Essai MV Agusta Enduro Veloce: Symphonie en 3-cylindres majeur

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Un nouveau modèle chez MV Agusta, c’est plutôt rare, et c’est donc à chaque fois un évènement d’importance. Surtout quand, comme c’est le cas ici, il est animé par une mécanique inédite. Un 3-cylindres de 931 cm3 qui ne manque ni de voix ni de charme.

Texte Stéphane Lacaze – Photos MV Agusta

Retrouver le logo MV Agusta sur un trail – un vrai trail hein, avec des roues en 21’’ à l’avant, 18’’ à l’arrière et plus de 200 mm en débattement de suspensions – c’est une sacrée surprise. Dans l’ère moderne (comprenez ces 30 dernières années), je suis à peu près sûr que c’est la première création de la marque livrée en série avec une… béquille centrale ! Il faut dire que le crédo des Italiens, d’habitude, c’est plutôt la sportive sans concession ou le roadster sanguin. Il y a bien eu une tentative d’élargissement de la gamme avec la Turismo Veloce 800, mais sans grand succès.

Et puis, ce qui rend également cette Enduro Veloce particulièrement excitante, c’est qu’elle est équipée d’un tout nouveau 3-cylindres. Par rapport au 800, sa capacité évolue pour passer à 931 cm3, il développe une puissance raisonnable (124 ch), mais surtout un couple très intéressant (102 Nm) dont 85 % est disponible dès 3.000 tr/min. La prestigieuse enseigne n’a pas pour autant vendu son âme au diable, puisqu’elle conserve un vilebrequin contre-rotatif – une coquetterie typique des sportives qui permet d’annuler une grande partie de l’inertie mécanique – et que son moteur très compact n’affiche que 57 kg sur la balance. De quoi être curieux au moment d’appuyer sur le démarreur. Et là, autant vous le dire tout de suite, on n’est pas déçu !

Timbre de diva

Ça commence comme un grondement d’orage. Pourtant le ciel limpide qui éclaire le sud de la Sardaigne pour cet essai n’annonce aucune mauvaise surprise. Non, ce roulement grave est d’origine mécanique. À bien y réfléchir d’ailleurs, c’est moins un orage qu’un allegro digne d’une symphonie. Et pour le coup, quitte à fâcher nos hôtes italiens, la partition tient davantage de la Chevauchée des Walkyries ou de Carmina Burana que des Quatre Saisons de Vivaldi. Ce qui tomberait plutôt bien vu que ce sont les Autrichiens de Pierer Mobility AG qui sont désormais propriétaires de la mythique marque de Varèse. Mais je m’égare. Si j’insiste autant sur la bande-son de l’Enduro Veloce, c’est qu’elle fait partie intégrante du plaisir que l’on éprouve au guidon. C’en est même déstabilisant lors des premiers tours de roue, tant les harmoniques de la belle ont le don de vous charmer comme un chant de sirènes adeptes de rock-métal.

Le 3-pattes grogne et prend ses tours avec l’énergie d’une mécanique de course. Le parallèle devient encore plus évident quand chaque changement de rapport est ponctué par la détonation d’un shifter tout aussi mélodieux. Mais si cette situation n’aurait rien de surprenant couché sur le réservoir d’une F3 800, elle l’est complètement avec la position sénatoriale qu’offre le trail de Varèse. De quoi devenir schizophrène… ou tomber amoureux dans la seconde. Car la belle ne se contente pas d’une esthétique soignée et d’une voix enjôleuse, sa mécanique brille par son caractère et la vigueur de ses reprises. Sans être aussi affable que le 3-pattes d’une Triumph, car il réclame un peu plus d’attention dans les bas régimes, surtout au moment de lâcher l’embrayage, il sait se montrer souple et, surtout, évoluer en douceur quand on le désire. Et c’est ce qui tranche par rapport aux autres productions MV, volontiers caractérielles, qui se distinguent plutôt par leur brutalité. Ici, on évolue dans la délicatesse et la volupté, tout en sachant que la moindre rotation de la poignée droite peut vous envoyer sur orbite.

Les sens du plaisir

Mais avant de chatouiller les tympans, l’italienne avait commencé à flatter d’autres sens. La vue par exemple. Car si elle ne révolutionne pas le genre, l’Enduro Veloce est séduisante. Massive sans être lourde, elle se dote de lignes fluides agréables à l’œil et d’optiques aussi aguicheuses qu’esthétiques. Perso, elle me rappelle un peu les dernières Africa Twin, ce qui n’est pas un mince compliment. Rien à dire sur le choix des matériaux ou la qualité d’assemblage. Même l’absence de démarcation totalement artificielle entre le rouge et le gris du réservoir est une subtilité appréciée, d’autant qu’elle nécessite la patte d’un artisan. La classe, me dis-je, avant qu’un facétieux collègue ne me fasse remarquer que c’est aussi le cas sur certaines peintures de Royal Enfield vendues quatre fois moins cher…

Mais ne boudons pas notre plaisir, la moto est belle et la selle, recouverte d’une matière rappelant l’alcantara, est aussi accueillante pour le postérieur qu’agréable au toucher. Cerise sur le gâteau, malgré les chiffres annoncés (870 mm de hauteur standard), sa forme permet à mon mètre 77 d’avoir les deux pieds bien au sol, alors qu’elle n’est même pas en position basse, cette dernière permettant d’offrir vingt millimètres de marge supplémentaire. Le sens du toucher n’est pas en reste quand il s’agit d’appuyer sur le pavé servant à naviguer dans les multiples menus. Les touches sont agréables et précises à utiliser, même avec des gants, alors que le choix des configurations a de quoi donner le vertige. C’est simple, tout est paramétrable, de la sensibilité de l’accélérateur jusqu’à l’ABS en passant par les cartographies moteur ou les niveaux d’assistances à la conduite. Heureusement, c’est assez clair pour que l’on s’y retrouve facilement. On peut aussi choisir l’organisation de son affichage et, bien entendu, tout ce petit monde peut être connecté à votre smartphone via l’application maison. Mais il est temps de revenir sur les routes, sinueuses et pas toujours très bien revêtues, qui nous accueillent du côté de Cagliari, pour voir ce que notre monture a dans le ventre.

La technique au service du pilote

D’emblée les choix techniques de MV, comme le vilebrequin contre-rotatif qui annule une partie de l’inertie mécanique, se révèlent payants. Normalement, un trail doté d’une jante aussi grande à l’avant privilégie la stabilité à l’agilité, le but étant d’absorber trous, pierres et racines en tout-terrain sans se prendre un guidonnage d’anthologie. De même, avec des débattements de 210 mm on a vite tendance à se retrouver sur un cheval à bascule lors des freinages et des accélérations. Ici, rien de tout cela. Certes la position relax, avec un guidon tombant naturellement sous les mains, des jambes pas trop pliées et une assise droite, confirme que l’on est bien sur une machine polyvalente. Le 3-cylindres étroit reste discret et le réservoir de 20 litres se laisse enserrer sans trop écarter les genoux. Mais le premier virage rassure : l’ADN de la marque est bien présent. L’italienne parvient non seulement à faire complètement oublier sa masse, mais aussi sa grande jante avant. Elle plonge à la corde avec précision et vivacité et se joue des changements d’angle en nécessitant le minimum d’efforts, tout en préservant une rigueur de comportement rassurante. Bref, même à rythme élevé, l’Enduro Veloce surprend par son efficacité mais surtout par une facilité d’exploitation tout à fait inédite chez MV.

Et il y a que quoi être surpris car, sur le papier, l’Enduro Veloce part avec une sérieuse surcharge pondérale face à ses concurrentes. Par rapport à une Triumph Tiger 900 Rally, elle accuse 17 kg de plus sur la balance ! Pour tout dire, elle est dans les mêmes chiffres qu’une Ducati Multistrada V4 S ! Pourtant, on retrouve avec elle à la fois le côté instinctif d’un trail, allié à l’efficacité et aux sensations d’une sportive. La mécanique répond présent dès 3.000 tr/min, permettant de s’éjecter des virages avec une force réjouissante. Fort dans les mi-régimes, le 3-cylindres s’essouffle bien avant l’approche de la zone rouge, située peu après 10.000 tr/min. Il possède assez d’allonge pour conserver le même rapport entre deux virages, mais sans s’enflammer ou impressionner par un ultime coup de boost qui n’arrive jamais. En revanche, quel tempérament, quel caractère, quelle sonorité aux régimes usuels… Bref, quel plaisir ! D’autant que le shifter up&down ne prête guère le flanc à aucune critique.

La perfection n’est pas de ce monde

Globalement, cette MV est enthousiasmante, ce qui ne la rend pas parfaite pour autant. D’abord le tableau de bord ne bénéficie pas d’un verre antireflet complètement efficace, avec un soleil bas, certaines informations seront illisibles. La protection est convaincante, mais la bulle non réglable est dommageable : nous avons roulé par plus de 30° l’après-midi et j’aurais aimé un peu plus d’air, alors que pour les longs périples autoroutiers, relever encore un peu le pare-brise ne serait pas un luxe. Côté assistances électroniques aussi ce n’est pas idéal : elles se révèlent intrusives, même réglées au minimum. Du coup, je me passerai du contrôle de traction et de l’anti-wheeling sans jamais avoir à le regretter tant le comportement est sain. D’ailleurs la qualité des suspensions, qui offrent un compromis confort/tenue/précision absolument superbe (démontrant par la même l’inutilité d’éléments pilotés quand la base est bonne) et celle des pneus (excellents Bridgestone A41) mettent vite à mal la garde au sol, pour le plus grand malheur de la durée de vie de la béquille latérale à gauche et du cache d’échappement à droite.

Nous avons pu nous offrir une courte excursion off-road sur une version équipée de pneus adaptés (Bridge AX41), de pontets permettant de relever le guidon et de setting de suspensions plus souples. Si la position debout est réussie, permettant de bien serrer la moto entre les genoux et de se déplacer à loisir, on est vite rattrapé par le poids de l’ensemble. Les kilos qui avaient disparu sur l’asphalte se font sentir quand il s’agit de manœuvrer dans un dévers, alors que la vivacité du moteur, même sur la cartographie off-road, réclame une attention soutenue pour trouver de l’adhérence sur un sol glissant. Les suspensions demeurent convaincantes malgré tout, ainsi que le choix de jantes Excel haut de gamme, qui encaissent les gros chocs sans broncher et surtout sans dommages. Mention spéciale au freinage Brembo, aussi puissant et mordant sur bitume, que précis et dosable en TT.

Conclusion

Au final, l’Enduro Veloce est inclassable. Jouissive, bien équipée, bien finie, dotée d’une mécanique géniale (même si les réactions de la poignée de gaz électronique paraissent parfois artificielles) et d’un châssis digne de la marque, son tarif ultra-élitiste, ses performances sur route et ses jantes adaptées à l’off-road en font un OVNI dans la production actuelle. En tout état de cause elle mérite le détour (et un essai si vous en avez l’occasion), pour le reste, c’est avant tout l’épaisseur de votre portefeuille qui guidera votre choix !  

*** Coup de gueule : L’arnaque des suspensions électroniques

Depuis 30 ans nos motos ont connu une fantastique évolution. Puissance, freinage, pneumatiques, arrivée des assistances électroniques… Qu’il s’agisse de sécurité active ou passive, le bond en avant est colossal. Sauf en ce qui concerne les suspensions. Ces dernières constituent le maillon faible des motos et, très clairement, le poste sur lequel les constructeurs cherchent à faire des économies. C’est particulièrement sensible sur les machines d’entrée de gamme (MT-07, CB500, Z500…) mais aussi sur des modèles bien plus ambitieux sur lesquels on cherche à vous faire prendre des vessies pour des lanternes. L’apparition des suspensions électroniques est à ce titre symptomatique. À la base, l’idée est excellente : permettre aux motards de passer en un clin d’œil d’un réglage confortable à un autre plus sportif, ou s’adapter facilement à la charge d’un passager ou de bagages. BMW a dégainé le premier dans les années 2000 avec l’ESA et c’était parfait. La situation s’est gâtée avec l’arrivée de suspensions « prédictives » qui prétendent s’adapter en direct à votre style de pilotage ou à l’état de la route. Sans jamais convaincre. Aujourd’hui, le très haut de gamme a évolué positivement mais, souvent, on préfèrerait avoir de vraies bonnes suspensions d’origine plutôt que des versions électroniques qui masquent une efficacité moyenne. Exemple : les suspensions électroniques équipant la S 1000 RR ne sont pas mauvaises, mais ce qui équipe la version ultime, la M 1000 RR, ce sont bel et bien une fourche et un amortisseur mécaniques bien plus efficaces. Les acheteurs d’Enduro Veloce n’ont donc pas à faire de complexes face aux éléments électroniques de la concurrence : Sachs a très bien travaillé et leur qualité ne fait aucun doute ! 

*** MV Agusta en reconquête

Conscient des lacunes de la marque italienne et de sa mauvaise image en termes de fiabilité et de SAV, Pierer Mobility (le groupe déjà propriétaire de KTM, Husqvarna et GasGas, qui possède désormais MV Agusta) a fait effectuer un audit durant un an et demi pour identifier les points faibles et y répondre, avant d’accepter de devenir actionnaire majoritaire. Résultat, une garantie constructeur étendue à quatre ans, des sous-traitants rassurés et un délai pour obtenir des pièces détachées qui est passé de trois mois à moins d’une semaine. La rigueur autrichienne devrait amener le sérieux nécessaire pour que les clients fassent de nouveau confiance à cette enseigne mythique. Par ailleurs, MV Agusta conserve l’essentiel de ses racines italiennes ; R&D, lignes de production et bureaux demeurent à Varèse afin de conserver le savoir-faire et la touche artisanale des MV. L’Autriche récupère la gestion des pièces détachées et le contrôle qualité final. Bref, sur le papier, le meilleur des deux mondes.

Un essai paru en intégralité dans le Moto 80 #882.