Vintage – 1969 Kawasaki 500 Mach III

Classic Patrice Verges
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Si 1969 fut baptisée l’année érotique, pour le passionné de moto, elle fut surtout l’année mécanique marquée par la naissance de deux motos de légende ; la Honda 750 four et la Kawa 500 Mach III si proches et pourtant si différentes…     

Tout chavirait dès 5.000 tours. Régime où les trois cylindres qui miaulaient grave comme un gros chat tranquille arrachaient brusquement le guidon des mains dans un hurlement de sirène avant d’accélérer brutalement jusqu’à 8.500 tours. Il y a 40 ans, une Kawa 500, ça oubliait tout ce qui roulait ici – bas, avec des accélérations dignes de celles d’une 500 de GP dont elle avait pratiquement la puissance ! Alors que la roue avant se délestait copieusement sous la poussée de l’accélération explosive, certainement pour ne pas être en reste, le cadre, lui, laissait émerger dans le creux des reins quelques louvoiements angoissants. Enivré par cette fulgurante poussée en avant, son pilote ne mesurait pas exactement tous les problèmes existentiels qui allaient se poser de façon imminente.

La faiseuse de veuves

C’est lorsqu’il tentait de freiner que sa jouissance se transformait subitement en effroi.  Car alentour, le paysage ne décélérait absolument pas ! La trouille au ventre, il avait beau tirer fort sur les leviers du petit guidon, les deux tambours, malgré un double came de 206mm à l’avant, n’arrêtaient pas ou si peu les 175kg de sa fusée motorisée. Sueurs froides garanties. S’il s’en sortait vivant, le pilote se jurait de ne plus jamais exploiter la furie des 3 cylindres, se rappelant de son surnom de « la faiseuse de veuves ». Vœux pieux oublié, que dis-je balayé au sortir du prochain virage où, de nouveau, il se voyait catapulté en avant dans un nouvel élan de bonheur furtif avant d’appréhender le grand frisson annonciateur du prochain virage, où les pots et la béquille racleraient volontiers le goudron, suivis de la trouille inhérente au freinage évanescent et de son lot de bonnes intentions s’il s’en sortait. Et ça ne s’arrêtait jamais. Impossible de résister. La 500 Kawa n’était en effet pas une moto, mais une drogue dure pour pilote masochiste.

De la cacophonie à la symphonie

Lorsqu’elle a vu le jour mi-1969, personne ne s’attendait pourtant à cette révolution. A l’époque, une bonne 500 anglaise délivrait une quarantaine de chevaux en pissant de l’huile et la récente Suzuki 500 2 temps annonçait fièrement 47ch. Et voila que Kawasaki,  encore peu connu, en annonçait 60 pour sa nouvelle 500 ! En 1969, 60ch était une puissance extraordinaire, certainement supérieure, dans le contexte, aux 200 environ d’une 1000 hypersportive du troisième millénaire. Ils généraient des performances de dragster avec le 400m DA en 12,5 secondes, un temps encore très actuel pour une 500 d’aujourd’hui ; le 1.000m en 24,5s et une ahurissante vitesse de 195km/h, car elle était très aérodynamique et mal plantée sur les pneus étonnamment étroits de l’époque.

Son inédit mais copieux 3 cylindres en ligne refroidi par air laissait échapper un bruit de deux temps par ses curieux échappements séparés (deux plus un). Au ralenti, le tintamarre des pignons à taille droite et quelques claquements intempestifs de pistons laissaient toujours craindre qu'on se prenne un piston dans la figure. Mais gaz ouverts, cette cacophonie se muait en rugissement lissé et voluptueux, formidablement jouissif, honni des amateurs de 4 temps mais adoré des autres qui se shootaient à son odeur d’huile chaude qu'elle laissait comme une signature parfumée dans son sillage bleuté.

La moto la plus rapide pour aller d’une pompe à l’autre

Le gros défaut des moteurs deux temps était la pollution dont on ne parlait pas encore et surtout leur consommation. Gavée par trois carburateurs de 28 qui engorgeaient en ville, cette trois pattes buvait beaucoup. Quand on dit beaucoup, c’est beaucoup. Une petite dizaine de litres si on n’ouvrait pas trop et jusqu’à une quinzaine – sans oublier un bon litre d’huile injecté par une pompe – gaz en grand. Son minuscule réservoir de 15 litres contraignait le possesseur d’une Mach III à s’arrêter fréquemment à la pompe. De toute façon, ce n’était pas une routière. Ce mince réservoir appuyé par une fourche très (trop) fine et un moteur très reculé lui donnait sous certains angles, de profil notamment, une silhouette bondissante et aérienne alors que sous d’autres, au contraire, la bestialité de la large et voluptueuse mécanique en faisait une moto mafflue et agressive.

La 500 Mach III sentait le soufre et c’est justement ce qui séduisait ses utilisateurs qui savaient qu'ils devaient s’en méfier comme d’un fauve ensommeillé. C’est une moto qu'on aimait plus par ses défauts que par ses qualités. On avait du respect pour un possesseur de Kawa ; une sorte de conquérant de l’inutile qui bravait sans cesse la mort. Dès les années 70, on a vu la Kawa 500 H1R en Grand-Prix où elle a terminé vice-championne du monde en catégorie 500 derrière l’intouchable MV3 de Giacomo Agostini. Inutile de dire que si les moteurs étaient relativement proches de ceux de la série (75 à 80ch), les cadres, eux, et fort heureusement, ne l’étaient pas. Mais il était extraordinairement flatteur pour un possesseur de Kawa de savoir qu’il avait entre ses jambes très écartées un moteur qui gagnait des courses.

Du prix à la vie

Fort de son succès et surtout de sa formidable image sportive qu'elle a donné à la firme japonaise encore en devenir, elle a été déclinée en plusieurs cylindrées. D’abord en 750 en 1971, plus puissante avec 74ch, mais plus sûre aussi avec un châssis plus rigide et un frein à disque avant dont hérita la 500 qui s’assagit en se bonifiant dans ses vieux jours. Elle a également donné le jour à une 350, même à une 250 et surtout donné sa chance à de nombreux pilotes en herbe (casque samouraï). Produite à plus de 115 000 exemplaires en moins de dix ans, la Kawa 500 a marqué son époque car elle a été l’une des rares motos qui, à défaut de donner un sens à la vie, lui donnait un prix.