Kawasaki poursuit sur sa lancée dans sa gamme de machines «supercharged». Après la bestiale H2 R, véritable vitrine technologique mais à usage très limité, il y eut la sportive H2 suivie par une déclinaison GT avec le modèle H2 SX. Voici venu le tour de la version roadster, toujours forte de 200ch! Mais sur ce genre de machine, est-ce bien raisonnable?
Techniquement parlant, cette nouvelle Kawa affiche un beau pedigree. Son cadre treillis accueille un quatre cylindres de 998cc équipé, comme le reste de cette famille H2, d’un compresseur entraîné par le vilebrequin. Le but étant bien sûr d’augmenter la puissance mais aussi le couple, surtout dans les moyens régimes.
L’hélice de ce compresseur fait 69mm de diamètre et se voit sculptée directement dans un bloc de métal. Elle est composée de douze pales à la base et de six à la pointe. Pour éviter de vous emmener directement à l’hôpital, Kawasaki n’a pas lésiné sur l’électronique embarquée afin de rendre le bestiau accessible au commun des mortels. Centrale inertielle IMU six axes, contrôle de traction, shifter up and dow, launch et cruise control, ABS actif sur l’angle, accélérateur électronique, embrayage à glissement limité et quatre modes de conduite: Rain, Road, Sport et Rider, ce dernier permettant de faire vos propres choix.
Visiblement, les ingénieurs de la marque se sont lâchés et, avec l’éclairage full LED et la connectivité Smartphone, la dotation se révèle plutôt complète, d’autant qu’un bel écran TFT couleur vient compléter cette liste. Le roadster a cependant perdu le monobras et les jantes en étoiles qu’on retrouve sur les autres modèles H2. Ici, le bras oscillant est dérivé de celui de la sportive ZX-10R. Au niveau de l’esthétique, chacun appréciera la ligne de la machine selon ses goûts mais à coup sûr, le style «Sugomi» adopté par Kawasaki ne laissera pas indifférent. En langage japonais, ce mot fait référence à un prédateur prêt à frapper. Vous voilà prévenu!
Circuit d’écolage
Nous sommes dans le Nevada et notre essai sera divisé en trois parties. Sur le speedway de Las Vegas, nous aurons droit à plusieurs sessions sur un petit circuit tracé à l’intérieur de ce vaste complexe. Ensuite viendra le temps fort de ce test: nous emprunterons l’anneau de vitesse réservé d’ordinaire à la série automobile Nascar. Nous aurons ensuite l'opportunité d’essayer cette nouvelle Kawa dans l’arrière-pays pour un petit ride d’un peu moins de 200km à travers les réserves naturelles de la Fire Valley.
Mais revenons au début. Le fond de l’air est frais ce matin mais le soleil bien présent promet une belle journée lorsque je m’élance pour la première session. Ce petit tracé de 2,5km s'avère parfait pour découvrir directement les possibilités de la moto. Cela tourne beaucoup mais il y a quelques portions rapides et les dégagements ne manquent pas. On peut donc y aller en toute franchise!
Quelques gros freinages permettent également de valider d’emblée un point technique visiblement bien soigné. La combinaison des étriers Brembo M4 32 et du maître-cylindre Nissin assure un excellent retour d’infos en même temps qu’une puissance impressionnante mais parfaitement maîtrisable. Tel quel, c’est parfait. Je n’ai même pas eu à régler l’écartement du levier. Certains collègues se plaindront pourtant d’un déclenchement intempestif de l’ABS mais je n’ai rien connu de tel, ou alors en insistant lourdement. Aucun relâchement non plus malgré l’enchaînements des runs et le poids tout de même conséquent de cette ZH2 qui affiche 239kg avec les pleins sur la balance.
Le poids, justement, parlons-en. La première session ne me rassure pas vraiment sur le train avant alors que la monte pneumatique, des Diablo Rosso III, doit normalement se montrer à la hauteur. La moto bouge pas mal et plonge au freinage, ce qui donne ensuite une entrée de virage manquant de netteté.
De retour aux stands, je demande donc une petite modification et un durcissement de la fourche en compression et en détente. Renseignements pris, j’étais à peu près à mi-chemin de la plage de réglage et je souhaite durcir jusqu’à environ 30% du maximum. Quelques clics aussi pour raffermir l’arrière, mais dans une moindre mesure, et c’est reparti. La moto se montre immédiatement plus agréable et ne génère plus ce flou dû aux changements d’assiette trop violents auparavant (peut-être est-ce là aussi une partie de l’explication concernant l’ABS qui intervenait trop vite sur d’autres motos).
Bien sûr, miss H2 n’est pas une machine de circuit. Mais elle ne se débrouille pas trop mal dans l’exercice, surtout en regard de son poids. Les changements de direction sont faciles et, même s’il y a de l’inertie, on peut parler d’une relative vivacité. D’autant que le moteur a quand même du répondant!
Sifflement caractéristique
Deux cents chevaux, effectivement, ce n’est pas rien. J’ai d’abord sélectionné le mode Sport qui délivre la pleine puissance mais en laissant malgré tout le contrôle de traction sur la première des trois positions, soit celle où il intervient le moins. Dès les premières accélérations, je me rends compte que ça pousse fort mais que l’arrivée de la puissance se fait de manière progressive. J'observe un très léger temps mort et après, la cavalerie déboule mais il s’agit plutôt d’une très grosse poussée que d’un coup de pied aux fesses.
C’est dans les mi-régimes que le 4 cylindres s'affirme le plus volontaire et le plus impressionnant. Par rapport à la sportive H2, Kawa a joué sur la longueur des tubulures d’admission et c’est là où l’action du compresseur se fait vraiment sentir. Une fois cette zone passée, l’aiguille du compteur de vitesse monte toujours vite mais elle ralentit un peu. Je passe ensuite en mode Rider et coupe le contrôle de traction pour vérifier si je vais me retourner à la première grosse accélération. Il n’en est rien. Certes, il convient de faire attention, bien sûr, mais la Z H2 ne se transforme pas en cheval fou pour autant.
Je note bien quelques glisses sur l’angle en sortie de virages mais même avec de grosses sensations à la clé, il faut le faire exprès pour que ça devienne dangereux. Telle qu’elle, la moto permet donc de s’amuser franchement sur circuit sans aucune modification à part quelques clics sur les suspensions. Voilà déjà un côté bien sympa décuplé avec un souffle évocateur à l’accélération suivi, à chaque coupure de gaz, du sifflement de la turbine qui libère son trop plein de charge. Une bande-son inhabituelle et jouissive!
Vegas Speedway
Tout cela est bien beau mais il est temps de passer au gros moment de la journée: l’ovale et ses virages relevés! C’est donc avec un petit pincement au cœur que je pénètre dans l’arène à l’ombre des immenses gradins. Je monte les six rapports à pleine charge avec, à chaque fois, un léger guidonnage au passage du shifter et le virage numéro un est déjà là qui se dresse droit et menaçant. Il se trouve, en plus, complètement dans l’ombre et la piste est tellement large qu’on ne sait pas trop où il convient de déclencher la courbe, ni quelle ligne tenir.
Je choisis donc de rester plus ou moins au milieu du banking et je m’applique à augmenter progressivement la vitesse. Ce n’est pas si évident et il ne faut pas croire qu’il suffit de mettre à fond. J’arrive à un peu plus de 260 au compteur dans le 3e virage mais je coupe quand même bien avant de prendre le mur relevé et de réaccélérer tout au long de la courbe.
Dans le 4e virage, il me semble qu’il faut revenir vers la corde pour filer au plus vite vers la ligne d’arrivée. Mais chaque virage est différent dans sa courbure comme dans son inclinaison et il faut certainement enchaîner pas mal de tours avant de découvrir toutes les subtilités de cet anneau. En fait, la difficulté provient du fait que l’on ne sent pas vraiment où se trouve la limite. La H2 se montre à l’aise dans l’exercice et prouve qu’elle reste très stable à ces hautes vitesses, ce pour quoi l’exercice était sans doute prévu.
Mais dépourvue de protection au vent comme tout bon roadster digne de ce nom, elle me martyrise le cou dans les lignes droites d’autant que mon casque est équipé d’une caméra qui freine énormément. La mentonnière vient toucher le visage et j’ai l’impression que la jugulaire va m’arracher la gorge. Autre particularité d’un ovale: on a le temps de penser.
Comme il y a peu de mouvements à faire sur la moto en comparaison d’un circuit classique, vous avez tout le loisir d’imaginer l’incident mécanique. Rare sans doute mais un défaut des pneumatiques ou de la chaîne à ces vitesses vous enverrait droit dans le mur qui n’est jamais loin! Un moment riche en sensations, en tous les cas, et qui vaut la peine d’être vécu. Un moment qui permet aussi de relever encore un dernier point concernant le moteur.
Du virage 2, je sors chaque fois aux environs de 225km/h. J’ai devant moi une belle ligne droite et bien couché sur la moto avec la poignée dans le coin, je m’attends à prendre un bon paquet de bornes. Or, j’arrive à chaque fois à l’entrée du virage 3 aux alentours des 260km/h, pas plus. Cela confirme ce que j’avais déjà ressenti sur le petit circuit: le compresseur bonifie fort les mi-régimes mais calme le jeu ensuite. Ce n’est pas comme un turbo entraîné par les gaz d’échappement et qui continue à pousser. Bon, loin de moi l’idée de dire que c’est poussif pour autant. On a quand même affaire à 200ch. Mais il est important de bien décrire l’influence de cette forme de suralimentation qui est assurément la particularité principale de cette moto.
Mode fusée
Et justement, il reste la dernière partie routière à aborder, certainement pas la moins intéressante puisqu’à la base, notre H2 est quand même faite pour ça! Après une bonne nuit de sommeil, nous nous dirigeons donc vers les montagnes environnantes sous la conduite de notre guide.
Notre monture prend ici tout son sens, d’abord dans la circulation en traversant les faubourgs de la ville où la disponibilité et la souplesse de son quatre cylindres se font remarquer. Malgré sa grosse cavalerie, notre Kawa sait se montrer encore une fois docile et parfaitement éduquée. D’autant que la position de conduite est excellente, le petit guidon droit tombant parfaitement sous les mains et les repose-pieds placés à bonne hauteur pour pouvoir déplier suffisamment les jambes. On peut aussi profiter de ces moments à basses vitesses pour jouer avec les très nombreuses données distillées par le bel écran couleur TFT.
Température extérieure et même angle maximum pris de chaque côté, rien ne manque et il y a de quoi s’informer! Cette fois, j’ai activé le mode Road, ce qui se fait très facilement en roulant, via le commodo gauche et à condition de couper les gaz. La route est un vrai billard et dans ces conditions, la H2 se montre relativement confortable. Plus par le fait de cette bonne position de conduite que par ses suspensions ou sa selle, large mais mince.
En évoluant entre ces montagnes désertiques et arides, on perçoit mieux la philosophie de cette Z H2 et ce qu’elle peut apporter de nouveau. Je vous explique: vous évoluez tranquillement en profitant de la douceur des commandes et de la bonne civilité générale de cet engin dans la première partie du compte-tour lorsque le véhicule d’un conducteur nonchalant se présente devant vos roues.
Un petit sourire en coin apparaît sous le casque car vous allez pouvoir le dépasser! Vous rentrez un rapport (pas absolument nécessaire mais c’est encore mieux) et vous ouvrez en grand. Bang! Dans un sifflement caractéristique, le quidam indolent est laissé sur place et devient instantanément un minuscule point dans votre rétroviseur tandis que vous disparaissez à l’horizon en mode fusée. Vous reprenez ensuite votre allure tranquille pour, un peu plus loin, remettre le couvert…
Un peu puéril bien sûr, mais c’est finalement le terrain de jeu où cette H2 roadster s’exprime le mieux. De bonnes et bien grasses accélérations qui mettront la banane aux motards expérimentés et procureront une belle poussée d’adrénaline à ceux qui le sont un peu moins. D’autant que ces derniers pourront compter en toutes circonstances sur le concours de l’électronique qui veille au grain. Une philosophie finalement pas si éloignée que ça de la première version H2 apparue dans les années 70 qui, avec son trois cylindres 2T, était une vraie furie en accélération.
Conclusion
Cette Z H2, le roadster actuellement le plus puissant du marché, cultive donc le paradoxe. Celui d’évoluer relativement tranquillement et de manière très civilisée pour, d’un seul coup, vous catapulter dans un autre monde lorsque vous ouvrez en grand. Et ceci sans que jamais vous ne vous sentiez en insécurité, voire dépassé par les événements grâce à la panoplie d’aides électroniques disponibles.
On peut lui reprocher son poids élevé bien qu’il se fasse en partie oublier en roulant. Son look clivant aussi qui ne lui vaudra pas que des adeptes. Mais vous aurez en échange une machine particulière, à l’identité forte et dont le souffle démoniaque vous réjouira, au propre comme au figuré! Suivant les coloris, les tarifs de ce nouveau modèle d’ores et déjà disponible s’échelonnent de 17.599€ à 18.249€.
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