Il est des histoires qui pourraient devenir des scénarios de romans à succès où des adaptations réussies pour le cinéma. Le destin de cette machine se déroule sur plusieurs continents et pendant plus de quatre décennies. Une véritable épopée pour une légende encore vivante.
Reconstituer l’histoire de cette moto relève de l’enquête policière. Celle-ci commence au Nigeria il y a très longtemps. A l’époque, la police nigérienne était équipée de Norton. Quelques Européens travaillaient dans ce pays et voyaient ces machines croupir sur place. Un Anglais, pilote d’hélicoptère, parvint à échanger une de ces machines contre un paquet de cigarettes (oui, vous avez bien lu!). Peu après, il retourna en Angleterre et y rapatria la machine. La moto fut alors restaurée grossièrement et notre pilote d’hélico parcourut à peine 500 kilomètres à son guidon pour la laisser ensuite plus de 15 ans au fond d’un hangar où la belle tourna doucement à l’état d’épave.
C’est en 2003 qu’Yves croise cette machine et décide de convaincre son propriétaire de la lui céder. Notre homme entreprend le démontage complet de l’engin jusqu’au dernier boulon. Petit à petit, il rassemble les pièces, déniche les artisans capables de l’aider et acquiert les connaissances nécessaires à la réfection. C’est alors, un peu par hasard, qu’il trouve une Norton avec cadre Seeley. La moto est presque complète, mais dans un sale état. La beauté de ce cadre avait déjà touché Yves depuis longtemps. L’ensemble selle-réservoir avait été réparé par un «cochon», donc il le découpe entièrement, le débossèle, le ressoude et polit le réservoir. La suite est une succession de longues heures de montage, d’essai, de polissage et de réglage.
Frein avant de Yam
Fin de l’hiver 2010, la moto est prête à reprendre la route pour une nouvelle vie, quarante ans après sa naissance. C’est à ce moment que j’ai rencontré Yves et sa machine. Nous nous sommes croisés lors de la journée du Télévie 2010 sur l’esplanade de la citadelle de Namur. Je présentais alors mon projet et la machine avec laquelle j’allais tenter le tour de la Méditerranée. Yves est venu stationner sa merveille à côté de moi et nous avons finalement passé la journée ensemble. Un an s’est écoulé et la Norton a encore bien changé. Plus aboutie, plus belle encore avec sa nouvelle peinture, elle est pour moi à son apogée. Un avis qu’Yves ne partage pas du tout!
«Cette moto est en perpétuelle transformation au gré de mon humeur, des pièces que je trouve et des moyens que je peux y consacrer. J’y ai passé des heures incalculables et dépensé beaucoup d’argent pour ce résultat. Elle ne sera jamais terminée. D’ailleurs, je compte y installer un frein avant de Yamaha TZ et une fourche Ceriani…»
Mais qu’en est-il de la technique ? «C’est une Norton 850 MK IIA de 1973. Le cadre est un Seeley MKII de 1968. Le moteur a subi une réfection complète avec des pistons hautes compressions et des cylindres en alu chemisé fonte «Steve Manet» (Australie). La culasse est d’origine avec des soupapes d’admission d’un diamètre supérieur de 2mm. La boîte est une TTI (Nouvelle-Zélande) à 5 rapports. Même si le look est conservé, l’intérieur est très moderne. Les carters viennent également de chez Steve Manet. Leur fonderie est ultra-moderne et ils sont également plus épais. L’alimentation est assurée par deux carburateurs Keihin de 36mm à boisseaux plats. Un seul câble de gaz les commande via un palonnier. La mise en température étant un peu laborieuse, une petite rallonge de vis de ralenti me permet d’adapter à la demande le régime moteur afin de ne pas caler. Les carburateurs ne sont pas munis de filtres à air, mais seulement de cornets. Je sais que sur route ouverte ce n’est pas très prudent, mais le bruit d’admission de l’air quand on ouvre en grand est tellement jouissif que je préfère prendre ce risque.
L’allumage électronique est un Pazon, d’Australie également. Le freinage avant est confié à un disque de 280mm. La fourche est une Norton d’origine, mais raccourcie de plus de 10cm. Les amortisseurs à gaz sont des Öhlins.. Au niveau déco, tout est peint, il n’y a pas d’autocollant. Je voulais un beau vert anglais, pas un vert «diarrhée de Popeye». J’ai donc trouvé la bonne couleur et le beige est celui des Mustang Shelby. Voilà, c’est à peu près tout. J’ai voulu vraiment faire une bécane fiable et utilisable au quotidien. Au final, je me retrouve avec une moto d’environ 135 kilos, d’un peu plus de 60ch à la roue arrière et qui peut vous emmener à plus de 195km/h!»
Elle roule comme une moderne !
Yves me passe les commandes… et son Cromwell d’époque qui ne l’a jamais quitté!
Replier le pose-pied, passer la compression, bien laisser remonter le kick et donner un grand coup de jarret. Le twin s’ébroue et laisse échapper des ses deux fabuleux échappements chromés noir un son à nul autre pareil. Position de conduite très sport, mais finalement pas si inconfortable qu’on pourrait le croire même si mes genoux tapent dans les retours de bulle (je dois faire un bon 25cm de plus qu’Yves). J’enclenche la première et la magie démarre en même temps que la moto. Tout est à sa place, les commandes sont d’une douceur déconcertante et finalement on oublie très vite qu’on roule sur une moto qui a plus de quarante ans d’âge.
Elle roule comme une moderne. La boîte est douce, le freinage est puissant et dosable à la perfection. Dès le premier rond-point, la légèreté de cette Norton surprend. La belle n’engage pas, reste bien sur sa trajectoire et est très saine. Dès la ligne droite, vous envoyez la sauce, et là, croyez-moi : ça pousse fort! Le rapport poids/puissance est bien sûr avantageux, mais le twin montre aussi une bonne volonté étonnante à monter dans les tours. Nul besoin d’aller au rupteur, toute la quintessence d’un tel moulin se savoure au niveau du couple maximum, c'est-à-dire vers 5.500tr/min. Un véritable régal que de piloter cette merveilleuse Norton. On se prend très vite à rêver de grande virée, de crochets sur un circuit intimiste, mais aussi de prendre un verre à une terrasse où certainement tous les regards se tourneront vers un des plus beaux café racer qu’il m’ait été donné de voir.
Un homme heureux
Yves parcourt environ 10.000 kilomètres annuellement à son guidon. Il nettoie sa moto complètement après chaque sortie, allant même jusqu’au coton-tige et passe chaque hiver au démontage complet de sa bécane, y compris le moteur! Quant au prix d’une telle beauté, Yves m’avoue qu’il a arrêté de compter après 25.000€. Cette Norton n’a pas été baptisée «The Big Spender» pour rien ! Si d’aventure vous croisez Yves sur la route, n’hésitez pas à l’aborder et à discuter autour de son bijou. Grand respect l’artiste ! Tu me le reprêtes quand?