal.
Jonathan Godin – Photographe – Chaumont-Gistoux (Province du Brabant wallon)
Depuis 2010 et à l’exception du Mans 2016 pour cause de reportage à Los Angeles avec Moto 80, j’ai photographié toutes les manches du mondial d’endurance. En 2011, invité par Steven Casaer, alors team manager de BMW France 99, je découvre les 8 heures de Suzuka. Une autre culture, un circuit des plus impressionnants et un niveau de pilotage hors du commun. Ces pilotes roulent à 200%, jouent des coudes, le bras entier frotte sur les vibreurs, les angles sont extrêmes dans les virages, ce qui donne des photos exceptionnelles. Certes, après 6 années, je ne suis plus surpris car Suzuka est un peu devenu une routine. Mais si on me demandait de choisir une seule course sur l’année, sans hésiter, ce serait celle-ci!