Le 21 juillet 1969, en marchant sur la lune, Neil Armstrong déclara « C’est un petit pas pour l’homme mais un pas de géant pour l’humanité ». En dévoilant sa CB 750, cette même année, Honda effectua un pas de géant dans l’histoire de la moto…
Quatre cylindres, quatre carburateurs, quatre échappements ! Bien sûr, auparavant, il y avait eu d’autres quatre cylindres avec l’Ariel et la MV4. Mais jamais une moto de série n’avait suscité autant d’intérêt et provoqué autant de commentaires dithyrambiques. On peut même dire qu’il y a eu un avant et un après la 750, qui a imposé de nouveaux standards à la moto de grosse cylindrée.
Elle était impatiemment attendue par les passionnés qui l’avaient vue en photo fin 1968, quand elle avait révélé des lignes pures malgré son colossal quatre cylindres en ligne en alu poli. Une véritable sculpture! Tous ceux qui étaient en âge de se souvenir, se rappellent de ce jour de fin 1969 où ils ont vu ou entendu pour la première fois la musique d’une quatre pattes. La première vision d’une 750 Honda, c’est comme un premier amour, ça ne s’oublie jamais.
Un son venu d’ailleurs
Pour les motards, c’était un son inconnu, comme venu d’une autre planète. Ils connaissaient le miaulement aigu d’un deux temps, le staccato grave et désynchronisé d’un twin quatre temps mais ils n’avaient jamais imaginé ce feulement sourd et lissé d’un quatre cylindres moderne à faible inertie. Une petite musique propre à ce modèle qui jouera un rôle important dans sa légende. Honda, qui l’avait dévoilée au salon de Tokyo 1968, avait annoncé qu’elle développerait 80ch. Une puissance surréaliste en 1968 où aucune moto ne dépassait les 60ch. Lorsqu’elle vit réellement le jour mi-1969, les fanatiques furent un tantinet déçus car elle n’en annonçait plus que 67 à 8.000 tours, ce qui était encore largement au-dessus de la mêlée. Mais ils ne furent pas déçus quand ils s’aperçurent qu’elle avait échangé son frein avant à tambour contre un magnifique disque à commande hydraulique. Du jamais vu sur une moto de série!
Son ordinaire était d’être extraordinaire
Les premiers et heureux possesseurs de 750 Honda étaient obligés de repousser les curieux qui s’agglutinaient autour de leur monture. Ils attendaient la cérémonie du démarrage, tétanisés par le son bref du démarreur électrique encore très rare ces années-là, éberlués par le râle sourd et tranquille émis par les quatre superbes mégaphones chromés grimpant vers le ciel, scotchés aussi par la vivacité de l’aiguille du compte-tours, aimantés enfin par les chiffres affichés sur le gros tachymètre annonçant 240km/h. Avec pas loin de 200km/h en pointe, la CB750 était la moto la plus rapide de tous les temps. A l’époque…
C’est plus tard que l’on a su que les premières motos essayées étaient très affûtées et qu’une bonne « quatre pattes », qui devint vite son surnom, ne valait qu’un petit 190. Qu’importe! Car si la Kawa 500 déjà évoquée dans cette rubrique était un dragster dont on se lassait vite, la 750 Honda était une vraie moto qu’on aimait davantage chaque jour, car sûre et endurante, fidèle et excitante. Elle conciliait l’inconciliable. Pour la première fois, elle se posa en véritable concurrente des BMW; grande routière capable de rouler à deux sur de longues étapes. Par rapport à la Kawa qu’on aimait pour ses défauts, on chérissait la 750 pour son océan de qualités dans lequel se perdait un îlot de défauts. Ses performances exceptionnelles offertes par un moteur magique, souple en bas, puissant en haut, mélodieux, économique ( 6 à 7 litres aux 100km) et hypersolide, un freinage puissant, une tenue de route saine, un réel confort. Sans être donné, son prix, d’environ 10.000€ actuels, ne la rendait pas inabordable. Pour un prix ordinaire, elle offrait l’extraordinaire.
La légende de la « 4 pattes »
Elle devint rapidement une légende car en s’imposant dès sa sortie en septembre 1969 au Bol d’Or, elle démontra qu’elle n’était pas qu’une « moto à papa » comme les possesseurs de Kawa 500 jaloux voulaient le laisser croire. Rapidement, le jeu de ses propriétaires consista à travailler les chicanes pour que le son feutré se transforme en hurlement bestial digne des anciennes 350 Honda de Grand Prix avant que la mode consiste à l’équiper d’un 4 dans 1 lâchant un son de course dans une mélopée effrénée. La mode consista aussi à monter le double disque optionnel plus efficace à l’avant, signifiant que son propriétaire était un type qui « avionait » car ne se contentant pas de celui d’origine, pas suffisamment puissant pour arrêter vite et bien ses 235 kilos en ordre de marche. En fait, et c’était son plus gros défaut, la CB750 était un peu lourdingue à conduire.
Pendant quatre ans, elle resta pratiquement sans concurrence malgré la sortie de la 750 Suzuki trois cylindres deux temps qui avait beaucoup de qualités mais aussi pas moins de défauts. C’est en 1973 que la Kawasaki 900 Z1 plus puissante écorna rudement sa légende. Sagement, Honda répliqua avec des versions améliorées et fiabilisées mais pas plus rapides. Il fallut attendre la fin des années 70 pour voir naître des modèles plus ambitieux comme la 750 KZ double arbre ou la 900 Bol d’Or. Ce qui n’empêcha pas la 750 d’être produite pendant près de 10 ans, ce qui est exceptionnel pour ce type de véhicule. Aujourd’hui, ceux qui ont possédé une ou plusieurs « 4 pattes » avec laquelle ils ont parfois dépassé les 100.000km en parlent le soir à la veillée avec nostalgie devant leur cheminée crépitante.