Essai Indian 101 Scout: Retour aux sources

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En 1928, l’Indian 101 Scout était sans conteste la moto la plus sportive du marché. Près d’un siècle plus tard, à l’occasion d’une gamme renouvelée et qui ne comporte désormais pas moins de cinq modèles, la 101 Scout tente une nouvelle opération séduction en s’appuyant sur de solides arguments. Pour la globalité du marché, on oublie, mais c’est peut-être la moto la plus séduisante de son segment. Et si on allait l’essayer sur ses terres natales, en Californie, pour trancher ?

Texte Philippe Guillaume – Photos Indian

La petite maison dans la prairie, on ne l’a pas trouvée. En revanche, au croisement des routes 35 et 64, on est tombés sur une vieille auberge plus que centenaire, à l’ombre, non pas de ce que nombreux prennent pour des séquoias, mais des redwoods, plus fins et pouvant culminer à plus de 110 mètres (contre 90 pour les séquoias). On y accède par une jolie route, bien sinueuse et défoncée par endroits. L’auberge est là depuis 1900. Au début, elle s’appelait “Four Corners” (quatre coins) : on y prenait un café avant de changer de direction, sans se douter que, un siècle plus tard, plus bas dans la vallée, à Palo Alto, dans la vallée des milliardaires de la tech, une maison très moyenne se négocierait autour de trois millions de dollars. En 1960, Alice Taylor a repris le lieu : en toute simplicité, c’est devenu Alice’s Restaurant, un endroit incontournable pour les motards et les automobilistes qui veulent faire une pause en prenant un café ou déguster un burger. Alice’s Restaurant est en effet à une distance raisonnable de San Francisco, San José, Santa Cruz. Sur le parking, c’est le salon du pick-up à moteur V8, on y trouve pléthore de motos, mais aussi un Polaris Slingshot ou une Porsche Carrera GT – oui, celle avec le V10. Plein les yeux, plein les sens.

Un soda noyé de glaçons. Un banc en bois. Une carte de menus : là, il va falloir se décider. Au menu, c’est simple, on a le choix entre le Norton Burger (avec du bleu et du bacon), le Harley Burger (saucisse et bacon), le BMW (champignons et bacon), le Suzuki (teriyaki et ananas), le Honda (poulet 100 % naturel) et un curieux Le Mans (champignons et fromage suisse). Ne souhaitant pas entrer dans des querelles de chapelle, j’opte prudemment pour le Jalopy (aux jalapeños, des piments doux), sans manquer de noter, avec un rien d’ironie, qu’un Indian Burger aurait eu sa place au menu.

QUOI DE NEUF, DOCTEUR ?

Une vingtaine d’Indian Scout 2024 sont garées devant l’enseigne. La marque américaine a renouvelé son best-seller : une décision d’importance, puisque sur la génération précédente, 93 % des acheteurs de Scout ont fait leurs premiers pas avec la marque Indian. Une Scout qui est même la première moto de 28 % des acheteurs ayant un permis tout frais en poche. On le verra dans les pages qui suivent, la gamme comporte désormais cinq modèles, contre trois auparavant. Si la Classic et la Bobber sont reconduites, l’ancienne Rogue devient Sport. Nouveautés : une version Super, à la vocation routière, et cette 101, plus sportive. L’effet « nouveauté » ne saute peut-être pas aux yeux quand on regarde les lignes des Classic et Bobber. Pourtant, tout, ou presque, est nouveau : si les lignes évoluent subtilement, le simple silencieux d’échappement et le radiateur, plus petit et mieux intégré, signent cette nouvelle génération de Scout. Nouveau aussi, le moteur : pour passer de 1.133 à 1.250 cm3, les ingénieurs ont fait grimper l’alésage de 99 à 104 mm, la course restant à 73,6 mm.

La puissance a gagné 17 % : elle se situe désormais à 111 chevaux sur notre 101 (105 sur les autres – la différence est juste l’effet d’une cartographie), tandis que le couple a fait un bond de 14 % (avec 108 Nm – voire 109 Nm sur la 101). Par acquit de conscience, on rappellera que chez Harley-Davidson, le Nightster 975 sort 89 ch et 95 Nm, quand le Sportster 1250 S envoie 121 ch et 125 Nm. L’Indian tient donc son rang, même si la question de la puissance leur semble secondaire : « On fait des enquêtes avec nos clients, nous explique Ben Lindaman, chef de produit chez Indian. « Ce que veulent nos clients, c’est une moto basse, accessible, placée au bon prix, mais personne ne nous demande plus de puissance. »

UN NOUVEAU CADRE EN ACIER

111 ch, 109 Nm : des valeurs qui sonnent bien sur cette 101. Comme les quatre autres modèles de la gamme, elle repose aussi sur un nouveau cadre, qui n’est plus en aluminium, mais en acier. Quand on lui demande si ce nouveau cadre est plus ou moins lourd ou rigide que l’ancien, le designer Ola Stenegärd, hipster haut de gamme et excellent compagnon de route par ailleurs, botte un peu en touche : « Tu sais, chez Indian, on n’est pas des maniaques de la balance. On fait des pièces, on essaie d’être les meilleurs de la catégorie, mais ça ne nous travaille pas plus que ça. Une moto américaine, ça doit peser son poids. Tiens, quand je bossais chez BMW, on a failli renvoyer un designer parce qu’il ne parvenait pas à dessiner une pédale de frein arrière qui était plus légère que celle du meilleur concurrent du segment ; à l’époque, c’était Yamaha. Ce que je peux te dire, c’est que l’évolution de la technologie fait que notre nouveau cadre en acier ne peut pas être moins performant que l’ancien cadre en alu. Après, je n’ai pas les chiffres. »

Bon, moi, je pense qu’il les connaît les chiffres : poids, rigidité, ça doit se savoir en interne. Mais comme Ola boit du Dr Pepper, je n’ai pas réussi à le saouler lors de notre dîner commun chez Mel’s Dinner pour découvrir la vérité… Néanmoins, ce moment de partage était fort sympathique. Nonobstant, la nouvelle Scout a gagné 5 kg par rapport à la précédente génération : on s’étonne, notamment parce que le cadre en acier doit être logiquement plus lourd que l’ancien cadre en alu. Mais réduire la taille du radiateur, passer d’un double à un simple silencieux d’échappement, voici ce qui a permis de réduire le poids. Quant au cadre en acier, le discours officiel est de dire que cela est conforme avec la 101 originelle et qu’en plus, ça laisse plus de possibilités de personnalisation. Faut-il être mauvaise langue pour penser que, entre le cadre et l’échappement, ça fait une moto moins chère à produire… ? Idem avec les couvre-culasses, qui étaient assez travaillés par le passé, et qui sont désormais traités en noir ? Allez, on se console avec le tableau de bord TFT couleur doté du Ride Command cher à Indian : complet, lisible, tactile, doté d’un GPS intégré, il se démarque de la concurrence par ses fonctions et son ergonomie. Ce tableau de bord est excellent, point final.

HEY, MAXIME ?

La petite maison bleue, adossée à la colline, on y vient à pied, on ne frappe pas, ceux qui vivent là ont jeté la clé : on ne l’a pas vue. Ce que l’on a vu, en revanche, c’est Lombard Street, qu’on a même descendue : huit virages en épingle, une rue en pente à 27° et qui mesure 180 mètres de long. La vitesse est limitée à 5 mph (8 km/h) ; en réalité, on a roulé plus vite. Peut-être 20 km/h, ouh là là ! : l’occasion de découvrir que la 101 Scout est plutôt agile et précise en dépit des 240 kg à vide annoncés sur la fiche technique.

Avec une selle à 680 mm seulement, la 101 est facile à prendre en main. La marque annonce même plusieurs modèles en accessoires (repose-pieds et guidons) pour se faire une ergonomie aux petits oignons. On verra (lire l’encadré Sport Scout, ci-dessus) ce que cela peut changer. Les 249 kg tous pleins faits ne se font pas sentir, le centre de gravité étant assez bas. Indian revendique un levier d’embrayage (les deux leviers ne sont pas réglables en écartement) plus doux : faute d’avoir pu comparer en direct avec l’ancienne génération, on aura du mal à cerner la différence, mais, encore une fois, force est de constater que cette 1 250 Scout est facile, très facile même, à prendre en main.

111 ch, 109 N.m : des valeurs qui dépotent, un peu. Le nouveau V2 est souple, très souple, il n’a pas un caractère de folie, mais il dévoile une belle allonge. Quelques chiffres ? 95 km/h en première, à la lisière de la zone rouge. 100 km/h à 3.000 tr/min en sixième, tranquille. Le seuil de souplesse ? 70 km/h à 2.000 tr/min en sixième, en étant gentil sur la poignée de gaz. Note pour plus tard : il y a une vraie différence dans les modes de conduite : entre « Normal » et « Sport », la réponse à la poignée est nettement plus directe, au point que c’est rapidement la cartographie que j’ai choisie pour cet essai. Le deuxième jour, à Santa Cruz, nous avons été réveillés par un joli crachin californien : le mode « Rain » (pluie) réduit la réponse à l’accélérateur, avec une cartographie qui bride le gros V2 à environ 75 chevaux. On a essayé, ça colle bien aux circonstances. Le seuil de souplesse ? Il est trop haut pour traverser les agglomérations sur le dernier rapport, mais c’est le cas de tous les gros bicylindres.

BREAKING BAD

Sortie de San Francisco. On sera étonné du nombre de junkies, totalement défoncés au crack ou aux opioïdes synthétiques, tel le Fentanyl, qui traînent dans les rues du centre-ville. Au moins, les producteurs de la prochaine saison de Walking Dead sauront où trouver leurs figurants. Dans les rues de la métropole, la chaleur du moteur est sensible côté droit ; il faut dire que les catalyseurs sont intégrés dans les collecteurs d’échappement. On écarte un peu la jambe au feu rouge, le temps de profiter des vocalises du V8 d’un Ford F150.

Avec la montée en cylindrée et le passage à la norme Euro 5b, le V2 n’a pas gagné en caractère. Il est souple, oui : sur le dernier rapport, en modulant un peu la poignée de gaz, on parvient à tenir un petit 70 km/h à 2.000 tr/min en sixième. Ça sent la weed dans la ville (c’est légal !) et l’eucalyptus dans la campagne. Le V2 tire long, on l’a dit. De fait, sur les petites routes sinueuses du nord de la Californie, c’est compliqué de tirer un rapport : la puissance est là, sans aucun doute. L’allonge aussi. Résultat, on est un peu surpris de la consommation, située entre 5,8 et 6,5 litres aux 100 km à l’ordinateur de bord, alors que le rythme était peinard et que l’on était rarement aux abords de la zone rouge. Un point à surveiller lors d’un essai plus conforme à nos habitudes. Quel train avant ! On se jette dans les virages avec une belle appétence : les trajectoires choisies ne dérivent pas d’un millimètre, la 101 conserve son cap, on prend plaisir à jeter ses presque 250 kg d’un virage à l’autre, en prenant soin de ne pas la poncer sur le bitume, en arrondissant au maximum.

Le V2 devient consistant à partir de 4.000 tr/min, et solide passé la barre de 5.500 tr/min. La zone rouge à 9.000 tr/min ne sert à rien : au-dessus de 8.000 tr/min, la messe est dite. De leur côté, les Brembo radiaux sont conformes à ce que l’on attend d’eux : feeling, mordant, précision, la 101 assure en ce domaine. À l’arrière, les 76 mm de débattement font ce qu’ils peuvent. Ça tabasse quand ça doit le faire, hélas. Selle passager et sissy-bar sont disponibles en option : est-ce une bonne idée ? Pas sûr, en revanche, le rehausseur de guidon est indispensable pour le feeling.

CONCLUSION

La polyvalence n’est pas forcément sa qualité première. Mais cette Indian 101 Scout peut faire valoir un moteur consistant au service d’un châssis sain et plutôt joueur, en dépit d’une garde au sol dont on atteint vite les limites. Cependant, le V2 plein d’allonge sait vous étirer les bras à chaque rotation de la poignée, et le châssis, désormais en acier, est un excellent compagnon de route. Ajoutez à cela un niveau d’équipement qui fait référence et un look plutôt aguicheur : la 101 Scout a ce qu’il faut pour séduire, non ?

Un essai paru en intégralité dans le Moto 80 #883.