La 350 Motobécane était-elle un gros loupé technique ou une colossale erreur de marketing? Certainement un peu des deux et aussi tout le reste.
Lors de son lancement fin 1972, la 350 Motobécane suscita une vive déception qu’elle ne méritait certainement pas. Sûrement parce qu’on attendait beaucoup trop d’elle et qu’en choisissant d’en faire une routière plutôt qu’une sportive comme la récente Kawasaki 350 S2, son constructeur l’avait mal positionnée. Avec sa silhouette plus épaisse et mollassonne, la française manquait drôlement de sensualité face à la japonaise. Enfin aussi parce qu’elle péchait par quelques menus détails de finition qui se voyaient comme le nez au milieu de la figure. Détails de présentation, qu’au contraire, soignaient les Japonais, plutôt que l’intérieur de leurs cylindres. Bref, la 350 bleu blanc rouge était l’antithèse des japonaises qui étaient alors prescriptrices en matière de mode et de technologie. C’est manifestement pour cette raison qu’elle ne trouva pas ses acheteurs. Et c’est bien dommage.
Des handicaps
Il faut dire qu’elle n’a pas eu de bol. Lors de son lancement en France, le gouvernement décida de passer la TVA des motos de plus de 240cm3 à 33%. Un gros coup derrière le guidon qui fut suivi d’un autre encore plus fort avec la crise de l’énergie de 1974 qui limita la vitesse et augmenta le prix du carburant. Motobécane préféra pousser la production des Mobylette qui se vendaient comme des petits pains à cause du prix de l’essence qui avait enflé de près de 50% Quant au réseau, il vit l’apparition de cette moto d’un mauvais œil car attirant une nouvelle clientèle plus exigeante que celle qui venait acheter une Mob bleue. Pour être tout à fait précis, le réseau ne vit jamais cette clientèle puisque la 350 se vendit à seulement 779 exemplaires, en moins de trois ans de vie. Ce n’est pas un échec, c’est une catastrophe industrielle!
Pourtant après une genèse difficile, Motobécane ne manquait pas d’ambition à son égard. Pour ceux qui la trouvaient trop pépère, il avait été prévu de sortir une révolutionnaire version à injection électronique dévoilée au salon 1973. Non seulement, elle allait plus vite mais elle consommait 25 % de moins. Elle devait être extrapolée en version 500 cm3 dont une maquette fut même présentée en 1974 mais qui resta au stade des bonnes intentions vu l’état des ventes. Ah, si la 350 était sortie deux ans avant et si et si. Avec des si, on refait l’histoire.
Sophistiquée
C’est vrai qu’esthétiquement, elle manquait de glamour. Mais avec son gros réservoir de 20 litres, sa large selle moelleuse, son carter de chaîne, Motobécane l’avait définie plus tourisme que sportive. Cela ne l’empêchait pas d’avoir une excellente tenue de route grâce à son original double berceau suspendu bien rigide inspiré par la 125 et un puissant freinage confié à un imposant frein à disque à l’avant de 275mm. Ajoutez un fabuleux éclairage à lampe bio-iode de 110W qui transformait la nuit en jour et aussi un allumage électronique. Et son moteur? C’était un bloc à trois cylindres en ligne 2 temps de 350cm3 refroidi par air (cylindres chromés dur) qui se distinguait par une esthétique particulière due au petit cylindre central avancé pour favoriser son refroidissement. Avec ses petits carters acérés, ses cylindres différents, ce bouilleur ne ressemblait pas aux autres.
4 pots pour 3 cylindres
La 350 se remarquait aussi par ses 4 échappements qui, rassurez-vous, lâchaient des panaches de fumée bleutée odorante, époque où on se shootait à l’odeur d’un deux temps! Il y a 40 ans, les échappements étaient un signe extérieur de richesse, mode lancée par la CB750. Plus il y en avait, mieux c’était! Comme Kawa avait imposé sa signature aves ses fameux deux plus un, Motobécane innova avec 4 pots. Deux de gros diamètre et deux plus petits s’échappant du cylindre central. Ne riez pas, les Flandria Record 50cm3 comptaient également deux pots pour un unique cylindre. Où la Motobec était dans les choux, c’était au niveau des équipements qui sentaient le bon marché comme ceux de la 125 LT3. Les compteurs Véglia, les commandes Saker volées sur une Mob manquant autant de soigné esthétique que tactile, puaient le bon marché. Motobécane aurait dû se fournir ailleurs comme Ducati l’avait fait avec Denso. C’était déjà le cas pour l’excellente fourche avant Télésco, les étriers Lookeed à double pistons ou les jantes Borani en alu.
La gifle!
La presse fut très dure avec elle, plus sur la forme que le fond car elle n’était pas si nulle. Ses 38 ch n’en faisaient pas un dragster face aux 45ch de la japonaise qui commençait à se réveiller en miaulant de bonheur à 7.000tr/mn, régime où le moteur de la Motobécane s’endormait, préférant jouer dans le couple et la rondeur. Dernier point, hélas négatif, elle était aussi chère qu’une 350 Honda « plus classieuse » avec ses 4 cylindres, plus coûteuse que la Kawa S2 et bien plus qu’une Yamaha 350 RD bicylindres. Bref, ça faisait beaucoup trop de croix dans la colonne moins et peu dans la colonne plus. Elle restera l’un des plus beaux loupés de l’histoire de la moto dont le seul titre de gloire est d’avoir été la covedette du film «La gifle» avec Lino Ventura. C’est aussi pourquoi cela en fait une moto terriblement attachante autant pour ses qualités que pour sa destinée brisée car les histoires tristes sont infiniment plus émouvantes et plus belles à raconter que les histoires sans histoire.
Merci pour son aide à Jean Farge, président du Motobécane Club de France et à Erick Villa dont la 350 plus neuve que neuve illustre cet article.
Un sujet de Patrice Vergès publié dans le Moto 80 n°766 de septembre 2014.