En réponse à la menace planant au dessus de la tête des motards bruxellois, la rébellion s’est organisée. Le premier mouvement de grogne a eu lieu le 29 novembre, jour du Black Friday. Loin de la folie consumériste, les motards de tous bords ont unis leurs forces pour délivrer un message clair: nous faisons partie de la solution, pas du problème!
Hasard du calendrier, ces premières lignes ont été rédigées le jour de l’ouverture de la COP 25, la Conférence des Nations unies sur le climat. En cette fin d'année 2019, marquée par une série sans précédent de mobilisations citoyennes pour le climat, les plus gros pollueurs étaient attendus au tournant.
Selon le cabinet Enerdata, les pays du G20 ont été responsables, en 2018, de 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. «Ils vont devoir faire leur juste part de l’effort», affirme Lucile Dufour, responsable politiques internationales et développement à l'association Réseau Action Climat. Cette dernière évoque plus spécifiquement le cas de l’Union européenne. «Actuellement, l’objectif de l’UE vise une baisse de 40% des émissions de GES d’ici 2030. Or, pour être compatible avec l’accord de Paris, ce résultat devrait être de moins 65%».
Ce constat n’a, hélas, rien de nouveau. Les climatologues ont, en effet, sonné l’alarme il y a bien longtemps. Après des années d’inaction, les différents gouvernements des pays européens semblent aujourd’hui pris d’une envie de se donner bonne conscience. Résultat: un lot de mesures, parfois pleines de bon sens mais malheureusement, souvent plutôt contraignantes et, surtout, sans réel fil rouge ni concertation nationale et internationale.
Parmi celles-ci, la volonté exprimée par le Gouvernement bruxellois de mener une étude concernant la pollution émise par les deux-roues motorisés a fait grand bruit puisque cette dernière risque, plus que possiblement, d’avoir pour effet une interdiction pure et simple des motos et scooters thermiques jugés trop polluants. Comme ce fût déjà le cas pour nos voisins parisiens.
Une «étude» discutable
Les médias généralistes n’ont d’ailleurs pas manqué de faire connaître cette volonté à renfort de gros titres tapageurs et qui ont, semble-t-il, déformé l’idée de base. La Fédération de l’automobile et du cycle en Belgique et au Grand-Duché de Luxembourg (Febiac) n’a pas tardé à réagir à ces annonces trouvant leur origine dans une étude de True (The Real Urban Emissions Initiative) et publiée par l’ICCT (The International Council on Clean Transportation – le Conseil international sur le transport propre).
Il faut dire que les résultats de celle-ci, baptisée «Remote sensing of vehicle emissions in Paris», avaient eu don de laisser perplexe: les deux-roues motorisés émettraient jusqu’à 10 fois plus de monoxyde de carbone et 5 fois plus d’oxyde d’azote qu’une voiture à essence! Toujours selon cette étude, les motos produiraient plus de CO qu’une voiture diesel et presque autant de particules fines.
Cette étude fut menée de juin à juillet 2018, à Paris. Sur un total de 180.000 véhicules observés, seuls 3.455 d’entre eux (soit moins de 2% des véhicules contrôlés) étaient des deux-roues motorisés. Un échantillonnage de très faible proportion lorsque l’on sait que le 2RM représente environ 7% de tous les déplacements dans la capitale française. Autre fait pour le moins surprenant, cette étude compare les motos en circulation (neuves et anciennes) à la norme Euro applicable aux nouvelles voitures.
Prendre en compte une telle comparaison n’a tout simplement aucun sens, comme l’a déjà affirmé le Dr. Prof. Leonidas Ntziachristos de l’Emisia (European Environment Agency), qui conclut que la méthodologie employée n’est simplement pas pertinente. Mais le fait le plus stupéfiant de cette étude est qu’elle ne tient absolument pas compte de l’avantage majeur du 2RM: ils ne restent pas bloqués dans les embouteillages! Et ça, ça change tout.
40% de bouchons en moins
Le parc automobile belge compte environ 7 millions de véhicules. Avec 490.000 2RM en circulation, les motos et scooters ne représentent donc que 7% de l’ensemble du parc. Par ailleurs, le kilométrage annuel moyen des motos et scooters en Belgique se révèle sensiblement inférieur à celui des voitures: de 2.000km à 4.000km contre plus de 14.000km!
La Febiac insiste aussi, et à raison, sur le fait que les deux-roues, de par leur poids plus léger et de leur capacité à se faufiler dans les embouteillages, consomment toujours moins de carburant et émettent donc moins de CO2.
Étant moi-même navetteur, je constate chaque jour avec effroi le nombre incroyable de véhicules bloqués dans les files. En voiture, comptez entre 1h30 et 1h45, dont la moitié passé à l’arrêt ou au pas, pour relier la périphérie de Charleroi à nos bureaux situés à Woluwe-Saint-Lambert! À contrario, parcourir le même itinéraire à moto me prend, au grand maximum, une heure. Mon moteur tourne donc beaucoup moins longtemps et émet moins de rejets nocifs.
Pour rappel, il suffirait que 10% d’automobilistes optent pour la moto pour que la congestion diminue de 40%, comme l’a montré une étude diffusée par la Febiac!
Incompréhension
Cependant, il semble que nos «têtes pensantes» n’y aient pas… pensé! Un constat amer qui saute aux yeux lorsque l’on consulte le projet de Plan régional de la mobilité bruxelloise baptisé «Good Move». Sur 186 pages, les 2RM n’y sont en effet mentionnés qu’à deux reprises. Rien d’étonnant, me direz-vous, puisque les 2RM sont également les éternels oubliés de la Semaine de la mobilité. Mais attardons-nous quelques temps sur ce que prévoit Good Move pour nous.
En cherchant bien, nous avons donc pu identifier deux passages où ce rapport évoque la moto. L’un ayant pour but de signaler qu’il est absolument anormal que les deux-roues motorisés aient échappés jusqu’à présent aux zones de basse émission, le second les mentionnant comme étant sur la liste des véhicules à électrifier en priorité, au même titre que les bus. Oui oui, au même titre que les bus, vous avez bien lu!
Face à la menace planant de plus en plus clairement au-dessus de notre passion, les motards se doivent de s’organiser pour faire entendre leur voix. Dans cette optique, une première manifestation a été organisée le vendredi 29 novembre à l’initiative de motards citoyens. Moto 80 était bien entendu de la partie afin d’immortaliser le moment, mais surtout pour y rencontrer organisateurs et participants afin de nous faire écho de leurs voix.
Cette manifestation a eu lieu à l’initiative de Thierry Verezle et Vincent Behrin, tous deux motards et membres d’un petit groupe baptisé «Bruxelles Moto». Vincent habite la région bruxelloise et, comme beaucoup d’entre nous, il s’inquiète pour l’avenir de sa passion. «La ville de Bruxelles a annoncé son intention de bannir tous les véhicules diesel du centre-ville d’ici 2030 avant de s’attaquer à tous les autres véhicules à motorisation thermique. Mais en cherchant bien, j’ai constaté avec stupeur qu’aucune différenciation n’était faite entre les types de véhicules. En poussant plus loin, je me suis aperçu que les intentions du gouvernement visaient tout simplement à exclure, à terme, les motos des zones à basses émissions.» (NDLR voir Plan Climat, dernier encadré)
Action
Face à cet inquiétant constat, Vincent décide de saisir le taureau par les cornes en prenant en charge une bonne partie de l’organisation de cette première manifestation. Le message est limpide: si 10% des automobilistes passaient au 2RM, les embouteillages diminueraient de 40%! 20% de motards en plus signifirait donc la quasi suppression des embarras de circulation!
La moto est un moyen de déplacement individuel, rapide et efficace et doit être reconnu comme tel. «Nous faisons partie de la solution, pas du problème. D’autres pays semblent pourtant l’avoir compris. C’est notamment le cas en Finlande, où le gouvernement incite ses citoyens à délaisser les voitures au profit des 2RM.» S’il est vrai que les motos les plus anciennes affichent des taux de pollution élevés, il ne faut pas oublier qu’à l’inverse des voitures, elles ne disposent que de deux roues et donc, leurs émission de particules fines émises par les pneus et les freins restent bien moins importantes.
De plus, le poids moyen d’une moto oscille autour des 220kg, soit 6 fois moins qu’une citadine. Cela veut dire moins de matières premières nécessaires à la construction et moins d’usure des routes! «Bruxelles a beau prendre toutes les mesures qu’elle veut, la pollution ne s’arrêtera pas à ses portes. Les transports routiers, maritimes et aériens ne cessent d’augmenter année après année. Ces secteurs portent une énorme part de responsabilité dans l’état de la situation actuelle mais c’est au citoyen que l’on s’en prend, question de facilité, je présume.» Une politique climatique cohérente nécessite, en effet, une action bien plus globale visant les gros pollueurs en priorité.
Au niveau du citoyen, ce sont nos libertés fondamentales qui se voient remises en question. Bien entendu, nous ne pouvons pas continuer à produire des véhicules dont les taux de pollution sont les mêmes que dans les années 30.
Mais là où Vincent s’insurge, c’est qu’aujourd’hui, on impose aux gens de changer de véhicule. Et si vous n’en avez pas les moyens? Eh bien tant pis pour vous! «Le parc automobile a toujours eu tendance à se renouveler de lui-même mais à un rythme propre à chaque citoyen. Pour beaucoup, cela représente une dépense colossale. Tout le monde ne garde pas sa vieille voiture ou sa vieille moto par plaisir, nombre d’usagers ne savent tout simplement pas faire autrement. 48.000 voitures vont à nouveau être exclues des LEZ ce 1er janvier, mais comment vont faire les gens qui ne peuvent pas se permettre d’acquérir un nouveau véhicule? Comment vont faire les retraités, les handicapés et plus globalement, toutes ces personnes qui n’ont pas les moyens d’acheter un véhicule neuf?»
Mobilité?
Éternelle absente des discours ayant lieu lors de la Semaine la mobilité, la moto semble être une fois de plus évincée de tous les débats et tel est donc à nouveau le cas dans le Plan régional de mobilité baptisé Good Move. Étonnant puisque ce plan de mobilité est annoncé «apporter une réponse innovante et cohérente au défi de la mobilité en assurant à l’usager des solutions de mobilité adaptées, facilitées et intégrées lui permettant d’opter pour le mode de déplacement le plus efficient tout en diminuant les impacts négatifs du stress lié aux déplacements.» Sommes-nous les seuls à penser que cette définition correspond pleinement aux 2RM? Il semblerait.
«Les décisions prises en termes de mobilité ne laissent rien augurer de bon: on supprime les parkings, les voiries sont parsemées de travaux à n’en plus finir, les zones 30 tendent à se généraliser… Tout est fait pour nous empêcher de circuler librement. Ce sont nos libertés qui sont attaquées et notamment la liberté de se déplacer où, quand et comme nous le souhaitons. Aujourd’hui, nous n’avons rien à gagner, ni aucune victoire à célébrer. Nous sommes ici pour sensibiliser. Bien qu’ayant organisé ce rassemblement, je ne suis qu’un simple citoyen, mais quand je vois le nombre de motards ayant répondu présents aujourd’hui, j'interprète cela comme un signal fort. De nombreux motards ont d’autres idées de manifestation et je les invite à les concrétiser. J’ai organisé ce rassemblement mais je ne compte absolument pas devenir un organisateur récurrent. Par contre, je serai là pour soutenir la cause et j’espère de tout cœur que les motards issus de tout le royaume se joindront à nous pour faire entendre nos voix», conclut Vincent Behrin.
Vous l’aurez compris, cet épineux dossier n’a pas fini de faire parler de lui. Espérons toutefois que ce premier mouvement de grogne ait fait prendre conscience à nos dirigeants que les motards les observent et ne lâcheront pas l’affaire… Espérons également que cette idée parisienne, puis bruxelloise n’invite pas d’autres autorités communales ou régionales à embrayer. Moto 80 restera attentif à la thématique et nous continuerons notamment à essayer d’obtenir des réponses de Bruxelles environnement qui, jusque ici, ignore sciemment toutes nos requêtes.
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Les avis des participants
Julien Goffard – Suzuki GSX-F1250
«La moto reste un moyen de mobilité totalement fluidifiant pour la circulation. Malgré un taux d’émissions polluantes possiblement supérieur aux autres véhicules, il est établi qu’une augmentation significative des 2RM en circulation sur nos routes aurait pour conséquence une diminution drastique des embouteillages et donc, un taux de pollution globalement plus bas. Interdire les motos est clairement un non-sens.»
Alexandre Farkas – Yamaha Bulldog
«Je suis bruxellois et je roule avec une Yamaha Bulldog âgée de 17 ans. Toujours bien entretenue, cette moto est comme neuve mais il se pourrait bien qu’on l’interdise de rouler prochainement. J’estime que cela représente une atteinte à mes libertés et c’est la raison pour laquelle j’ai rejoint cette manifestation.»
Claude Philippe – Indian FTR 1200
«Nous sommes actuellement frappés par un extrémisme écologique invraisemblable. Les décisions que l’on nous impose sont aberrantes. Je suis ici pour soutenir mes compagnons motards mais aussi les automobilistes! Bruxelles est devenu un enfer pour circuler et je pense que cette possible interdiction ne fera qu’aggraver le problème pour toutes les catégories d’usagers.»
Maëlle Crombet – Yamaha XMAX400
«Je ressens cette décision comme étant une atteinte à nos libertés. Les gouvernements tentent de nous faire passer aux véhicules électriques par tous les moyens mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Les coûts financiers et écologiques liés à la production et au recyclage des batteries est colossal. D’autre part, il existe une volonté d’en finir avec les centrales nucléaires mais sans proposer de véritables solutions alternatives crédibles, tout cela est utopique.»
Edwig Vandereecken – Harley-Davidson Sportster 883
«Le trafic sur nos routes est devenu un véritable enfer. Le problème, selon moi, est qu’aucune véritable solution n’est proposée. On nous interdit beaucoup de choses mais en définitive, comment peut-on se déplacer efficacement? Je vis en Flandre et j'évite autant que possible de venir à Bruxelles. Trouver une place de parking s’apparente à un parcours du combattant, sans parler des tarifs demandés! On parle de la pollution des motos, mais avez-vous remarqué le nombre de camionnettes d’un autre âge circulant dans nos villes? J’estime qu’il y a bien d’autres sujets plus importants à régler avant de s’attaquer aux 2RM!»
– Pour consulter le rapport de l’ICCT: www.theicct.org/publications
– Pour consulter le Plan Climat: www.bruxelles.be/plan-climat