La Botte du Hainaut: cette excroissance de territoire belge enserrée par les Ardennes françaises et l’Avesnois. Une région partagée entre province de Hainaut, avec Beaumont et Chimay, et province de Namur, avec Couvin. Un coin où il fait bon rouler à moto, à travers champs et forêts, sur ces petites routes des départements des Ardennes, de l’Aisne et du Nord, délaissées par les motards hexagonaux!
Texte: Philippe Bonamis & Jacques Berghmans. Photos: Jonathan Godin. Avec l’amicale participation d’Eric Nicloux.
Le rendez-vous était fixé tôt, à Couvin, sur la place Piron que les motards connaissent bien, même si beaucoup d’entre eux semblent plus fréquenter les bistrots de ladite place que les routes alentours. Ils ont bien tort car dès les premiers kilomètres, c’est au cœur des vastes et belles forêts qui s’étendent jusqu’au Brûly, à la frontière française, que nous allons plonger. En quittant Couvin, impossible de manquer le gigantesque chantier du contournement de la localité, enfin entamé, alors qu’il était réclamé à corps et à cris par les Couvinois depuis des dizaines d’années… On les comprend: la N5 qui traverse le centre de Couvin constitue en effet le «maillon faible» de l’axe Amsterdam-Marseille utilisé par un nombre sans cesse croissant de poids lourds, avec tout ce que cela génère de nuisances. Le projet de contournement ne semble toutefois pas du goût de tout le monde puisque des sabotages d’engins de génie civil ont eu lieu voici quelques mois. Et pour ne rien arranger, les caprices de la météo et des soucis de stabilité du terrain ont fait que la phase 1 du contournement, qui devait être achevée pour fin 2016 ne le sera, si tout va bien, que fin 2017…
Cela dit, tout cela s’oublie rapidement en abordant les virolos qui grimpent vers le Barrage du Ry de Rome. Un bel endroit, un peu austère, et qui n’est pas sans rappeler certains coins des Vosges. Le relief s’adoucit ensuite, au fur et à mesure que l’on descend vers le sud et le Brûly. Les travaux du contournement, toujours eux, nous contraignent à abandonner la N920 – qui n’a de nationale que le nom, tant elle est peu fréquentée – pour effectuer un crochet peu après le lieu-dit «L’Hermitage». Rien de grave et nous arrivons au Gué d’Hossus sans encombre, en évitant le poste de douane sur la N5. Rocroi qui semble à présent s’orthographier Rocroy – c’est nouveau, ça vient de sortir – n’est plus très loin. Si les quartiers modernes ne présentent guère d’intérêt, il n’en va pas de même du cœur historique de cette cité fortifiée en étoile, qui vaut vraiment le coup d’œil, avec ses impressionnants fossés de protection et ses remparts… Et puis, la halle en bois sur la place d’Armes est un classique dont on ne se lasse pas. Parfait pour enfiler la combi pluie quand le ciel se fait menaçant…
Aéropostale et bonne bouffe
Le cap général s’infléchit à présent au sud-ouest, direction Laon. La D877 traverse de grandes forêts. Rectiligne par endroits – gaffe aux traversées de gibier! – ce qui incite à ouvrir, elle propose aussi des courbes agréables, grandes ou moyennes, un bon revêtement et un trafic réduit. Que demande le peuple? On traverse quelques villages où le temps semble s’être presque arrêté: Eteignières, Auvillers-les-Forges, puis Rumigny et son élégant château (sur votre gauche en entrant dans la localité). Après Rumigny, on bifurque à droite, pour entrer dans le département de l’Aisne et on arrive à Aubenton, qui a vu naître l’aviateur Jean Mermoz, pilote mythique de l’Aéropostale. Véritable héros dans l’entre-deux-guerres, Mermoz est entré dans l’histoire en réalisant la première traversée de l’Atlantique Sud en 1930. Un petit musée, installé dans sa maison natale, retrace sa vie mais pour la visite, il faut réserver bien à l’avance. Aujourd’hui, Mermoz ne déplace plus les foules… Mais Aubenton, c’est aussi un de ces petits restaus de la France profonde comme on les aime. Lors de notre reconnaissance, à la belle saison, nous y avons cassé la croûte. Comme nous, faites une halte revigorante sur la terrasse ensoleillée de «La Table de Maya»… Un bonheur tout simple, sans chichi mais qui procure beaucoup de bien. Une journée à moto, c’est fait pour déconnecter de tous les tracas du quotidien!
Notre-Dame de Scourmont
Après Aubenton, nous empruntons des axes toujours aussi peu fréquentés pour remonter vers le nord et la frontière belge. On passe par Signy-le-Petit et sa colossale église fortifiée, typique de la Thiérache. Et si vous ne vous êtes par arrêté à Aubenton pour manger, il y a tout ce qu’il faut ici avec le restaurant «La Hulotte au Lion d’Or». Comme nous ne l’avons pas essayé, nous ne l’avons pas fait figurer dans l’encadré «arrêts gourmands» mais l’établissement a bonne réputation (infos: www.lahulotte-auliondor.fr). À noter aussi à Signy-le-Petit une excellente boulangerie sur la place. Avis aux amateurs de pique-nique! Notre itinéraire tournicote jusqu’à la frontière, en passant par La Neuville-aux-Joutes. Une fois revenu en territoire belge, on fait dans le rectiligne pour rallier l’Abbaye de Scourmont, mondialement célèbre en raison des bières trappistes de Chimay qui y sont brassées. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’abbaye est de création relativement récente puisqu’elle a été fondée en 1850. Et ce n’est qu’en 1956 qu’a vu le jour une bière de Noël qui allait devenir la Chimay bleue. Malgré le temps qui passe, cette brune reste toujours aussi appréciée des amateurs de bière forte. La Chimay Triple à capsule blanche a été créée en 1966 et la Chimay triple (au fût), en 2001. Le dernier produit en date de la brasserie est la Chimay Dorée, lancée en 2013. Après cet intermède houblonné placé sous le signe des bières catholiques – comme le dit joliment Julos Beaucarne – nous reprenons la route pour rejoindre Chimay, en passant par Baileux (où les fromages de Chimay sont fabriqués et où les bières sont mises en bouteille). À Lompret, village tout mignon, on marquera la pause sur les bords de l’Eau Blanche avant d’arriver à Virelles et son étang (voir le Carnet de route).
Un circuit routier de légende
Chimay est connu pour son château des Princes de Chimay mais les motocyclistes que nous sommes ne peuvent passer à côté du circuit qui a fêté ses 90 ans d’existence en 2016. Le «grand Chimay» utilisé jusqu’en 1991 reliait Chimay à Salles, avant de revenir sur Chimay par la chapelle de l’Arbrisseau et le fameux virage de la Bouchère. C’était un tracé très rapide qui permettait aux gros cœurs de s’exprimer pleinement. Le record du tour est détenu par un certain Yvo Grauls qui y a tourné à plus de 195 km/h de moyenne en 1972, au volant d’une Chevrolet Camaro. Le tracé actuel, mis en service en 1992, ne mesure que 4,5 m et se caractérise par trois chicanes pour ralentir les concurrents… C’est plus sûr mais ça a aussi beaucoup moins de caractère… À Salles, on continue plein ouest, direction Macon et Momignies. La frontière française n’est plus loin et certains postes de douane du coin rappelleront des souvenirs à ceux qui ont vu «Rien à déclarer», avec Dany Boon et Benoît Poelvoorde, tout deux excellents dans ce divertissement populaire, au bon sens du terme… La première localité française, Ohain, nous fait pénétrer de plein pied dans le parc régional de L’Avesnois, ce pays de bocage qui rappelle la Normandie. On y fabrique d’ailleurs de l’excellent cidre ainsi que des fromages assez redoutables: à côté de la puissante Boulette d’Avesnes, un camembert ou un munster fermiers passeraient presque pour insipides…
La balade sur les petites routes de l’Avesnois est toujours un ravissement. Paysages verts et accueillants, routes agréablement viroleuses. Aussi, est-ce en profitant pleinement de nos montures que nous arrivons aux abords du Lac du Val Joly, une base de loisirs très fréquentée l’été, après avoir successivement traversé Wallers-en-Fagne, Moustier-en-Fagne et Eppe-Sauvage. L’itinéraire de la BBB longe ensuite la frontière avant de s’en écarter pour aller musarder vers Beaurieux et Clairfays. Rien de très particulier à voir par ici mais la campagne est belle et le plaisir de rouler bien présent. C’est à Hestrud, au Musée de la Douane, que nous mettrons un terme à cette balade, même si le road-book, papier ou électronique, vous conduira jusqu’à Beaumont, entre Chimay et Charleroi, histoire de vous remettre sur le bon chemin pour rentrer à la maison. Bonne route et prudence, toujours.
Carnet de route
– Le Barrage du Ry de Rome: à quelques kilomètres à peine de Couvin, le Barrage du Ry de Rome, serti dans un écrin forestier, n’est pas sans évoquer un lac de montagne. L’endroit est apprécié des joggeurs et cyclistes, le chemin longeant les berges étant aménagé aux normes du Ravel. Le lac est alimenté par trois ruisseaux: le Ry de l’Hermitage, le Ry de Rome et le Ry des Serpents. Long de 1.500m et large de 300m, il s’étend sur une superficie de quelque 25ha. Sa raison d’être tient davantage du traitement des eaux pour en assurer la potabilité que de la production d’électricité. On n’est pas dans les Alpes!
– Rocroi: cette petite localité de quelque 2.400 habitants est connue pour sa fortification en étoile, très bien conservée, et due à Vauban. Le nom Rocroi signifie la croisée (carrefour) de Raoul, un seigneur local au XIIe siècle. À la Révolution, la ville fut rebaptisée Roc-Libre! Sur la place centrale vers laquelle convergent les rues du cœur historique, on découvre une très belle halle en bois. À noter aussi une très bonne boulangerie, dans la rue de Bourgogne, presque en face de la halle. Avis aux amateurs de vraie bonne baguette française!
– Aubenton: l’aviateur Jean Mermoz, rendu célèbre par l’Aéropostale et aussi par sa disparition tragique dans l’Atlantique Sud à bord d’un hydravion Latécoère en 1936, a vu le jour à Aubenton, le 9 décembre 1901. Un musée, installé dans sa maison natale en conserve le souvenir, juste à côté de l’hôtel de ville. Infos: www.tourisme-thierache.fr ou 0033/(0)3 23.97.70.22. Contact préalable indispensable pour la visite.
– Signy-le-Petit: à deux pas de la frontière belge, Signy-le-Petit possède une imposante église fortifiée qui mérite vraiment une halte. Pour plus de détails sur ces édifices et la «Route des Églises Fortifiées», un bel itinéraire touristique fléché, bien adapté à une balade d’une journée à moto, reportez-vous à la BBB consacrée au sujet (Moto 80 n° 752, juillet 2013).
– L’Abbaye Notre-Dame de Scourmont: Chimay bleue, rouge, triple ou encore dorée, that’s the question! Eh oui, ce sont les moines de l’Abbaye Notre-Dame de Scourmont qui, aujourd’hui encore, président au destinées de la plus célèbre des bières trappistes wallonnes! La Chimay est une authentique bière trappiste: cela signifie qu’elle est brassée dans l’enceinte d’un monastère trappiste, sous le contrôle et la responsabilité de la communauté monastique, qui est engagée dans tout le processus d’exploitation de la bière. L’essentiel des revenus générés par cette activité est consacré aux nécessités de la communauté et à des œuvres sociales. En ce qui concerne l’abbaye proprement dite, ses origines remontent à 1850. C’est l’été de cette année-là, en effet, qu’un petit groupe de moines est venu s’établir sur le plateau de Scourmont. Autour du monastère se sont créées une ferme, une brasserie et une fromagerie. Les bières de Chimay n’appartiennent, aujourd’hui encore, à aucun groupe brassicole et c’est tant mieux! Envie d’une dégustation? Vous ne trouverez rien à l’abbaye même… Il faut vous rendre à l’Espace Chimay, accessible en prenant à gauche au carrefour en «T» après l’abbaye (suivre fléchage Auberge de Poteaupré, alors que le GPS vous indiquera de tourner à droite pour continuer l’itinéraire de la BBB). Infos: www.chimay.com.
– L’Étang de Virelles: beaucoup de gens parlent du lac de Virelles alors que sa dénomination officielle est bien «étang», bien que le plan d’eau ait les dimensions d’un lac. Pas très logique, d’accord, mais c’est comme ça! Virelles possède un intéressant espace nature baptisé Aquascope (www.aquascope.be ou 060/21.13.63). Signalons la possibilité de passer la nuit, sur réservation, dans l’une des deux bulles transparentes tout confort qui émergent au-dessus de l’eau sur la rive sud de l’étang. C’est pas donné (200€ à 220€ la nuit pour 2 personnes) mais voilà une expérience qui plaira aux amateurs de nature qui veulent goûter aux charmes d’une nuit à la belle étoile sans ses inconvénients. Le site de l’Etang de Virelles abrite aussi une taverne (petite restauration). Tél.: 060/21.13.27.
– Chimay: la petite «capitale de la Botte du Hainaut» est connue pour son circuit au tracé rapide qui, par le passé, vit s’affronter les meilleurs pilotes moto et auto du monde mais aussi pour le château des Princes de Chimay, récemment rénové et adapté aux technologies actuelles, la visite guidée se faisant désormais grâce à un iPad! Le château est connu pour son superbe théâtre de 200 places, réplique de celui de Louis XV au château de Fontainebleau. Il a servi de décor au film «Le Maître de Musique» de Gérard Corbiau. Infos: www.chateaudechimay.be. Et si vous faites halte à Chimay à l’heure du fricot, ne manquez pas de goûter l’escavèche, excellente préparation de poisson (anguille, truite ou poisson d’étang) en gelée qui se déguste accompagnée de frites. L’escavèche aurait été introduite ici par les Espagnols, grands navigateurs, pour conserver les poissons pêchés dans les nombreux étangs de la région.
– Momignies: à Momignies, gros village frontière, on a toujours fait du verre creux d’emballage (bouteilles, flacons, pots…) et cette activité se poursuit de nos jours. Gerresheimer Momignies S.A., anciennement les Nouvelles Verreries de Momignies, emploie aujourd’hui plus de 400 personnes. Cette entreprise fabrique des flacons et pots en verre blanc, opale ou coloré.
– Moustier-en-Fagne: ne manquez pas la «maison espagnole», une étonnante demeure du XVIe siècle. Devenue aujourd’hui une dépendance du prieuré Saint-Dodon voisin (connu pour ses fabrications d’icônes et ses offices en rite byzantin), elle se signale par son architecture typique des Pays-Bas espagnols, avec ses pignons à redents (en escalier) et ses fenêtres croisées à meneaux.
– Hestrud: les fidèles des BBB connaissent bien Hestrud, sur la route reliant Cousolre (F) à Beaumont (B). À Hestrud, l’ancien poste-frontière a conservé sa barrière, qui est désormais toujours levée. Les lieux accueillent un intéressant Musée de la Douane qui mérite la visite. Et ce qui ne gâche rien, il y a un sympathique petit bistrot attenant, où les gens du coin aiment venir boire un coup, que ce soit au comptoir ou sur la terrasse donnant sur la Thure! Iinfos: www.cafemuseedeladouane.fr.
Arrêts gourmands
– Pas facile, si l’on est matinal, de trouver un café ou un bistro ouvert sur la place Piron, à Couvin! Traditionnel point de départ ou d’arrivée de nombreuses balades ou voyages moto, utilisé en son temps par le Club Moto 80, le café La Ruche était tout ce qu’il y a de fermé lors de notre reconnaissance, effectuée en semaine, précisons-le… Nous nous sommes repliés sur l’agréable boulangerie-sandwicherie au coin de la place et du Faubourg Saint-Germain (N5 en direction de la France). Bon accueil et possibilité de prendre un café sur place…
– La Table de Maya, à Aubenton: voilà une bonne adresse de province comme on les aime. Le choix n’est pas énorme mais c’est bon, copieux et pas cher! Et en plus, le patron, en salle, est très sympa. Spécialités locales bien troussées qui font la part belle aux Maroilles, ainsi que menu du jour à tarif démocratique (13€). Possibilité de manger en terrasse durant les beaux jours. Parking devant l’établissement, lequel est très facile à trouver, à l’entrée d’Aubenton en suivant notre road-book. Ouvert tous les midis (sauf le mercredi) à partir de 11h45 et jusqu’à 14h30. Wi-Fi gratuit.
La Table de Maya, rue Saint-Nicolas, 26 à 02500 Aubenton. Tél.: 0033 (0)3.23.97.07.21, www.facebook.com/La-table-de-maya