Grâce à un étonnant accord de coopération avec le géant Kawasaki, cette marque exclusive qu’est Bimota a pu dépoussiérer sa propre trouvaille ancestrale, la direction par moyeu directeur Tesi des années 1990. Comment celle-ci se marie-t-elle à la haute technologie du compresseur japonais? Nous avons voulu le savoir. Voici l’essai que Moto 80 proposait dans son n°867 de février 2023, le Guide d’Achat 2023, une brique de plus de 220 pages!
L’acquisition par Kawasaki de 49,9% des parts de Bimota constitue naturellement une excellente nouvelle pour la marque italienne, à la fois tellement exotique et si souvent au bord du gouffre. Dès sa naissance en 1973, Bimota a toujours intégré des moteurs Kawasaki, Suzuki, Honda, Yamaha et Ducati dans ses propres cadres, avec surtout l’ambition d’améliorer drastiquement les qualités dynamiques alors douteuses des motos japonaises. Avec l’évolution de l’électronique et les exigences technologiques en matière d’émissions, le développement de ses propres systèmes d’injection et d’échappement est rapidement devenu trop complexe et bien trop coûteux pour Bimota, surtout pour continuer à faire la différence par rapport aux technologies des Japonais en matière de châssis et de freins, en progrès constants. Avec l’apport aujourd’hui de Kawasaki, les Italiens peuvent librement mettre à profit les solutions matérielles et logicielles des Japonais pour les moteurs et l’électronique, en les associant au moyeu directeur imaginé dans les années 1980 par Pierluigi Marconi. La Tesi H2 est la première véritable création issue de cette coopération, Bimota pouvant se concentrer sur les suspensions avant et arrière à bras oscillant ainsi que la direction.
Assez vague
En quittant la voie des stands sur le circuit de Modena, la Tesi se montre d’abord un peu hésitante. De brefs coups de gaz ne suffisent pas pour la sentir plonger ou se cabrer. Et à très basse vitesse, elle a tendance à osciller de gauche à droite, un phénomène inhérent à la direction par moyeu directeur. Au premier abord, elle se montre donc assez vague. Cette première session de piste se déroule dans des conditions froides et humides. Pas vraiment l’idéal pour la confiance. Ce n’est que lors de la deuxième session, avec des Bridgestone à température et une meilleure connaissance du tracé, que je ressens le déclic au guidon de cette Bimota. Cette Tesi se caractérise par un poids réduit et des masses logées très bas. Avec ses 219 kilos, avec le plein, cette Tesi est nettement plus légère qu’une Kawasaki H2. Elle change de direction avec une étonnante aisance et avale avec brio les sections les plus rapides. Au guidon de la H2 de série, je n’avais pas ressenti les mêmes sensations.
Totalement différent
Même si Bimota fait appel aux mêmes Brembo Stylema que la Kawa H2, cette Tesi offre un freinage totalement différent. Même en plantant un freinage énergique, elle reste parfaitement plane et raide. L’avant ne plonge pas, n’exploitant jamais le débattement disponible. Et l’arrière n’a pas non plus tendance à se soulever. Au guidon de la Tesi, on peut freiner exceptionnellement tard, tout en conservant une stabilité parfaite. Cette Bimota dispose aussi de l’ABS actif en virage de Kawasaki. Les paramètres ont naturellement été adaptés au moyeu directeur, à son poids réduit et à sa distance de freinage raccourcie. Le concept de direction a naturellement aussi ses limites. L’avant de la Tesi ne plongeant pas, la chasse demeure identique. Et donc, en cas de freinage appuyé, cette Bimota ne vire pas plus facilement qu’une moto dotée d’une fourche conventionnelle. La sensation n’est pas aussi uniforme non plus, et je manque de confiance pour poursuivre le freinage jusqu’au point de corde et pousser le pneu avant dans ses retranchements. Dans le même temps, cette Tesi n’est pas une moto de course chaussée de pneus racing. Mais je n’envisagerais même pas de plonger aussi loin sur les freins avec le genou au sol sur une Kawasaki H2.
Retour d’informations
Au fur et à mesure que les sessions s’enchaînent, je m’habitue de plus en plus à ce train avant. Sans jamais souffrir de sous-virage ou d’un déficit d’adhérence. Les réactions sont prévisibles. Si la confiance vient progressivement, il est difficile de savoir dans quelle mesure continuer à aller chercher le dernier carat. Sans doute faut-il commencer à jouer avec le set-up. En adaptant légèrement la géométrie de la roue avant et de la roue arrière, on ne fait guère que déplacer le centre de gravité du moteur. De quoi en faire une moto qui vire plus facilement, offrant un meilleur retour d’informations. Le contraire est possible aussi. Les décélérations assurées par les étriers Stylema sont impressionnantes, sans la moindre réaction parasite, ni à l’avant ni à l’arrière. Si Bimota installait traditionnellement les étriers sous les disques sur les Tesi, ils sont ici pour la première fois logés au-dessus du disque. Selon Bimota, cette implantation améliore l’efficacité du freinage. Malgré mes demandes, pas moyen d’avoir de plus amples explications. Bimota affirme aussi que la Tesi affiche une distance de freinage plus courte que la H2. Notamment grâce à un avantage pondéral de 19 kilos. D’aucuns ajouteront cependant que le train avant de cette Tesi offre sur circuit un moins bon feedback qu’une fourche conventionnelle, ce qui compense alors évidemment la réduction de cette distance de freinage.
Code rouge
Au niveau moteur, la Tesi H2 partage exactement les mêmes composants que la H2 de Kawasaki, qui n’est plus disponible sur le marché. Le constructeur japonais a de toute manière déjà amorti les investissements consentis pour le développement de ce moteur, l’adaptation de l’injection au compresseur, mais aussi la configuration de tous les systèmes électroniques pour préserver la fiabilité de l’ensemble et l’homologation Euro4. Bimota semble enfin avoir accepté l’idée qu’il vaut mieux adopter la technologie japonaise plutôt que de se lancer dans le développement de son propre système d’injection. Histoire de ne pas répéter l’expérience de la SB8R et du V-Due 2-temps. L’inconvénient, c’est évidemment que ce bloc H2 est certifié selon la norme Euro4 et est donc doté d’une ligne d’échappement de série qui n’est guère latine dans son caractère.
Heures supplémentaires
La H2, mais aussi la H2R qui n’est pas homologuée pour la route, je l’avais découverte personnellement lors de la présentation internationale à la presse au Qatar. Et j’avais été totalement abasourdi par l’énorme puissance délivrée par le compresseur. Kawasaki a par la suite adapté cette mécanique pour satisfaire à la norme Euro4. Mais avec 231ch, cette mécanique demeure démoniaque. Lors de la première session de piste, humide et froide donc, le contrôle de motricité fut mis à rude épreuve en raison du mode de conduite conservateur choisi. Après un passage par les stands, j’ai pu profiter du mode normal et la Tesi a alors pu étaler ses différentes personnalités. Le niveau de performance à moyen régime est tellement phénoménal qu’il est indispensable de réinitialiser le cerveau. L’afflux de puissance fait travailler à plein régime le contrôle de wheeling et le contrôle de motricité. Si le tracé de Modena peut apparaître un peu juste pour les sportives, la Tesi s’y sent vite à l’étroit. Même sur la seule ligne droite du circuit, l’accélération est sidérante. Le compresseur a un effet addictif, tant en ce qui concerne la puissance délivrée que la sonorité générée.
Circuit plus rapide
La Tesi H2 est naturellement bien davantage taillée pour les circuits (bien) plus rapides, même si le petit tracé de Modena a permis de mettre en évidence l’un des griefs classiques adressés à ce moteur : sa nervosité. Si celle-ci peut être camouflée en adoptant d’autres modes de conduite ou en ajustant le Traction Control, ses réactions demeurent très vives. Même si les filets de sécurité électroniques sont redoutablement efficaces, il est très compliqué de faire parler la puissance de manière civilisée sur les rapports inférieurs. Mieux vaut donc enquiller rapidement les rapports. Mais peut-être est-ce simplement trop demander de combiner la puissance maximale phénoménale et le couple sensationnel à moyen régime d’un moteur suralimenté avec une certaine souplesse à faible régime ? Il ne reste qu’un remède : emmener cette Tesi H2 sur un tracé plus rapide. Et au vu du souvenir que m’avaient laissé dans cet exercice les Kawasaki H2 et H2R, je trépigne d’impatience à l’idée de limer le bitume d’une autre piste.
Conclusion
La Bimota Tesi H2 ne sera pas la tasse de thé de tous les motards. Même si elle possède sans doute la meilleure mécanique japonaise qui existe (même avec la norme Euro4), le moyeu directeur ne conviendra tout simplement pas à tout le monde. Son injection rend également cette mécanique agressive à bas régime. Et il existe – doux euphémisme – des motos moins chères qui affichent de meilleures performances. Mais si vous voulez vous démarquer et que vous êtes à la recherche d’une puissance démoniaque sous des dehors exclusifs, mieux vaut être rapide : seulement 250 exemplaires de cette Tesi H2 seront produits. Et sans doute plus important encore : c’est quand même génial de se dire qu’il existe encore des concepteurs capables d’imaginer ce genre de moto extravagante et de réellement les développer.