Honda CB750 K0 1970: Et la planète moto ne fut plus tout à fait pareille…

Classic Bruno Wouters
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C’est peu dire que la CB750 marqua les esprits lors de sa présentation, en novembre 1968 au salon de Tokyo. Jamais sans doute de mémoire de motard on n’avait vu machine aussi valorisante et bien finie, reléguant tout ce qui existait à l’époque au rang d’antiquité, ou peu s’en faut!

On resitue l’époque à la grosse louche? Le marché de la moto, moribond sous nos contrées suite à l’essor des petites voitures populaires de l’après-guerre, n’intéresse plus qu’une frange marginale de la population, et celle-ci n’a plus grand-chose à se mettre sous la dent.

Côté européen, les constructeurs anglais proposent certes des machines légères et véloces mais de plus en plus obsolètes faute d’investissement et, dans tous les cas, peu fiables. Rouler british implique de sérieuses notions de mécanique… Les Allemands? Oui, si vous aviez envie de croiser sur la «bécane des flics»! Les Italiens? Des propositions décalées, comme Moto Guzzi ou Laverda, qui ne touchent pas un très large public, tandis que les Harley-Davidson ne passionnent qu’une frange marginale de bikers (déjà) tatoués.

Et pour le reste? Des petites machines utilitaires de toutes origines, principalement à moteur deux temps. Enfin, au milieu de tout ça, on retrouve les Japonais qui avaient compris qu’il fallait viser un nouveau public avec une offre plus accessible et désirable. Entendez, de jolies machines fiables et faciles à utiliser.

The nicest people

Ne cherchez pas plus loin les raisons de la géniale campagne de pub Honda aux États-Unis: «You meet the nicest people on a Honda» (Vous rencontrez les gens les plus sympas sur une Honda), résumant parfaitement cette clairvoyance qui amorce le renouveau de la moto.

D’abord cantonné dans les petites cylindrées, les Japonais ne tardent pas à se montrer plus entreprenants, brillant en compétition et présentant sur le marché de remarquables machines comme la Honda CB450 dès 1965. Cette moto, sophistiquée avec son double arbre à cames en tête, se montre largement aussi performante qu’une 650 contemporaine. Mais Honda comprend très vite qu’il faut marquer un grand coup avec une machine de plus forte cylindrée et tant qu’à faire, avec un quatre cylindres!

Prises chacune séparément, les caractéristiques de la CB750 n’offrent rien d’exceptionnel: en 1904, notre FN nationale donnera naissance à la première moto équipée d’un quatre cylindres et, en 1968, MV Agusta possède à son catalogue une confidentielle MV 4, par ailleurs équipée d’un double disque avant à commande par câbles. Le démarreur électrique est proposé sur de nombreuses machines plus modestes et les performances dont est capable la CB750 ne sont pas meilleures que celles de la Kawasaki 500 H1 ou des Triumph et BSA trois cylindres présentées à peu près au même moment.

Mais aucune machine ne réunissait alors autant de qualités et, qui plus est, dans un emballage aussi désirable. Aviez-vous jamais vu échappements plus expressifs, signifiant à tous la noblesse de la mécanique? Et si le frein à disque n’était pas neuf, sa commande hydraulique constituait quant à elle une première sur un deux-roues.

Mai 68

La CB750 est belle, infiniment belle, dans ses couleurs vives métallisées, superbement finie jusque dans les moindres détails, généreusement équipée, propre, facile à conduire, confortable, d’une fiabilité quasiment inconnue jusqu’alors. Elle se plie à tous les usages, du grand-tourisme à la compétition, de la frime sur les boulevards aux victoires sur l’anneau de Daytona! Ça, c’est nouveau, et cela reflète un profond changement du regard que la société porte dorénavant sur la moto.

Désormais, elle ne se destine plus seulement aux «purs». Elle s’attaque à un marché neuf. D’objet culte de passionné, elle devient un objet de consommation pour le plus grand nombre de par son attrait, sa facilité et son agrément. Mai 68 est passé par là et avec la révolution naît une soif de liberté à laquelle la «nouvelle» moto (entendez la moto japonaise) répond parfaitement. La moto se fait alors omniprésente, dans la presse, le cinéma ou la publicité.

La passion pour la marque Honda s’empare de Marc Ysaye dès son plus jeune âge. «Quand j'avais 12 ans, je rêvais de posséder une CS50. Impossible évidemment, il fallait être âgé de 16 ans pour empoigner un guidon. Pendant quatre ans, j'ai cassé les pieds de mes parents et la veille de mes 16 ans, j'arrive à la concession Carlier sise chaussée de Mons, à Anderlecht, ravi de pouvoir passer aux choses sérieuses. Demi-catastrophe, j'apprends que le modèle n'est plus fabriqué. Mais je me console bien vite avec sa remplaçante, la SS50. Fier comme un paon, je roule sur mon petit nuage. Cette époque correspond à l'arrivée des premières CB Four en concessions. Je suis littéralement tombé amoureux de la K0 et tous les jours, je venais admirer celle qui trônait telle une reine dans le show-room. Je me plantais devant pendant des heures, dans l’espoir d’apercevoir un mécano entrer ou sortir de l’atelier au guidon d'une autre K0. Cette machine était vraiment de toute beauté.» Marc Ysaye se souvient d'ailleurs précisément d'une phrase prononcée par un mécano qui, en outre, était parti sans casque: «Je suis certain que je monte n’importe quelle côte à 160 à son guidon.»

Le Graal

Autre temps, autres mœurs… «Mais tout cela pour dire que j’étais absolument fasciné par ce modèle. Quand j'ai commencé à collectionner les motos, dans un premier temps, il y a une vingtaine d'années, j’ai acheté une K2 de 1972 à un ami, la version la plus répandue de la moto du siècle. Je l’ai refaite, elle est désormais superbe et je prends un plaisir fou à rouler à son guidon. Et puis je me suis mis à rêver d’une K0. Je me disais: 'Un jour peut-être, j’aurai une K0'. Le Graal absolu. J’ai cherché pendant 15 ans. Soit les machines trouvées se révélaient impayables, soit elles étaient dans un état qui ne convenait pas.»

Fin 2017, Marc Ysaye a eu l'occasion de se rendre au Collection Hall de Motegi. Il est tout naturellement resté de longs instants à admirer la K0 exposée. Fruit d’un incroyable hasard, quelques jours à peine après son retour, alors qu’il cherche depuis plus d'une décennie, il découvre une annonce, sans photo: «Honda CB Four K0 à vendre», avec un numéro de téléphone. Rien d'autre. Pour le même prix, il ne croit pas au sérieux de l'annonce et passe son chemin… «Je décide d'appeler. Un homme d'un certain âge est au bout du fil. Durant de longues minutes, il me fait passer un véritable examen sur la Honda CB 750 Four K0. J'ai même dû rappeler une seconde fois pour obtenir un rendez-vous et voir la moto.»

Sans doute souhaitait-il céder sa machine à quelqu’un qui s’y connaissait réellement. Une pratique courante dans le milieu des collectionneurs. «Il y a toujours une partie d’affectif qui joue. La personne qui cède sa moto, quel que soit le modèle, souhaite que sa machine continue à vivre après lui. Ces motos portent souvent une charge émotionnelle sur leur selle. Il est donc fréquent qu'un collectionneur choisisse à qui il va céder une moto. C’est d'ailleurs là toute la différence avec les marchands. Comble de l’ironie, cette K0 se trouvait à 15 kilomètres de mon domicile. Je l’ai achetée les yeux fermés. J’ai fait refaire l’intérieur du réservoir. J'ai mis de nouvelles vis platinées, de nouvelles bougies, j'ai nettoyé les carburateurs à fond. Et puis… j'ai prié. Elle a démarré immédiatement. Elle roule très bien et j’aime vraiment me balader sur cette K0. Davantage qu’avec la K2, dont le moteur s'avère un peu moins puissant. Quand on y pense, cette moto va doucement sur ses 50 ans…»

Un demi-siècle. Heureusement, on trouve encore assez facilement des pièces détachées. Il existe un très grand stock aux Pays-Bas, chez CMSNL, ils ont des millions de pièces en stock. «Mais c’est cher. Vous commandez par Internet et votre livraison arrive à domicile. Sinon, il faut chiner. Et donc avoir du temps libre…»

Bien née

La commercialisation débute donc au printemps 69 et le succès dépasse toutes les attentes du constructeur japonais, au point de devoir repenser certains procédés de fabrication. Les carters moulés au sable, caractéristiques des très recherchées K0, dont celle de notre essai, sont vite abandonnés pour des éléments moulés sous pression sur les versions ultérieures.

Attardons-nous d’ailleurs sur ce qui différencie la première génération des suivantes, hormis ces fameux carters. La commande des quatre carburateurs est confiée à des câbles, un enfer à régler! Dès la K1 de 1970, les quatre câbles seront remplacés par un palonnier, avec dans la foulée une nouvelle boîte à air qui passe au noir. Sur la K1 encore, les caches latéraux adoucissent leurs arêtes, perdent leurs ouvertures et exhibent de nouveaux logos «750 Four» et l’extrémité de la selle s’aplatit.

Le reste tient plus du détail, comme l’étrier de frein qui devient noir et une foultitude de petites variations à tous les niveaux: la K0 elle-même a évolué en continu sur près de 300 détails au cours de sa seule année d’existence. Les générations se succèdent, pas toutes importées chez nous, de la K0 de 1969 à la K7 de 1977, avec de ténues évolutions: supports de phare chromés, bol de phare noir, verrouillage de la selle par clé, témoins d’alerte sur platine séparée, variation des couleurs et des graphismes… Rien de fondamental, même si la puissance variera, elle aussi, un peu au fil du temps, perdant quelques chevaux sur les 67 initiaux. La CB750 était décidément bien née, pour rester au catalogue près de dix ans sans grandes évolutions autres que cosmétiques.

Toujours actuelle

Saint Graal de tous les amateurs de «Four, la 750 K0 s’offre à mon regard admiratif. Rutilante malgré ses presque 50 ans, la «vieille» a de beaux restes et se montre aussi désirable aujourd’hui qu’à sa naissance. Où que porte le regard, il se régale: ces chromes, ces quatre pots, ce moteur qui déborde de part et d’autre, cette carrosserie Candy Ruby Red, ces deux gros compteurs, ces soufflets de fourche: rien, absolument rien ne dénote, rien n’est à jeter!

Cette moto est tout bonnement splendide, même en 2018! Imaginez alors l’effet qu’elle a pu produire en 1969… Une petite impulsion sur le démarreur et le «quatre» craque immédiatement, laissant échapper une belle et sourde sonorité par ses quatre pots. Une fois en selle, je suis surpris par la hauteur de celle-ci: un bon 800mm. Prenez également en compte la largeur de la machine et vous comprendrez pourquoi elle ne facilite pas la vie des plus petits d’entre nous.

En outre, cette CB pèse son poids. Environ 240kg tous pleins faits, avec un centre de gravité assez haut perché. Pour le reste, rien à dire sur la position, hyperdétendue avec ce grand guidon destiné au marché américain et bien vite remplacé par la plupart des propriétaires européens, goûtant peu la prise au vent à une époque où il n’était pas encore question de limitation de vitesse…

Tout à fait contemporaine dans la douceur et la précision de ses commandes, la CB se laisse emmener avec facilité: embrayage doux, verrouillages de boîte précis, moteur onctueux et policé rendent le premier contact aisé. Nul besoin de compétences particulières: à nouveau on mesure le choc que cette machine a pu, par sa facilité, représenter à son lancement.

Un peu physique à mener en ville pour les raisons évoquées plus haut, la CB750 dévoile tout son potentiel sur route, avec un comportement routier exempt de tout vice et un moteur aussi conciliant dans les basses rotations que vigoureux dans les tours. Le confort reste de bon aloi et seul le freinage date cette moto. S’il fit beaucoup pour la notoriété de la 750, le disque peine aujourd’hui à convaincre, contrairement au tambour arrière qui n’aura aucun mal à bloquer la roue.

Conclusion

Si la CB750 était à l’époque la reine de la route, elle vaut encore aujourd’hui facilement des néo-classiques telles que les Kawasaki W800, Bonneville T100 ou encore Moto Guzzi V7, le style et l’authenticité en plus. Et si vous prenez la peine de lui adjoindre un deuxième disque (les fixations sont prévues et la transformation était courante à l’époque!), vous gommerez son seul défaut… pourvu que vous l’ayez aussi dotée d’une chaîne à joints toriques à la place de la chaîne à vélo d’époque qui rendait l’âme au bout de quelques milliers de kilomètres.

Au vu de la rareté et donc du prix d’une K0, mieux vaut peut-être se rabattre sur une K1 ou une K2. Vous vous bercerez moins de remords à exploiter ces machines qui ont su préserver tout le charme de la K0…