Qui l’eût cru? La vénérable firme anglaise Brough Superior ne vécut que le temps de la jeunesse, soit une vingtaine d’années. La voici qui renaît de ses cendres, en France cette fois-ci, quelque 75 ans après sa disparition à l’aube de la Seconde Guerre mondiale! Esprit, es-tu là?
Jeune et française, la vieille et digne anglaise!
Après avoir, à l’invitation de Brough Superior Motorcycles, visité les installations de la marque dorénavant française dans la périphérie de Toulouse, je puis vous affirmer que oui, l’esprit qui animait George Brough de 1919 à 1940 est scrupuleusement respecté… et même davantage, comme nous le verrons plus loin! Fils d’un constructeur de motos, George Brough eut rapidement pour ambition de concevoir les motos les plus puissantes et les plus raffinées qui soient.
Ne cherchez pas plus loin: la première superbike est née à Nottingham dans les années 20 avec la SS 100, capable d’atteindre alors les 160km/h, soit 100mi/h! Nous sommes en 1924… George Brough portait une attention maladive à la qualité de ses motos, construites sur ordre et suivant les désidératas de ses clients, dont le plus célèbre n’est autre que le colonel T.E. Lawrence, plus connu sous le pseudonyme de Lawrence d’Arabie. Grand amateur de Brough, il se tua au guidon de sa septième machine de la marque, dans une manœuvre désespérée pour éviter deux jeunes à vélo. Pendant ce temps-là se construisait sa huitième Brough…
Brough Superior
Petite anecdote révélatrice de la qualité des machines produites par Brough, celles-ci furent décrites comme la Rolls-Royce de la moto, ce qui ne plut que très modérément aux responsables de la marque automobile qui s’en plaignirent auprès de George. Celui-ci invita alors un représentant de Rolls-Royce à lui rendre visite. Visite concluante semble-t-il, puisque George Brough obtint l’autorisation officielle d’exploiter ce flatteur slogan!
Pour qualitatives qu’elles furent à l’époque, les Brough dépendaient cependant de la disponibilité d’un moteur, produit par un constructeur extérieur comme Jap puis Matchless, tandis que les boîtes de vitesses provenaient de Sturmey-Archer ou de Norton. Cette dépendance signe sans doute l’arrêt de mort de la firme au sortir de la guerre, Brough ne trouvant pas sur le marché le moteur qui lui convient. Un Britannique passionné de la marque, Mark Upham, se spécialise alors dans l’entretien et la réparation des belles anglaises sous le label British Only Austria.
Et en 2008, Mark Upham saute sur l’opportunité qui lui est offerte de racheter aux héritiers les brevets et la marque Brough Superior. Mûrit alors la folle idée de relancer la fabrication des prestigieuses machines mais suivant des méthodes contemporaines. Upham prend rapidement contact avec Thierry Henriette, le patron de Boxer Design, pour lui exposer son projet.
Boxer Bikes, Boxer Design
Début des années 80, Toulouse. Le jeune Thierry Henriette lance sa première concession, d’abord avec Yamaha. Bien vite d’autres panneaux tels que Kawasaki, Honda, Ducati, Triumph, Bimota et d’autres encore viennent s’ajouter, parfois sous différentes enseignes, telles que Pacific Bikes ou Road Masters. Mais dès le départ de l’aventure, une volonté farouche de se démarquer anime Thierry Henriette, passionné (déjà!) de design. Boxer Bikes, sous la houlette de Thierry, n’aura de cesse de présenter des prototypes et des motos spéciales, dont plusieurs seront commercialisées en petite série, Boxer Bikes prenant alors même le statut de constructeur, produisant des machines avec carte grise au nom de l’enseigne.
Les connaisseurs se souviendront sans doute de la Vector, de la Sensor, plus certainement de la Lamborghini, une machine très exclusive sur base mécanique Kawasaki, et autorisée par les frères Mimran, alors propriétaires de la marque italienne, à porter le nom Lamborghini: 170kg à sec pour 125ch ; en 1986 ça causait dans le poste!
Tout lasse, tout passe et en 1998, Henriette vend ses concessions pour se consacrer à sa passion: la création de motos et le design, sous une nouvelle entité baptisée Boxer Design, avec de belles références à la clé. À la même époque en effet, l’aventure Voxan bat son plein et Boxer Design présente un splendide Voxan Scrambler dérivé d’un concept élaboré deux ans auparavant par Boxer-Bikes sur base Aprilia.
Ce prototype donnera naissance à la Voxan Scrambler, avec hélas pas mal de compromissions par rapport au prototype. Henriette et son équipe présentent ensuite la Voxan VB1, qui sera produite en interne chez Boxer, sur base de machines livrées nues par Voxan. Cette belle aventure s’interrompt avec la faillite de Voxan, mais si Boxer Design a continué à marquer les esprits avec de très belles réalisations, dont l’Aprilia Blue Marlin, une bonne part de ses activités se veut plus discrète, telles ses collaborations avec divers constructeurs (Ducati, Honda, BMW…).
L’idée de concevoir intégralement une moto ne quitte pas les pensées de Thierry, et l’ambitieux projet se concrétise au début de la décennie avec la SuperBob qui se distingue par son moteur : un V-twin à 88° avec turbo et injection directe, développé par Akira pour le compte de Boxer.
Boxer & Brough
En plein développement de sa SuperBob, Thierry Henriette rencontre Mark Upham en 2013. Un accord est assez rapidement trouvé, avec l’échéance du salon de Milan pour la présentation d’un prototype Brough Superior, et l’obligation de préserver les éléments esthétiques marquants des machines originelles. Pari tenu: la satisfaction du propriétaire de la marque et l’accueil chaleureux du public confortent Thierry Henriette dans ses choix.
Après réflexion et étude de faisabilité, il est décidé de donner suite au projet et de finaliser l’aventure. Un an plus tard, à Milan, en 2014, un modèle quasiment à l’état de production est dévoilé au public et à la presse. Les premières machines effectuent leurs tours de roues en 2015, permettant de poursuivre le développement du modèle pour une production qui prendra son rythme de croisière en 2017. Études et développement seront investis sur les fonds propres de Boxer Design, y compris le moteur, toujours élaboré par Akira sur base des études de la SuperBob, mais dans un esprit collant à celui de la machine, donc sans injection directe ni turbo. Pour la pérennité de l’aventure et rester seul maître à bord, en 2018, Thierry Henriette devient propriétaire de la marque Brough Superior Motorcycles ; Mark Upham gardant les droits pour les anciennes et les produits dérivés.
Fin juin 2019: proche banlieue de Toulouse. Le taxi qui m’amène de l’aéroport me dépose devant un spectaculaire bâtiment recouvert d’aluminium, l’antre Brough Superior, tenant plus d’un navire fendant les flots que d’un entrepôt industriel. Le ton est donné! Le bâtiment abrite 2.000m2 sur deux niveaux, que je parcours avec mes hôtes. Sympa: les bureaux à l’étage, au milieu des prototypes de Boxer Bike et Boxer Design, de la Vector de 1984 à la SuperBob de 2012, sans compter quelques engins électriques.
Changement de décor de l’autre côté du plateau, je découvre l’univers Brough et son ambiance «so british» avec ses canapés Chesterfield, une Brough d’époque, quelques prototypes et des modèles Anniversary célébrant les 100 ans de la marque cette année. Derrière: l’atelier d’assemblage des moteurs. Tout est en effet assemblé ici, en interne. Chaque moteur est d’ailleurs assemblé par un technicien – dont la signature figure sur la machine –, aidé par une équipe qui se charge des sous-assemblages (culasses, boîte de vitesses…).
Le cadre en titane est ensuite fixé au moteur puis l’ensemble descend au rez-de-chaussée où les machines sont montées en fonction des désidératas de clients, chaque moto produite étant déjà vendue. Une partie du rez est dévolue à l’assemblage des motos, l’autre partie se voit consacrée au magasin des pièces détachées et à divers ateliers. Parmi ceux-ci, l’atelier de soudure, où les pièces de titane usinées à l’extérieur sont soudées pour réaliser le cadre.
Clients choyés
On trouve encore l’atelier de chaudronnerie où sont façonnés divers éléments de carrosserie, les ateliers de polissage et de peinture, le banc d’essai… De quoi répondre à toutes les demandes des clients! Car la Brough du XXIe siècle plaît et se vend bien. Comme le modèle Anniversary, par exemple, dont plus de la moitié de la production, limitée à 100 exemplaires pour fêter le centenaire de la marque, est déjà vendue. À 100.000€ le bout, excusez du peu! La clientèle, un minimum aisée, ça va de soi, provient de tous les horizons: ceux qui ne comptent plus leur argent et achètent une Brough sur un coup de tête comme vous achèteriez une Swatch pour l’été, comme ceux qui mûrissent leur achat et s’offrent la folie de leur vie.
Les premiers récupèrent leur moto quelques mois après avoir signé leur chèque, les seconds viendront suivre la construction de leur moto ultime, modifiant parfois les spécifications préalablement établies! Quelques anecdotes amusantes bien sûr, comme ce couple venu commander une moto pour Monsieur et qui est reparti en prime avec une autre pour Madame, ou ce charmant papy de 75 ans, déjà propriétaire d’une SS100 et qui a les yeux qui brillent comme ceux d’un gamin devant l’étal d’un confiseur lorsqu’il se rend dans les ateliers. Il fut le premier à commander une Anniversary, et a choisi le n°100 pour le châssis! J’oubliais un tout petit détail: notre brave homme ne possède pas le permis moto…