Le 10 janvier 1980, un nouveau magazine arrivait dans les librairies de Belgique. Ou plutôt, un journal. Car oui, à l’époque, Moto 80 avait la forme d’un journal. 40 ans plus tard, les choses ont bien changé mais la passion reste la même… Retour sur cette genèse en compagnie des pères fondateurs de Moto 80.
Moto 80: Il y a 40 ans, c’était plutôt culoté de lancer un magazine, qui plus est spécialisé moto?
Pierre Capart: Avec Luc, nous étions déjà actifs en tant que journalistes. En fait, lancer notre propre magazine consistait à prolonger notre activité professionnelle, en prenant notre envol. «Sports Moteurs», qui nous occupait, mélangeait auto et moto. Nous pensions que séparer les deux activités serait préférable. Notre proposition fut refusée. Nous avons donc pris la décision de lancer notre propre «canard».
Luc Paquier: La moto recevait de moins en moins d’espace chez Sports Moteurs. Et en 1980, ses «parts» devaient encore s’amoindrir. Nous avons décidé de franchir le pas et innover en Belgique avec un magazine 100% moto.
Dans la société, la moto occupait une place beaucoup plus marginale à cette époque…
Pierre Capart: Pour schématiser, le marché de la moto a pris son essor dans la seconde moitié des années 70. C’était le renouveau de la moto et l’arrivée des marques japonaises. Malheureusement pour nous, le début des années 80 fut marqué par une chute libre des immatriculations, jusque-là pourtant florissantes. Nous tournions autour des 5.000 «immats» par an. Notre réserve financière n’étant pas énorme, cela nous a posé pas mal de soucis. Heureusement, les importateurs ont décidé de soutenir leur business en nous aidant en annonçant dans Moto 80. Ils croyaient au produit.
Pensiez-vous que l’histoire durerait 4 décennies?
Luc Paquier: Nous n’avons jamais pensé que cela puisse s’arrêter!
Pierre Capart: Les débuts furent compliqués, financièrement parlant. Nous avions 500.000BEF sur la table (environ 12.500€). C’était de la folie. Nous manquions de liquidités en permanence. Nous avons heureusement pu compter sur l’imprimeur pour nous accorder des paiements décalés, car lui aussi croyait au produit. Après deux ou trois ans, nous nous trouvions heureusement sur des rails et à la fin des années 80, le marché de la moto s’était redressé.
Luc Paquier: Passer au format A4, en abandonnant le tabloïd, fut un moment déterminant dans l’évolution du magazine.
Pourquoi?
Pierre Capart: On ne va pas le cacher, les raisons étaient commerciales. Beaucoup de gens ne nous prenaient pas au sérieux, malgré les réactions des lecteurs. Nous avons donc fait un «vrai» magazine du point de vue de la forme.
Luc Paquier: Techniquement, pour les annonceurs, l’A4 s’avérait beaucoup plus avantageux. Avant, certains annonceurs devaient payer des fortunes pour que leurs agences publicitaires ajustent leurs annonces à notre format hors standards… La couleur était également un luxe que nous ne pouvions nous payer. Pour utiliser un scanneur, il fallait faire appel à un professionnel qui travaillait sur une machine coutant 6.000.000BEF, soit 150.000€. Cela semble surréaliste quand on y repense…
Pierre Capart: Rien que la couverture coutait un pont. Tout cela a bien changé.
En parlant d’évolution, Internet a pas mal bouleversé le paysage…
Pierre Capart: Moto 80 fut un précurseur. Nous étions le premier magazine belge à posséder un site Internet. Nous avons connu les débuts de Skynet. À cette époque, toutes les données de votre site se trouvaient dans votre ordinateur… Internet a bien changé les choses. Ce fut, par exemple, le début de la fin des petites annonces et le déclin des petites publicités. Le réseau commercial s’est totalement transformé. De nombreux acteurs ont disparu et de nouvelles structures se sont créées.
Et par rapport au secteur de la moto, Moto 80 a-t-il changé son fusil d’épaule?
Luc Paquier: Nous avons toujours poursuivi l’objectif de plaire à un lectorat le plus large possible. Moto 80 a toujours été un magazine généraliste.
Pierre Capart: La modification de contenu journalistique la plus marquée – et obligée par les circonstances – fut sans doute la diminution, petit à petit, du tout-terrain. Ce marché a pratiquement disparu. Dans le temps, on vendait de la XR, de la KLX ou de la XT à la pelle.
Luc Paquier: Le TT de loisir, nous ne parlons même pas de la compétition, n’existe quasi plus.
Pierre Capart: Le contenu du magazine suit l’évolution du marché. C’est ce qui se passe encore aujourd’hui dans Moto 80. Le marché supersport a fondu. Pendant les années 90, les choppers ont aussi trusté le podium des ventes. Aujourd’hui, c’est place aux voyageuses et aux trails.
Signeriez-vous encore pour pareille aventure?
Pierre Capart: Aujourd’hui, nous nous serions peut-être plantés (rires). Quand Moto 80 a ouvert la voie, d’autres se sont engouffrés, souhaitant se tailler une part du gâteau. Aujourd’hui, les temps sont très durs. Et que constate-t-on? Seul le numéro 1 reste debout en Belgique francophone. Et en France, les monuments vacillent également. Les temps sont durs pour la presse écrite, ce n’est pas spécifique à la presse moto. En partie à cause d’Internet mais aussi parce que de plus en plus de monde se contente de tout survoler, sans vouloir davantage d’infos journalistiques. Et puis, tout le monde croit tout savoir. Un chien avec un chapeau écrit quelque chose sur Internet, et ça devient la vérité.
Luc Paquier: Nous avons allié passion et profession pendant 30 ans. Je pense que nous pouvons regarder sereinement dans le rétroviseur et nous montrer fiers de ces 830 numéros. Ce fut une aventure assez exceptionnelle!
Un regard quand même vers le futur?
Luc Paquier: La moto va continuer à évoluer, c’est certain. Et je pense que la moto «utilitaire» et les scooters sont promis à un bel avenir face aux défis de la mobilité. Cependant, le public moto est assez vieillissant, les permis motos sont également devenus plus compliqués. La question n’est pas nouvelle.
Pierre Capart: Quand nous avons débuté, les voitures empêchaient les motos de passer. C’est également à ce genre de comportement que l’on constate une évolution…