Kawasaki va régaler les amateurs de sensations entre les vibreurs et les fans de carénages. Les Verts reviennent en effet avec une Ninja 636 qui ne manque ni de charme ni de qualités. Cerise sur le gâteau, elle demeure abordable. Retour sur une bécane qui a tout ce qu’il faut pour devenir le porte étendard d’une catégorie en pleine renaissance.
Un essai signé Stéphane Lacaze paru dans le Moto 80 #887 – Photos Jean-François Muguet
L’absence d’un segment comprenant des sportives de moyennes cylindrées est un paradoxe incompréhensible dans un marché motocycliste ne manquant pourtant pas de « niches » autrement plus improbables. Pour ceux qui cherchent les sensations fortes, rêvent de vibreurs ou aiment tout simplement les carénages, le choix est des plus restreints. Entre des 1000 hors de prix, à l’entretien ruineux et réclamant de vrais talents de pilote pour être exploitées (autrement qu’en mode Rain – avec les assistances à fond – s’entend) et des machines d’initiation – certes de plus en plus sexy (Yam R7, Kawa ZX-4RR, Triumph Daytona 660) –, c’est le désert. Et la Yamaha R6 ? Plus homologuée depuis le passage à la norme Euro5, elle n’existe qu’en version « Race ». La Panigale V2 ? Sérieux ? T’as vu le prix ?! La Supersport 950 ? Encore trop chère et pas assez sportive. Il ne reste qu’une Aprilia 660 fort réussie, mais un peu juste en termes de performances par rapport à ce qu’on a connu à l’époque des GSX-R 600, CBR600RR et autres Daytona 675.
D’ailleurs, que Triumph ne propose pas une sportive 800 (la marque a tout ce qu’il faut : moteur, châssis…) alors qu’elle est engagée en mondial Supersport et fournit les moteurs de la catégorie Moto2 est aussi incompréhensible que l’absence de KTM sur le secteur, quand les Autrichiens investissent des fortunes en MotoGP. Heureusement, l’arrivée d’une RC 990 est quasiment actée pour l’année prochaine, mais vu l’inflation que connaissent les modèles de la marque orange, on peut craindre le pire. Pourtant, la demande pour des machines efficaces sur piste comme sur route, dotées d’une puissance respectable, plus sexy que des roadsters et proposées à un tarif correct, existe. C’est en tout cas ce que semblent penser quelques constructeurs, comme le prouve le retour de cette ZX-6R, qui est accompagnée d’une Honda CBR depuis quelques mois. De quoi rappeler de bons souvenirs à ceux qui ont connu l’âge d’or de ce type de machines, dans les années 2000, et permettre aux jeunes générations de découvrir de nouvelles sensations.
Le juste milieu
Les premiers tours de roues dans un environnement particulièrement hostile confirment tout l’intérêt de ce type d’engins. Plantons le décor : nous sommes sur le circuit d’Alès, dans le sud de la France, des trompes d’eau se sont abattues sur la région toute la nuit et, visiblement, ce n’est pas parti pour s’arranger. Alors que la piste est détrempée, je choisis la ZX-6R pour mon premier run, au milieu des 400 et des 1000. La Ninja 636 propose en effet, sur le papier, les meilleurs atouts pour s’échauffer dans ces conditions délicates. Sa puissance (presque 130 ch avec l’admission d’air forcée) est suffisante pour ne pas se concentrer en permanence sur le choix du bon rapport, tout en restant raisonnable. Même chose pour son poids, inférieur à 200 kg avec les pleins, ou son gabarit. D’ailleurs, en selle, on se sent très vite chez soi. La Kawa affiche des volumes proches de l’idéal : les pieds touchent par terre sans problème, le réservoir est assez fin pour que les genoux s’y calent naturellement et les bracelets inclinent le buste « juste ce qu’il faut » pour avoir du feeling sans que ça ne devienne une torture pour les poignets. Le tableau de bord digital en couleur – désormais commun à bon nombre de Kawa – est aussi lisible qu’agréable à l’œil. En revanche, la navigation dans les menus, qui change selon les modèles de la marque, réclame un petit temps d’adaptation. D’autant qu’un peu de recherche est nécessaire pour configurer les modes de conduite (Sport, Road, Rain ou Rider) qui combinent cartographies moteur et assistances à la conduite. Pour les premières, le choix est vite fait : c’est Low ou Full, alors les secondes sont plus ou moins intrusives selon le mode choisi. À noter qu’avec « Rider », on peut déconnecter complètement le contrôle de traction. Comme les pneus pluie sont de rigueur et que le tracé d’Alès possède un grip assez phénoménal dans ces conditions, je choisis l’optimisme et règle la cartographie sur Sport et non sur Wet. Le contrôle de traction restera sagement sur 2 (il y a 5 niveaux) et… c’est à peu près tout ce que l’on peut toucher.
Démarreur, le 4-pattes s’éveille dans un miaulement métallique, première et c’est parti. D’emblée, ce qui se remarque est… qu’il n’y a rien de remarquable. La machine s’efface pour laisser le conducteur se concentrer sur le pilotage. Le comportement de la ZX 636 est naturel, facile, équilibré. La poussée est franchement sympathique sans pour autant être effrayante, la connexion entre la poignée de gaz et le pneu arrière frôle la perfection et les à-coups d’injection sont aux abonnés absents. Il faut dire aussi que cette fameuse poignée actionne encore des câbles et n’est pas entièrement électronique. D’un côté, cela nous prive d’un downshift (le Quick Shifter ne fonctionne que pour monter les rapports, pas pour rétrograder), mais de l’autre on retrouve un feeling de gaz assez génial. En se concentrant sur le châssis, on constate que la ZX-6R est d’une neutralité rassurante. Elle suit les ordres du pilote sans se montrer trop vive ou résister. C’est rassurant et ça incite assez rapidement à augmenter le rythme.
Singing in ze rain
J’aime bien la pluie. Est-ce que cela tient aux kilomètres abattus dans toutes les conditions pour le boulot, aux nombreuses courses d’endurance disputées, où l’on est confrontés à des situations sans cesse changeantes, ou simplement à un feeling particulier ? Toujours est-il que je n’ai pas d’angoisse particulière à l’idée de rouler sur le mouillé. J’y prends même un certain plaisir pervers. Surtout avec des pneus pluie Bridgestone dont je connais les performances. Du coup, le rythme arrive très vite et je prends un malin plaisir à doubler mes petits camarades encore en phase « découverte ». La 636 aide beaucoup dans cet exercice, car elle est d’une facilité déconcertante dans toutes les phases de pilotage. L’accélération est idéale : ça pousse fort, mais sans brutalité, de manière à préserver la motricité. D’ailleurs, le contrôle de traction restera muet tout au long de la journée avec elle (ce sera une tout autre histoire au guidon de la ZX-10RR, disponible également lors de cette journée !).
Au freinage, le poids réduit, l’absence d’inertie et la qualité du système procurent à la fois un ralentissement efficace, mais aussi toutes les sensations nécessaires pour tirer fort sur le levier tout en sachant exactement où l’on en est côté grip. Une qualité que l’on doit aux étriers monobloc, mais aussi au maître-cylindre à pompe radiale. Finalement, en passant de la 636 à ses sœurs (ZX-4RR et ZX-10R et RR), il faut juste se réhabituer à prendre l’embrayage pour tomber les rapports quand les autres disposent d’un downshift très efficace. Pour le reste, c’est un sans-faute. Grâce à la rigueur du cadre périmétrique en aluminium (qui devient de plus en plus rare, remplacé par des treillis tubulaires ou des monocoques) Le train avant inspire une énorme confiance, il est à la fois d’une agilité et d’une précision diaboliques, tout en restant rassurant, y compris sur les changements de direction brutaux. La position de conduite permet un parfait contrôle et les tours s’enchainent sans fatigue, mais avec un plaisir constant. À part regretter une bulle un poil plus haute qui pourrait offrir une meilleure protection, il n’y a pas grand-chose à lui reprocher. Les suspensions travaillent très bien dans ces conditions, la fourche (une Showa SFF-BP entièrement réglable, en précharge comme en hydraulique) s’enfonce avec progressivité, renvoyant beaucoup d’informations sur le grip disponible, alors que l’amortisseur (signé Showa également, lui aussi entièrement réglable) permet de passer toute la puissance au sol. La mécanique, de son côté, ne cesse de surprendre. Tant par sa bonne volonté quand il s’agit de reprendre à mi-régime que par l’enthousiasme qu’elle a quand on lui demande de se ruer vers la zone rouge. Il faut dire aussi que, depuis la disparition de l’ancien modèle de notre catalogue lors du passage à la norme Euro5, il a continué à être produit pour d’autres marchés et les ingénieurs ne sont pas restés à rien faire.
En plus du look, désormais inspiré de sa grande sœur ZX-10R et d’un tableau de bord moderne et connecté (via une l’application dédiée « Rideology the app »), la petite sportive a subi une cure de rajeunissement. Ça passe par des disques de frein désormais ronds (les précédents étaient de type « pétales ») et l’adoption d’une électronique plus performante, (auparavant il n’y avait ni modes de conduite, ni cartographies moteur différentes, ni contrôle de traction). La ligne d’échappement a également été revue, l’ABS bénéficie d’une version plus récente (et s’est révélé très discret dans ses interventions), et les évolutions internes du moteur lui permettent désormais de répondre aux normes antipollution tout en restant performant.
Conclusion
Sans réinventer la roue, la ZX-6R nous rappelle combien la catégorie des Supersport est la plus adaptée au commun des mortels. Avec elle, on a le beurre (la puissance, les sensations, l’efficacité), l’argent du beurre (la facilité d’utilisation, la polyvalence) et même un rencard avec la crémière (grâce à l’argent économisé avec une facture raisonnable). Sur route, elle apportera énormément de confiance grâce à des suspensions très performantes et une inertie réduite qui la rendent particulièrement agile. Le seul petit regret proviendra de la monte pneumatique d’origine, des Dunlop Roadsport 2 pas vraiment au niveau des performances de l’engin, que l’on aurait volontiers échangés contre des Sportsmart TT. Bref, Kawa signe un retour gagnant et cette bécane devrait ravir tous les amateurs de sensations fortes, entre les vibreurs comme au quotidien, qui ne veulent pas faire une croix sur l’agrément de conduite, ni se fâcher avec leur banquier.