Longue histoire que celle d’Husqvarna. Mais plutôt agitée ces trente dernières années, avant de tomber dans l’escarcelle de Stefan Pierer, le patron de KTM, et de repartir sur de nouvelles bases, particulièrement orangées et pourtant très personnelles. Des choix audacieux mais non dénués d’intérêt!
Orange… en noir et blanc!
Vraisemblablement une des plus anciennes marques de motos encore en activité, Husqvarna fut fondée en 1689, à Huskvarna, en Suède et débuta ses activités en fabriquant des mousquets sous le statut de manufacture royale. Fin du dix-neuvième siècle commence la production de bicyclettes, qui mena naturellement à la motocyclette, dont la première fut construite en 1903.
L’histoire est en marche, et connaîtra son apogée dans les années septante avec l’immense succès des gammes cross et enduro, particulièrement aux États-Unis. La couverture du Sports Illustrated d’août 71, avec Steve McQueen torse nu, reste sans doute gravée dans toutes les mémoires, tout comme les splendides images qui clôturent le film «On any Sunday», où l’on voit le même Steve McQueen et ses comparses s’éclater sur le sable des plages californiennes au soleil couchant, sur la musique inspirée de Dominic Frontiere.
Sans doute les plus belles images de liberté et d’insouciance à moto de tous les temps… En 1987, la doyenne suédoise passe sous le giron italien de Cagiva, devient allemande en 2007 en tombant dans les mains de BMW qui jettera bien vite l’éponge, cédant la marque au PDG de KTM, qui n’en reprendra que le nom, fermant l’usine et abandonnant la gamme «made by Cagiva et BMW». Et c’est là que ça devient intéressant, parce que nos deux flèches, la noire et la blanche, ne sont, en réalité, que des KTM 390 Duke déguisées! Cela suffit-il à en faire de nouvelles motos? Oui! Et non…
En noir et blanc
La Svartpilen et la Vitpilen ont créé l’événement en novembre 2014 sous les projecteurs du salon de Milan. J’évoquais un peu plus haut McQueen. Cet âge d'or de la moto tenait en deux mots: liberté et simplicité. Compacte, agile et épurée, la 401 revient à cet essentiel, sous deux formes.
La Svartpilen (flèche noire en suédois) joue la carte de la liberté dans un esprit «scrambler», la Vitpilen (flèche blanche) privilégie l'option café-racer. Mais toutes deux sont développées sur la même base (KTM 390 Duke) qui intègre un monocylindre compact dans un châssis minimaliste.
Les deux Husqvarna de route marquent les esprits et confortent la marque dans sa volonté d’innover ; c’est ainsi que nous reviennent deux ans plus tard, à Milan une fois encore, les versions définitives des deux prototypes. Il nous aura encore fallu patienter près d’un an et demi avant d’enfin pouvoir les toucher, nos deux austro-suédoises qui cassent avec entrain les codes du roadster, du café-racer, du scrambler, du néo et du rétro. Un vent de fraîcheur souffle sur les moyennes cylindrées et c’est très bien!
Si les KTM se démarquent par un design, disons… clivant, c’est au studio Kiska Design qu’elles le doivent. Depuis une vingtaine d’années, Kiska construit, pour KTM, une image aussi cohérente que décalée, reconnaissable entre toutes. Étonnamment, Kiska est encore aux commandes pour Husqvarna: un fameux challenge de s’attaquer à une marque aussi ancienne et iconique, sans verser dans le plagiat mièvre du passé, sans renier pour autant ses origines suédoises.
Kiska a réussi ce tour de force, comme vingt ans auparavant pour KTM, de créer de toutes pièces un nouvel alphabet, aussi fort et clivant, mais propre à Husqvarna. Un coup de maître que nous devons à un Français, Maxime Thouvenin. qui réussit à allier le côté pur et accessible des machines du passé à une extrême modernité. Le Français reconnaît s’être inspiré du riche design traditionnel scandinave dans sa recherche de fluidité et de simplicité.
Quand on connaît les immenses contraintes techniques et législatives qu’implique la conception d’une moto, on mesure mieux l’ampleur du challenge! Et on se rend compte aussi que cette nouvelle approche minimaliste parle à d’autres constructeurs, et non des moindres: les Honda CB 125, 300 et 1000 R s’inspirent aussi de cette mouvance qui renouvelle le genre.
Style simple
Et ce n’est pas complètement idiot, parce que ces machines captent aussi le regard des non-motards, attirés par la beauté de l’objet et sa simplicité: une solution parmi d’autres pour renouveler une clientèle en perte de vitesse…
Très proches l’une de l’autre, les deux Husqvarna se partagent la tâche: à la Vitpilen le soin de séduire les amateurs de minimalisme et de sportivité, avec une interprétation tout à fait contemporaine du café-racer, tandis que la Svartpilen met l’accent sur une certaine fonctionnalité qui lui autorise plus de polyvalence et de facilité. Le guidon de la Svartpilen donne immédiatement le ton, et promet une position moins radicale et contraignante que les bracelets de la Vitpilen.
Les pneus à sculpture et le sabot de protection du bas-moteur expriment son esprit «scrambler» tandis que le porte-paquets sur le réservoir alimente son côté urbain. Les deux machines se rejoignent dans le traitement sculpté de leurs éléments, l’élégance de l’éclairage full LEDs (Ah, ce feu arrière, beau à tomber!), le travail des matières brillantes et satinées, de nombreux détails raffinés comme les flancs des radiateurs, les carters latéraux et le bouchon du réservoir d’essence badgés du «H» couronné, le choix des composants, comme les commodos éclairés, les leviers réglables, les suspensions WP, les freins Bybre avec étrier radial à quatre pistons.
Elles se démarquent par leurs teintes, le blanc, tranché et simple, qualitatif et représentatif des couleurs Husqvarna avec des pointes de jaune pour la Vitpilen, et le noir, moins raffiné mais plus robuste, vient compléter le tableau pour la Svartpilen.
Néanmoins, certains choix laissent perplexes. J’adhère complètement à l’idée de ce petit compteur rond et minimaliste. Mais franchement, quelle daube! Un minuscule affichage LCD ringard et illisible, des gros boutons caoutchoutés tout sauf ergonomiques, un éclairage de nuit qui oublie la graduation du compte-tours… Quelle pitié!
Avec la même volonté minimaliste, je garde un souvenir ému du splendide instrument qui équipait la Yamaha MT-01, il y a plus de dix ans, et, plus proche de nous, même le compteur de la Ducati Scrambler fait mieux. Virez-moi ça et, dans la foulée, brûlez ce porte-plaque lourdingue à périr! C’est bien joli de nous faire miroiter de la bécane dépouillée qui fait l’impasse sur la plaque d’immatriculation. Mais un beau jour, il faudra bien en mettre une! Dites-moi, le gars qui a dessiné ce machin, il est ingénieur aux ponts & chaussées? Plus massif, tu meurs!
Heureusement qu’un support en bout de selle, autrement plus aérien, est prévu en accessoire. Il illustre d’ailleurs abondamment les catalogues. Un sursaut de lucidité, sans doute… Clôturons les critiques esthétiques avec les rétroviseurs, d’une affligeante banalité et ne réfléchissant que les coudes. Hormis ces errances, chapeau pour ce design qui ne plaira sans doute pas à tous mais qui renouvelle le genre avec force et talent: personnellement, j’adore!
Orange
Sous ce design audacieux se cache en réalité la Duke 390. On retrouve donc le cadre treillis cher à la marque autrichienne – dont seule la boucle arrière boulonnée diffère –, les suspensions WP avec la fourche inversée de 43mm et le Monoshock arrière, le splendide bras oscillant en aluminium, le dispositif de freinage et, bien sûr, le monocylindre de 373cc délivrant avec vigueur ses 44ch! Seule différence, l’estampille Husqvarna gravée sur ses carters et la couleur bronze de ceux-ci.
Pour ce comparatif en noir et blanc, nous n’avons pas résisté à nous adjoindre l’orange en point de comparaison. Et la comparaison est vite faite, tant les Husqvarna réussissent, par la seule force de leur habillage, à se démarquer de leur mère donneuse!
L’impression se confirme une fois les machines enfourchées. Si la KTM nous plonge dans l’ambiance supermotard avec une position qui procure un peu l’impression de s’asseoir sur la roue avant, la Vitpilen se veut bien plus exigeante avec ses bracelets qui donnent le sentiment de carrément empoigner l’axe de la roue avant! Au final, la position atypique de la Svartpilen me séduit le plus: les pieds, comme sur la Vitpilen plus en arrière que sur la KTM, un guidon moins haut qu’il n’en a l’air et très peu cintré, ce qui force à plier les coudes.
Résultat, on se trouve un peu penché vers l’avant, dans une position dynamique mais pas exigeante. Original, mais convaincant. Celui qui sera tenté par la Vitpilen sera bien avisé de l’essayer avant de craquer: horriblement éprouvante pour les poignets, elle pèche par un diamètre de braquage 70cm plus grand que la KTM et se révèle vite un calvaire en ville.
Bizarrement, la Svartpilen n’arrive pas à égaler le rayon de braquage de la 390 et réclame 10cm de plus pour faire demi-tour. Même si ce genre de machine ne se destine pas aux voyages lointains, toutes les fesses sont logées à la même enseigne: les selles tiennent plus de la planche à pain qu’autre chose. Et celles des Huskys culminent 5mm plus haut que celle de la Duke, ce qui pourra gêner certaines personnes…
Chaud bouillant
Les prestations du moteur se retrouvent, identiques, sur les trois machines. Le petit monocylindre ne manque ni de caractère ni d’allonge. Mais ne rêvons pas : s’il accepte de reprendre sur les intermédiaires – avec une relative mauvaise volonté – aux environs de 3.500 à 4.000tr/min, il ne commence vraiment à s’exprimer qu’à partir de 5.000tr/min pour grimper avec allégresse jusqu’au rupteur.
A contrario, si on descend trop bas dans les tours, et ça peut se situer aux environs de 3.000tr/min, on peut caler sur un coup de piston et se trouver en fâcheuse posture, expériences vécues dans les embouteillages! En prime, le ventilateur s’enclenche régulièrement, assourdissant sur l’orange, un peu plus discret sur les Huskys. Handicapée par sa position de conduite et son peu glorieux rayon de braquage, la Vitpilen fait bien vite comprendre que la ville n’est pas son terrain de jeu favori.
La Svartpilen s’y montre bien sûr autrement plus convaincante mais il faut bien admettre que le bouilleur KTM, par son tempérament revêche aux basses rotations, ne rend pas l’exercice follement amusant, sauf à se faire plaisir en forçant le trait dans un trafic rêvé sans radars ni pandores…
Le comportement routier ne prête pas le flanc à la critique, et nous retrouvons sur les Husqvarna la précision du châssis affuté de la KTM, avec de petites variations: la position sportive de la Vitpilen accentue le trait, tandis qu’il faudra composer avec la monte pneumatique de la Svartpilen, qui perd un peu en précision ce qu’elle gagne en facilité d’improvisation.
La Vitpilen se montre d’une redoutable efficacité, ce n’est pas elle qui retardera la bande de joyeux lurons qui se lâchent dans la vallée de la Molignée! Mais gare aux revêtements approximatifs, très mal digérés par des suspensions aux réactions fort sèches sur les aspérités. Avec le petit guidon, la confiance se perd vite. La Svartpilen s’en tire mieux dans ce cas de figure, par la grâce de son plus grand guidon et de pneus qui incitent moins à l’attaque à outrance.
Conclusion
Au terme de cet essai durant lequel je me suis régalé, je ne peux que confirmer tout le bien que je pense des petites machines. Légères, agiles, et si peu avares en sensations: les deux austro-suédoises tiennent avec brio les ambitieuses promesses de leur design particulièrement réussi.
Je veux une Svartpilen… mais blanche! Attention toutefois à ne pas se faire piéger! Celui qui, séduit par une ligne hors normes mais peu au fait du monde de la moto, craquerait pour une Svartpilen, à fortiori pour une Vitpilen, serait bien avisé de les essayer avant de signer le chèque.
Ces motos aussi amusantes que séduisantes, n’en possèdent pas moins un caractère bien trempé: les monocylindres couillus comme ceux produits par KTM se montrent exigeants et nécessitent un minimum d’expérience pour en tirer parti. Un usage placide en zone 30 n’est pas leur tasse de thé… Achetez sans hésiter mais en connaissance de cause.
Et si le prix vous fait tousser, il reste la KTM 390 Duke qui offre les mêmes prestations, le style exclusif et innovant des Husqvarna en moins!
HUSQVARNA SVARTPILEN 401
Les up
– Style novateur
– Caractère moteur
– Polyvalence
Les down
– Duo impensable
– Hauteur de selle
– Confort limité
HUSQVARNA VITPILEN 401
Les up
– Style innovant
– Moteur toujours aussi expressif
– Rigueur du comportement
Les down
– Position de conduite exigeante
– Tableau de bord décevant
– Suspensions raides
Consommation mesurée: 4,05l/100km
Prix de base: 6.495€ (Vitpilen 401), 6.595€ (Svartpilen 401), 5.650€ (KTM 390 Duke)