Brough Superior Pendine & SS100: Nostalgique des thirties, ou iconoclaste des seventies?

Essais Motos Bruno Wouters
Partager

Si la SS100 joue la difficile partition d’un passé respecté mais interprété suivant de plus actuelles caractéristiques technologiques, la Pendine s’en libère pour explorer de nouvelles notes. Du coup chacune de ces motos développe sa personnalité propre: une Brough n’est pas l’autre… Et c’est très bien de la sorte!

Exercice toujours délicat que de faire revivre une marque disparue. Si les renaissances sont nombreuses (Triumph, Indian, Horex, MV Agusta, Moto Morini, Benelli, SWM, Mondial…), toutes ne font pas florès, loin s’en faut! Dans le cas de Brough, le scénario va de soi: la moto sera qualitative et reprendra quelques «gimmicks» marquants des machines nées sous l’œil attentif de George Brough entre 1919 et 1940.

Moto rare et chère à l’époque, la Brough du XXIe siècle la sera aussi, tout comme elle sera vendue sur ordre et construite suivant les désidératas de son futur propriétaire. Thierry Henriette, aux commandes de Boxer Design, de par son parcours et son expérience, comptait sans doute parmi les plus qualifiés pour mener à bien l’audacieuse résurrection.

L’homme ne partira toutefois pas d’une page blanche, puisqu’il travaillait, au moment de sa rencontre avec le propriétaire du nom de la marque et instigateur de cette volonté de renaissance, sur l’élaboration d’une moto de son cru, une machine audacieuse à bien des égards.

La SuperBob, tel est son nom, se démarquait en effet par sa motorisation, un bicylindre en V à 88° développé par Akira pour le compte de Boxer Design, mais aussi par sa suspension reprenant les principes élaborés par le génial Claude Fior, un principe dont se réclame aussi la suspension Duolever exploitée par BMW. Pour faire simple, la suspension Fior s’inspire de la technique automobile des deux triangles superposés. Son principal attrait réside dans la séparation des fonctions d’amortissement et de direction, avec pour intérêt immédiat de générer moins d’effet secondaires occasionnés par le freinage.

SuperBob

La Brough Superior du XXIe siècle doit donc beaucoup à la SuperBob provisoirement remisée dans les tiroirs mais qui, une fois l’aventure Brough bien lancée sur ses rails, connaitra une suite. Affaire à suivre donc mais revenons aujourd’hui à Brough. Les machines de l’époque se caractérisaient par leur ligne basse et élancée, par leur étonnant réservoir allongé et leur bicylindre en V d’origines diverses suivant les modèles et millésimes.

Boxer Design devait impérativement se plier à une forme d’hommage au passé sans se figer dans une évocation servile. C’est ainsi que le moteur, toujours un bicylindre en V, est ouvert à 88°, bien loin de l’angle de 50° du moteur JAP qui équipa nombre de Brough avant-guerre. Si son angle ouvert détonne quelque peu dans le profil préservé par ses proportions basses et allongées, le réservoir, fidèle allégeance aux origines, a tôt fait de lever le moindre doute sur la filiation de la SS100 vis-à-vis de ses glorieuses aïeules. La fourche atypique éloigne encore la machine des canons de beauté en vigueur aujourd’hui, renforçant l’esthétique décalée de la Brough.

Pendine Sands

Alors, réussite esthétique ou pas? Les avis seront partagés, son style déroutant les uns, irritant certains, enthousiasmant d’autres. L’objectif initial est pourtant atteint. Sans se contenter de copier servilement l’original, le coup de crayon actuel souligne la filiation sans pour autant faire l’impasse sur une certaine forme de modernité technologique.

L’exercice s’avère plus facile avec la Pendine, dont l’appellation provient d’une SS100 préparée en 1927 pour la compétition, du nom d’une plage du pays de Galles. Longue de 11km, Pendine Sands servit de théâtre à de nombreux records de vitesse, de Malcolm Campbell sur son premier Blue Bird, une Sunbeam 350HP (235,22km/h, le 25 septembre 1924…), à l’inévitable Guy Martin, avec un respectable 181,7km/h sur un… vélo, dans le sillage d’un camion modifié, faisant de lui le plus rapide des cyclistes britanniques!

La Pendine, contrairement à la SS100 corsetée dans son évocation historique, peut se libérer de ce lourd carcan et donner libre cours à une certaine fantaisie. Si Brough Superior avait vécu mai 68 et surfé sur la vague «scrambler» des seventies, qu’eût été le résultat? Pourquoi pas cette Pendine, à la fois si proche et si différente de la SS100…

Techniquement pourtant, la SS100 et la Pendine ne se différencient que peu. Le moteur, identique, cache sous ses formes particulièrement travaillées une distribution par double arbre à cames en tête et quatre soupapes par cylindre, injection électronique, refroidissement par eau. Il est mis en valeur par un cadre minimaliste en titane fraisé et soudé, entièrement caché par le somptueux réservoir. Celui-ci est réalisé en fonderie d’aluminium: ses épaisses parois (3mm à 4mm) autorisent toutes les extravagances, comme le fraisage du logo ou de stries animant ses flancs!

Ce souci du détail et de l’originalité est omniprésent et on ne se lasse pas de détailler le moindre élément de la machine, savamment dessiné et taillé dans l’aluminium, l’acier ou le titane: des carters aux commandes au guidon, des roues aux éléments de suspension, rien n’est laissé au hasard, comme ces marquages «Brough Superior» usinés, des jantes aux étriers, du phare aux carters. Un seul regret, mais de taille: cette durite omniprésente, reliant le radiateur au bloc, sur le flanc gauche! Sans doute la seule faute de goût de toute la machine…

Deux ans

Deux ans furent nécessaires pour finaliser le projet. Deux ans qui furent aussi mis à profit pour rechercher les meilleurs sous-traitants, car hormis sans doute pour les pneus ou la batterie, tout a été dessiné chez Boxer Design, et chaque élément est spécifiquement produit pour Brough Superior. Certains fournisseurs sont nichés à l’autre bout de la planète, comme la distribution, made in USA, l’alternateur et le démarreur, en provenance de chez Mitsuba au Japon. L’Espagne fournit les fonderies, l’Italie les pièces internes, l’Allemagne l’injection, l’ECU et l’ABS.

L’usinage se fait localement, les faiseurs de qualité n’étant pas trop difficiles à trouver sur les terres d’Airbus, comme par exemple Beringer pour les freins. Au jeu des différences entre SS100 et Pendine, il y a les freins, justement! La SS100 se distingue par son système 4D, soit quatre disques de petit diamètre (230mm) montés sur la roue avant, pincés par des étriers radiaux à quatre pistons. Un look original, rappelant le diamètre des tambours de frein d’antan, un gain de puissance, de poids et d’inertie gyroscopique ainsi que, cerise sur le gâteau, une originalité garantie! La Pendine, elle, se rabat sur deux plus classiques disques de 320mm.

Cette Pendine se distingue encore par les dimensions et le dessin de ses roues: du 19 à l’avant et du 17 à l’arrière, quand la SS100 opte pour du 18 partout. Autre différence notable: la suspension arrière. La SS100 bénéficie d’un monoamortisseur monté sur biellettes quand la Pendine reçoit un amortisseur latéral à attaque directe. Du coup, les bras oscillants diffèrent d’une machine à l’autre.

Cadre minimaliste oblige, dans les deux cas, l’axe du bras oscillant se voit fixé directement au travers des carters moteur. Autre détail qui ne manque pas d’élégance: l’étrier de frein arrière marqué par le bras oscillant usiné. Pour le reste, la Pendine se démarquera encore de sa grande sœur la SS100 par son guidon, ses platines de repose-pieds au dessin et à la disposition différents, sa boucle arrière, sa selle et, surtout, ses échappements, tout bonnement splendides!

Sachez encore que l’assemblage (à la main!) de chaque Brough nécessite une bonne semaine. La production annuelle escomptée pour cette année devrait atteindre la centaine de motos, tous modèles confondus.

37,2° le matin

Pendant qu’un technicien inspecte rapidement la SS100 qui servit pour les homologations et revendique déjà un paquet de kilomètres, je m’arrache à la contemplation des machines alignées comme à la parade dans l’atelier d’assemblage, prêtes à être expédiées un peu partout sur la planète, toutes presque pareilles, mais toutes différentes. Ça y est, ma Brough m’attend sous le cagnard toulousain: les 45°C à l’ombre sont en vue aujourd’hui… Petit pincement au cœur, j’enfourche une machine affichée tout de même 64.500€: ce n’est pas le jour à se f… par terre!

Bon, le gabarit de la bête impressionne moins que son prix, c’est déjà ça! Position naturelle, en très léger appui sur les poignets, moto fine, poids contenu, tout comme la section des pneus (160 pour l’arrière). De bon augure et, de fait, je trouve immédiatement mes marques.

Point d’orgue de cette machine produite en si petite série, le moteur apparaît rapidement comme un des points forts de la Brough et prouve à suffisance qu’une centaine de chevaux constitue une excellente valeur pour se faire plaisir à moto. Très abouti avec son injection parfaitement calibrée, mieux même que sur certaines machines de «grands» constructeurs, le twin se révèle vivant, rempli, généreux sans violence inutile, prompt à monter dans les tours et conciliant dans les basses rotations.

Largement assez puissant, bien présent avec ce qu’il faut de vibrations et de frein moteur, il se passe de toute aide à la conduite pour mon plus grand bonheur, et offre à mes sens plus d’intérêt qu’une motorisation tellement généreuse en chevaux qu’elle en devient inexploitable sans béquilles électroniques pour la museler. Ici, la balance est parfaite pour offrir le plein de sensations sans s’emmer*** ou, au contraire, dégouliner d’adrénaline pour survivre.

La Brough reste virile malgré tout, avec une rigidité exceptionnelle qui peut parfois la rendre physique à emmener. Le travail des suspensions me bluffe: cette rigueur de comportement n’entame en rien le confort, bien réel. Et la fourche Fior possède cette énorme qualité de ne pas plonger au freinage, au profit d’une assiette qui ne varie guère et d’un transfert de masse maîtrisé. Que des éloges encore pour le freinage 4D Beringer qui offre de belles décélérations du bout du doigt: il n’y a pas que Brembo qui maîtrise le sujet!

California dream

Retour au bercail et je prends enfin le guidon de celle qui a su me séduire dès le premier regard. Cette Pendine en jette et correspond parfaitement à mon idéal motocycliste. Par rapport à la SS100, la position de conduite se veut détendue, instinctive avec son large guidon placé à bonne hauteur. Le buste droit, le regard porté loin, je me sens une faim d’ogre pour bouffer de la départementale ombragée par les allées de platanes.

Ma Pendine, un modèle de présérie, est équipée d’une ligne d’échappement un peu plus «permissive» que celle des modèles de production. Sa boucle arrière en tubes sera remplacée par des éléments fraisés du plus bel effet, comme d’ailleurs aussi la fourche. Bien que très similaires, les deux machines n’offrent pas le même ressenti, et ça se joue principalement sur la perception qu’offre la position de conduite plus «trail», plus «scrambler» devrais-je dire. Plus naturelle et intuitive, tout simplement.

Les deux grands disques font à peine moins bien que les quatre petits pour le peu que je les ai sollicités (60.400€ pour la Pendine: pas question de faire le zazou avec ces machines!). Par contre, l’amortisseur latéral qui attaque directement le bras oscillant se montre moins conciliant que le système à biellettes de la SS100 pour le confort, fatalement en léger retrait ici.

Conclusion

Plus sensible au charme californien et extraverti de la Pendine Sand Racer qu’à l’hommage plus sévère de la SS100 au passé, je me verrais bien tâter de la loterie pour rêver d’une Brough dans mon garage. Cette parfaite balance de poids, de puissance et d’agrément correspond exactement à ce que j’attends d’une moto-plaisir. Certes, d’autres machines en sont capables, et pour bien moins cher, sans aucun doute.

Mais rouler au guidon d’une machine aussi exclusive et porteuse d’un nom on ne peut plus prestigieux vaut largement le prix réclamé, en regard de sa rareté et de la qualité de ses composants et de sa fabrication. Et contrairement à une Arch ou une CR&S qui vont puiser un bloc S&S sur une étagère, le twin de la Brough n’appartient qu’à elle! Les mois ou les années à venir complèteront encore l’offre Brough avec des variantes dans l’esprit grand-tourisme et café-racer, histoire de satisfaire toutes les envies!

Et si vous restez réfractaires au charme décalé des Brough, un peu de patience: l’étude de la SuperBob reste d’actualité et devrait un jour donner naissance à une nouvelle Boxer! Mais pour moi, ce sera la Pendine…

SS100

Les up

– Exclusivité et finition

– Moteur expressif

– Comportement routier excellent

Les down

– Style clivant

– Durite de radiateur inesthétique

– Pas à portée de toutes les bourses

Prix de base: 64.500€

Consommation: NC

Disponibilité: sur commande

 

Pendine

Les up

– Exclusivité, finition et style

– Moteur expressif

– Comportement routier excellent

Les down

– Suspension arrière plus sèche que la SS100

– Durite de radiateur inesthétique

– Pas à portée de toutes les bourses

Prix de base: 60.400€

Consommation: NC

Disponibilité: sur commande