Le paysage du scooter des années 50-60, alors en pleine expansion, ressemble étrangement à celui d’aujourd’hui où ce mode de locomotion a explosé dans nos grandes agglomérations. Avec une grosse différence…
Les Japonais et Coréens n’avaient pas encore envahi le monde du scooter qui se répartissait pratiquement entre deux marques concurrentes: Vespa et Lambretta, toutes d’eux d’origine italienne. Tout opposait une Vespa à un Lambretta dont les possesseurs se détestaient autant que ses dirigeants qui s’intentèrent de nombreux procès. En fait, ces scooters pourtant si proches au plan conceptuel étaient différents dans leur philosophie. Fabriquée par Piaggo, la Vespa (guêpe en italien) vit le jour en 1949. Le scooter était presque une automobile à 2 roues. Par rapport à une moto classique, il offrait la position de conduite d’une auto, une meilleure protection contre les intempéries et la poussière ou projections d’huile, la possibilité d’être piloté par une femme en jupe grâce à son plancher plat facilitant son accessibilité et surtout d’échapper au gros point noir de la moto ; la crevaison! Cela à une époque où l’on crevait encore beaucoup. Grâce à ses minuscules roues de 8 pouces de même diamètre à l’avant qu’à l’arrière, la Vespa pouvait accueillir (en option) une roue de secours facilement interchangeable. N’oublions pas son adorable silhouette carénée et fuselée qui joua un rôle primordial dans son fulgurant engouement.
Riches et pauvres
Rouler en Vespa ne signifiait plus être pauvre mais au contraire être à la mode. Elle fut plébiscitée autant par la jet-set italienne qu’américaine que par les ouvriers et jeunes gens. D’avoir été en 1952 la troisième star du film américain «Vacances romaines» qui cartonna dans le monde entier aux cotés des acteurs américains Grégory Peck et Audrey Hepburn ne fut pas étranger à son explosion commerciale. Du coup, elle fut produite sous licence dans quelques pays notamment en France, en Allemagne, en Angleterre et en Espagne et fut même assemblée en Belgique. Elle est toujours fabriquée en Inde par LML qui la propose (moteur 4 temps) sur notre marché.
On se doute que sa fulgurante réussite encouragea la concurrence notamment du côté d’Innocenti qui se rendit compte du potentiel du scooter. Innocenti préféra travailler sur un concept différent mais ne devint véritablement concurrentiel avec la Vespa qu’en 1951 avec son modèle Lambretta (le nom d’une rivière) D et surtout LD. Sans rencontrer le succès de la Vespa, le Lambretta un peu plus coûteux à l’achat car plus sophistiqué avec sa transmission par arbre fut aussi bien accueilli dans un marché alors très porteur. Sa réussite dépassa également la péninsule puisqu’il fut également fabriqué sous licence en France et en Allemagne chez NSU. Mais si Piaggo continua à proposer sa Vespa toujours améliorée lorsque les ventes des scooters s’écroulèrent à la fin des années 60, Innocenti préféra jeter l’éponge pour se consacrer à la fabrication d’automobiles avant de renaître au troisième millénaire surfant sur la mode du scooter…
La scoliose du Vespiste
Des kinésithérapeutes se flattaient de ne reconnaître rien qu’en les observant les possesseurs de Vespa. A cause de leur scoliose née de l’usage de la Vespa. En effet, ce qui la caractérisait, c’est le montage sur le coté droit du moteur entraînant une conduite naturellement déhanchée pour compenser le poids du moteur. Position de conduite qu’adoptait naturellement son pilote sans s’en rendre compte surtout sur les premiers modèles. De 1950 à 1960, Piaggo tenta d’améliorer sa tenue de route en abaissant le moteur, en allongeant l’empattement puis en déplaçant le centre de gravité de son conducteur sur la selle. La roue de secours passa du porte-à-faux au dos du tablier, avant de jouer le contrepoids sur le coté gauche. Puis vinrent des roues plus grandes, volontairement pas alignées, passant de 8 puis 9 et enfin 10 pouces, afin d’améliorer sa stabilité, qui n’était vraiment pas le point fort des premiers modèles. D’ailleurs, une légende tenace prétendait que la Vespa virait plus vite à droite qu’à gauche à cause de son moteur…
Fier et droit !
Avec son moteur central monté devant la roue arrière, son empattement plus long, le Lambretta mieux équilibré avouait une bien meilleure tenue de route et une position de conduite plus saine avec en prime une vraie boîte à gants avec un miroir de courtoisie pour madame. Plus massif, plus lourd de 20 kilos (110 kilos) avec son cadre tubulaire (monocoque sur la Vespa) habillé d’une coque plus épanouie, il était préféré par ceux qui roulaient en duo car ses marchepieds plus généreux autorisaient un meilleur confort au passager de même que sa suspension arrière assez sophistiquée. Il montrait aussi un freinage moins casse-gueule. Malgré une puissance identique à celui de la Vespa (environ 4,5ch), son 125cc vertical puis horizontal refroidi aussi par turbine était moins nerveux au démarrage. Le Lambretta souffrait d’une commande de boîte au guidon calamiteuse qui cassait le poignet gauche et il était surtout plus pataud en ville où la légère et agile Vespa tournait sur place en virevoltant d’un virage à l’autre. Bref, il ne séduisait pas du tout la même clientèle notoirement les femmes à cause de son physique plus épais que le designer Ghia allégea très agréablement à l’aube des années 60 avec la série III mais qui n’offrit jamais le capital sympathie de la Vespa qui changeait sans changer.
Les scooters ennemis
Pas question de faire conduire un Lambretta à un Vespiste ni de faire essayer une Vespa à un Lambrettiste qui vivaient dans deux mondes parallèles avec des valeurs différentes. Ils se faisaient systématiquement la course au feu vert, allant parfois jusqu’à la dispute voire la bagarre devant le flipper . L’arrêt de la marque Lambretta liée à l’effondrement des ventes du scooter au début des seventies ne sonna pas la fin des hostilités. Passés à l’automobile, les anciens scootéristes devenus pères de famille continuèrent à se déchirer en préférant la R8 à la Simca 1000 ou la R16 à la 404. Mais c’est une autre histoire!
