Moto Guzzi V85 TT: Un vent nouveau souffle sur Mandello!

Essais Motos Bruno Wouters
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La vénérable firme italienne sort des sentiers battus avec sa nouvelle V85 TT! Si le marché des trails de moyenne cylindrée constitue son cœur de cible, l’italienne débarque avec des arguments qui pourraient bien faire mouche, sans s’épuiser à une vaine poursuite derrière les cadors de la catégorie. Et si c’était tout sauf idiot?

 

Moto Guzzi, aujourd’hui bien discret en chiffres de ventes, s’appuie pourtant sur une longue histoire et une expertise certaine dans le domaine du tout-terrain, empochant dès 1939 quatre médailles d’or aux Six Jours, disputés en Autriche. Il y eut par la suite les Lodola et Stornello Regolarità, puis des participations plus ou moins discrètes au Paris-Dakar, avec les V2 face à la route, une motorisation emblématique de l’usine depuis la cultissime V7.

Nous retrouvons alors chez Guzzi de nombreux modèles «off-road» en différentes cylindrées, des V35, 50 et 65 TT à la Stelvio, concurrente directe de la BMW R 1200 GS, en passant par les NTX 350, 650, 750 ou encore les Quota 1000 ou 1100… Ça, c’est pour la légitimité. Après, ce sont les choix pris par l’équipe en charge du projet qui définiront la machine.

Et chez Guzzi, prisonnier de l’architecture typique de son twin face à la route, pas question d’écraser la concurrence par une puissance folle. Pas question non plus de viser les poids-coqs avec une transmission par arbre ou d’assommer la clientèle avec une technologie 2.0 aussi coûteuse que déplacée. Et hors de question de sombrer dans la démesure qu’affectionnent certains. Que reste-t-il, alors? Plein de choses, en fait: de l’intuitivité, du confort, de la polyvalence, de l’identité, du plaisir de conduite, de l’efficacité, de la facilité… Voilà, on tient le programme! Mais tout d’abord, revue de détail des forces en présence…

V twin & cardan

Le moteur, bien qu’issu des récentes V9, n’en retient finalement que les côtes internes, tout ayant été repensé et redessiné pour en améliorer les performances, soit 80ch pour 80Nm de couple, dont 90% sont disponibles dès 3.750tr/min. Le travail est conséquent, avec des carters renforcés pour participer à la rigidité de l’ensemble, une lubrification par carter semi-sec avec deux pompes à huile, l’une pour l’alimentation, l’autre pour la récupération.

Que des avantages au procédé puisqu’il ne nécessite plus de radiateur ou de réservoir séparé, tout en garantissant un graissage optimal en toutes situations avec moins d’huile, sans la perte de puissance due au barbotage. L’assemblage mobile est allégé, les soupapes d’admission font appel au titane, les tiges de culbuteurs à l’aluminium. Notons au passage que la distribution se contente de deux soupapes par cylindre et que le refroidissement par air est maintenu malgré des normes d’homologations de plus en plus strictes: tout bénéfice pour la maintenance! L’alimentation est régie par un seul corps de papillon de 52mm, commandé par Ride-by-Wire, ce qui permet de proposer trois cartographies au choix: Strada, Pioggia et Off-Road. Boîte et embrayage subissent aussi leur lot d’évolutions vers plus de douceur et de précision, mais toujours avec un embrayage à sec.

Revenons à l’électronique, abordée avec les trois modes de conduite. Ceux-ci induisent des réglages spécifiques de l’antipatinage (qui peut toujours être complètement déconnecté) et de l’ABS. En bref, le mode Strada offre la meilleure réactivité aux gaz et des réglages du contrôle de traction et d’ABS les plus adaptés au contexte. En mode pluie, la réactivité aux gaz se veut plus douce, l’antipatinage plus intrusif. Pour l’off-road, réponse adoucie aux gaz avec renforcement du frein moteur, antipatinage au niveau le plus bas, ABS sur la roue arrière déconnecté, avec la possibilité de le désactiver sur la roue avant.

C’est tout? Ben oui! Ici, on ne se prend pas la tête à choisir à la carte! Profitons encore du Ride-by-Wire pour goûter à la présence d’un régulateur de vitesse, ce qui nous mène à l’observation du tableau de bord. L’écran TFT, de taille relativement modeste, s’adapte à la lumière ambiante via un senseur et affiche, outre le compteur de vitesse, le compte-tours, l’horloge, le totalisateur, l’autonomie restante, le rapport et le mode de conduite engagés, la température de l’air ainsi que les infos suivantes: trips A et B, consommations moyennes et instantanées, temps écoulé, vitesse moyenne, ainsi qu’un fier slogan «Made in Mandello del Lario» qui prend tout son sens quand des constructeurs européens produisent leurs machines en Asie, ou leurs moteurs en Chine…

Dotation de série généreuse

On continue la revue de détail en relevant un port USB jouxtant le combiné, un deuxième se nichant sous la selle, l’éclairage full LEDs, y compris l’éclairage de jour zébrant les deux optiques d’un aigle stylisé ou les feux arrière rappelant les tuyères d’un jet (Pourquoi? Mystère…). La V85 TT inaugure également la nouvelle plateforme multimédia Moto Guzzi MIA permettant de connecter un Smartphone au véhicule.

Moto Guzzi MIA peut être utilisé pour écouter de la musique et passer/recevoir des appels téléphoniques à l'aide d'un interphone ou d’une oreillette. Il introduit également pour la première fois une fonction de navigation, permettant au pilote de définir une destination sur son Smartphone et de visualiser les instructions sous forme de pictogrammes directement sur le tableau de bord, le tout via un kit d’installation, une App pour le Smartphone et un abonnement.

Pour le reste, le cadre tubulaire en acier à haute résistance semble se prolonger dans le support de phare et l’ensemble porte-paquets et poignées passager. Il se complète par les platines repose-pieds en aluminium moulé sous pression, tandis que carters moteurs et coudes d’échappement s’abritent derrière un massif sabot aluminium. Qui dit Guzzi dit bien sûr transmission par arbre, une exclusivité dans ce segment. Du classique pour les suspensions, fournies par Kayaba (un des rares éléments qui ne soit pas made in Italy!) avec une fourche inversée et un simple amortisseur latéral donc parfaitement accessible, sans biellette mais avec ressort progressif. Du Brembo pour les freins, ça va de soi de ce côté des Alpes!

Rupture

Mais la V8 TT, c’est aussi un style… en rupture avec les concurrentes éventuelles. Un peu «vintage» dans son approche, l’italienne semble puiser son inspiration dans les grandes heures du trail et les années 70 & 80. Cette approche néo-classique ne manque pas de charme. Et, pour avoir pris le guidon de nombreux «gros» trails, le segment «mid-size» ne manque pas de pertinence non plus. Guzzi pense d’ailleurs que les «têtes de gondole» laissent la part belle à des machines plus humaines, faciles et accessibles, sans pour autant priver leurs propriétaires de sensations. En fait, l’essence même des trails de la grande époque, sans doute plus en harmonie avec leur pilote que nombre de machines d’aujourd’hui.

Une machine moins arrogante ne signifie pas pourtant un équipement au rabais, et quand on liste la dotation de série de l’italienne, on se rend compte qu’il ne lui manque pas grand-chose. Tout ce que nous avons décrit ci-dessus, bien sûr, mais aussi les roues à rayons (avec chambres, hélas), le réservoir de 23 litres (autonomie de plus de 400km), les poignées au guidon et les leviers aux pieds réglables, ou encore les protections de mains font partie de l’équipement standard. Il ne faudra piocher dans les options que les poignées chauffantes ou la bagagerie.

Les plus exigeants se tourneront vers le Touring Pack (valises et top-case alu, grand pare-brise, protections de cylindres, phares antibrouillards, béquille centrale et connectivité MIA), le Sport Adventure Pack (pot d’échappement Arrow, amortisseur Öhlins, rétroviseurs repliables et protections de cylindres), ou encore l’Urban Pack (valises en plastique et aluminium, béquille centrale, alarme antivol et connectivité MIA), chaque élément pouvant aussi être obtenu séparément. Il est grand temps maintenant de partir à la découverte du sud de la Sardaigne à son guidon.

Essence de la moto

Au vu de la fiche technique et du poids affiché tous pleins faits de 229kg, je craignais le pire, mais une selle raisonnablement placée à 830mm (selles plus hautes et plus basses disponibles en option) met immédiatement en confiance, tout comme la position typée trail, avec un buste droit et un large guidon à bonne hauteur. Bonne surprise, les genoux ne rencontrent pas les culasses, un défaut parfois observé chez Guzzi.

La satisfaction continue, avec une machine réellement facile et intuitive: dès les premiers mètres, j’ai l’impression de la connaître depuis toujours. Toutes les commandes sont douces, y compris la boîte, l’arbre de transmission ne se fait pas remarquer et le twin, particulièrement conciliant, descend sans rechigner sous les 2.000 tours, permettant de reprendre en sixième dès 50km/h. Je verrai plus tard qu’il se montre aussi alerte à monter à l’assaut de la zone rouge, mais je comprends bien vite que son principal attrait réside dans les mi-régimes, où il se montre bien rempli, produit de bonnes relances et accepte de reprendre avec bonne volonté sans devoir jouer de la boîte pour se situer obligatoirement dans le bon rapport. Ben oui, 80 chevaux avec un moteur vivant, ça le fait, et même très bien!

Le poids, que j’aurais aimé pourtant plus contenu, ne constitue jamais un handicap: la Guzzi se balance avec gourmandise d’un virage à l’autre sans le moindre effort, avec un train avant précis et rassurant. Les suspensions effectuent un excellant travail, réussissant à la perfection ce compromis confort/comportement parfois si difficile à obtenir.

Car si la Guzzi révèle un comportement aussi rigoureux que facile et amusant, elle ne démérite pas côté accueil à bord: la selle est moelleuse, les suspensions absorbent sans rechigner les aléas du revêtement, la bulle en position basse soulage correctement le buste pour ne pas fatiguer, mais laisse suffisamment d’air pour préserver les sensations, sans créer de remous désagréables au niveau du casque. Bon, l’hiver sous la pluie, on sera peut-être content de craquer pour le grand pare-brise…

Revenons sur les suspensions pour noter avec satisfaction la maîtrise des transferts de masse au freinage qui restent modérés malgré le bon mordant des freins Brembo. Décidément, j’éprouve des difficultés à mettre cette Guzzi en défaut, tant elle correspond parfaitement à ce que j’attends d’une moto: de la polyvalence, de la facilité, du plaisir de conduite. L’équilibre entre chaque élément rend cette moto parfaitement balancée, où tout paraît naturel et évident.

Conclusion

Peu de choses à reprocher à la V85 TT au terme de cet essai! Des platines de repose-pieds passager en contact avec le talon lorsque que le pilote prend appui sur la plante des pieds, une deuxième clé pour la bagagerie siglée Guzzi: rien de bien rédhibitoire, face à l’équilibre global de la machine. Même la consommation, 4,6l/100km au terme de notre essai, reste particulièrement raisonnable au vu des conditions. Bien née, l’italienne offre une proposition décalée dans le segment, une machine polyvalente, efficace, amusante et bien équipée, sans devoir recourir à de coûteux artifices.

Certes, il faut sans doute faire preuve d’un peu de caractère et d’audace pour privilégier Moto Guzzi, moins présente aujourd’hui qu’à ses grandes heures, moins présente en tout cas que ses concurrentes les plus en vue. Mais est-ce que cela ne constituerait pas, précisément, une motivation supplémentaire?

Les up

– Machine facile et intuitive

– Équipement de série généreux

– Exclusivité

Les down

– Platines de repose-pieds arrière parfois gênantes

– Poids sur la balance (mais pas ressenti)

– Réseau peu étendu

Prix de base: 11.715€

Consommation affichée: 4,6l/100km

Disponibilité: immédiate

L’humeur du jour

Pendant des années, j’ai rêvé au retour d’une BMW R 80 GS, plus simple et accessible que les 1200 GS, et que la série F n’a jamais remplacée. C’est Moto Guzzi qui a exaucé mes vœux! Particulièrement bien née, cette machine italienne apporte en prime un joli parfum d’exclusivité: la marque possède une riche histoire, produit aujourd’hui moins de 10.000 motos par an, toujours dans le berceau historique de la marque (un endroit dont je ne saurais trop conseiller la visite à tout amateur), privilégiant les sous-traitants italiens de la région pour un véritable «made in Italy» quand la mondialisation règne en maître! Un coup de cœur? Assurément!