«Deux naked bikes de cylindrées comparables devraient se révéler très semblables», pourriez-vous me dire. Eh bien… pas forcément! La preuve avec les récentes CB650F de Honda et MT-07 de Yamaha. Deux motos très proches… que beaucoup de choses séparent!
Si l’on ne prend pas en considération les maxiscooters, deux segments tiennent la dragée haute des immatriculations de deux-roues motorisés de 125cc et plus: les trails (enfin, surtout la R 1200 GS…) et les naked bikes. En 2014, sur la période s’étalant du 1er janvier au 31 août, la MT-07 a fait un véritable carton. Avec 561 unités, elle est tout simplement la Yamaha la plus vendue de l’année et la quatrième moto la plus immatriculée de Belgique. Le style MT semble d’ailleurs énormément plaire aux motards belges parce que sa grande sœur 09 se classe… directement derrière, soit en cinquième position des motos les plus écoulées, avec 369 exemplaires. Ajoutez à cela une Kawasaki Z800 classée sixième moto, une Suzuki GSR 750 onzième, une Triumph Street Triple R douzième, des KTM 390 et 1290 Super Duke treizième et quatorzième, une Kawazaki Z1000 quinzième… et on comprendra aisément que le segment des naked bikes permet au secteur de la moto de garder la tête hors de l’eau. Littéralement. Comme on le constate, Honda est un peu absent de ce classement. Mais je devrais écrire «était». Car avec l’arrivée de la digne héritière de la célèbre Hornet, les choses vont changer. Jusqu’ici, la Honda CB650F s’est vendue à 48 exemplaires… mais en deux petits mois seulement, puisqu’elle est arrivée dans les concessions début juillet. Pas de panique donc si elle n’apparait, pour le moment, que loin dans le classement. On le comprendra, ce comparatif s’est imposé de lui-même: la petite dernière vs la reine du segment. Un bel affrontement en perspective!
Look et équipement
Parmi les principaux éléments de design de la Yamaha, il convient de souligner une ligne massive à l’avant et la fameuse «forme en Z», constituée par les écopes de prise d’air et la tubulure d’échappement courte qui rappelle la longue tradition des MT. Le carénage sculpté donne à ce roadster épuré une silhouette élancée et athlétique tandis que des écopes sur le réservoir renforcent le caractère sportif de la moto et qu’un cache latéral en aluminium sur le châssis contribue à l’image de robustesse de la MT-07. Enfin, le phare multiréflecteur et le feu arrière à LED soulignent le design ultramoderne. Le dessin de la boucle arrière est d’ailleurs particulièrement réussi et résume à lui seul le caractère novateur de la Yam’. Le phare avant, par contre, suscite bien davantage de débats et les avis sont beaucoup plus tranchés quant à sa réussite esthétique. Rayon instrumentation, par contre, c’est le sans-faute. Le tableau de bord de la MT – un nouveau bloc compact d’instruments numériques – est parmi ce qui se fait de mieux pour le moment sur une naked. Toutes les informations sont accessibles d’un seul coup d’œil et la manipulation des boutons pour les remises à zéro est ultra-facile. Et quand on dit que toutes les infos sont disponibles, c’est vraiment toutes! Compteur de vitesse, compte-tours, témoin de rapport engagé, jauge de carburant, horloge, odomètre, deux trips, consommation moyenne instantanée/générale, température moteur, distance effectuée sur réserve, témoin d’économie et température de l’air. Rien que ça!
Niveau instrumentation, on la joue plus sobrement chez Honda. Déjà par le style puisque le tableau de bord, divisé en deux écrans LCD, se fait bien plus discret. Il est en outre partiellement caché par des câbles sur chaque extrémité. À gauche, on peut voir sa vitesse et le régime du moteur. À droite, on retrouve une horloge, la jauge de carburant, un odomètre, deux trips et la consommation immédiate/moyenne. Plus chiche qu’en face. Dommage par exemple, surtout en 2014, de ne pas retrouver de témoin de rapport engagé. Le design général de la Honda se veut également plus lisse tout en s’affranchissant de l’héritage Hornet. Là où la MT roule des mécaniques, la CB joue la carte de la finesse. En témoignent les poignées passager subtilement intégrées à la découpe de la boucle arrière. Et là où la MT joue à fond la carte de la modernité, la CB reste plus conventionnelle. En témoigne son phare arrière (pourtant à LED’s) au style un peu vieillot. Mais s’il ne fallait retenir qu’une seule touche esthétique sur la CB, ce serait sans hésiter la quadruple ligne d’échappement qui, telle une flute de pan en métal, décore superbement le bas du carénage. Un héritage de la CB400/4 de 1974. De manière générale, la présentation des deux motos est d’excellente facture. Petit avantage tout de même à la Honda pour sa présentation qualitative qui l’emporte face aux plastiques plus présents, même si très nobles, de la Yamaha.
Confort et vie à bord
C’est lorsque l’on s’assied successivement sur une moto puis sur l’autre que l’on prend vraiment en considération leurs différences. En fait, en poussant un peu le bouchon, on pourrait même dire d’elles que la CB et la MT représentent deux conceptions opposées de la naked bike. Même sans carénage, la Honda réussit à faire la part belle au confort. Selle conducteur agréable et spacieuse, selle passager accessible et pourvue de discrètes poignées (chose plutôt rare de nos jours), large guidon, peu de pression sur les poignets et les genoux… la position est décontractée et permet d’accumuler les kilomètres sans fatigue anticipée. La Yamaha, de son côté, se révèle beaucoup plus étroite. Et de partout. Guidon, réservoir d’à peine 14 litres… quand on «descend» de la Honda, on a presque l’impression de grimper sur une 250cc tant la MT-07 est compacte. Sur les deux motos, la position de conduite reste relativement droite. Celle-ci ne se voit d’ailleurs pas tant influencée par le triangle poignets–selle–genoux relativement semblable (les genoux sont toutefois un peu plus relevés sur la MT) que par la largeur du guidon. C’est à lui que l’on doit vraiment le gros de la différence que l’on ressent en roulant sur ces nakeds de moyenne cylindrée. Avant-dernière caractéristique importante sur la MT-07: une selle qui culmine à 805mm de hauteur, soit un demi-centimètre plus bas que celle de la CB650F. De quoi mettre pied à terre assez facilement dans les deux cas. Reste donc à parler d’un point qui fâche vite, surtout quand on essaye de les cacher: les kilos. Or ici, nos deux concurrentes d’un jour ne cachent rien. Tout simplement parce qu’il n’y a pas un gramme de graisse sur la fluette silhouette de la MT et parce que l’apparence plus charnelle de la CB n’échappe pas au premier coup d’œil. Pensez donc, avec 164kg à sec sur la balance et 179kg en ordre de marche, la MT boxe chez les poids plume alors qu’avec 206kg (208 avec l’ABS), soit tout de même 27 de plus, la Honda joue deux catéhories plus haut… Pour les amateurs de catwalk, disons que c’est un peu l’affrontement des Kate, Moss contre Uptown. Toutes les deux ont leurs fans et leurs détracteurs mais fort heureusement, toutes les combinaisons sont aussi possibles! On peut aussi aimer le look de la Yamaha et préférer Kate Uptown…
Moteur et freins
Après ces quelques apéritifs, venons-en à présent au plat de résistance. Un roadster a en effet souvent comme principal intérêt d’être animé par un moteur au caractère affirmé et séduisant. Et là aussi, deux philosophies s’affrontent. D’un côté, nous avons un moteur d’une machine de milieu de gamme qui voit sa cylindrée portée à 689cc. Ce bicylindre en ligne, 4 temps, à double arbre à cames en tête et refroidissement liquide développe 74,8ch et 68Nm à 6.500tr/min et a été conçu pour offrir de bonnes performances tout en mettant l’accent sur le développement d’un couple généreux mais facile à contrôler à bas et mi-régime. Pour obtenir un tel couple, Yamaha a mis en œuvre la «philosophie cross plane», la meilleure harmonisation des forces internes du moteur. En d’autres termes: le couple de combustion (créé par l’allumage du carburant) et le couple d’inertie (créé par la rotation du vilebrequin et le mouvement ascendant et descendant des pistons). Pour les moteurs bicylindre en ligne, la disposition la plus efficace pour obtenir un «couple propre» est d’utiliser un vilebrequin à 270 degrés avec des intervalles d’allumage inégaux. Ce qu’a donc fait Yamaha sur cette MT-07. En face, Honda a choisi de prendre une autre direction face à cette tendance «upsizing» en augmentant à peine les centimètres cubes de sa naked de milieu de gamme. Objectif: offrir au marché une moto polyvalente mais sans perdre en sportivité et sans effacer son caractère fun hérité de la Hornet. Complètement nouveau par rapport au moteur du frelon, ce 4 cylindres ouvre toutefois une nouvelle page de l’histoire des 4 pattes Honda, débutée en 1969 avec la CB750. Le bloc de la CB650F développe désormais 649cc pour 87ch et 63Nm à 8.000tr/min et les ingénieurs d’Honda ont avant tout planché le rendement des bas-régimes, plus particulièrement pour les 2e et 3e vitesses. Ce moteur se démarque aussi par sa compacité héritée de l’expérience de la compétition et de certains choix pratiques, comme le déplacement du filtre à huile sur sa partie arrière.
Dans les faits, même s’il accuse 12ch de moins, le CP2 de la Yamaha se révèle beaucoup plus vif à bas régimes. Sa cylindrée supérieure de 40cc fait une sacrée différence dans les reprises. En 3e à 40km/h, il laisse par exemple le 4 pattes de la Honda sur place. Il faut donc à ce dernier de redescendre d’un rapport pour, à vitesse toujours égale, reprendre assez aisément la main. Une illustration parfaite des plaisirs «bas et hauts régimes» de moteurs bicylindres et quatre cylindres. En résumé, le bloc de la MT-07 est bourré de vitalité, avec des «watts» partout, prêts à vous émoustiller et capables d’assurer de bonnes reprises. Tandis que celui de la Honda fait preuve de beaucoup plus d’allonge mais aussi d’onctuosité et de discrétion, sauf dans sa sonorité, bien plus avenante. Après avoir démarré, on doit – malheureusement – souvent penser à s’arrêter. Et le plus souvent possible de manière sereine… Honda et Yamaha s’en tirent plutôt efficacement. Sur la MT-07, à l’avant, on soulignera le mordant redoutable des deux disques flottants de type «Wave» de 282mm et étriers monobloc à quatre pistons. Efficaces, progressifs, dosables, ils offrent tout ce que l’on peut demander. Le frein arrière de 245mm, également de type Wave, s’acquitte, quant à lui, assez correctement de sa tâche. Mais sans plus, serait-on tenté de dire. Il est en tout cas un poil moins fluide que le frein arrière de 240mm de la CB650F. Sur la Honda, à l’avant, c’est certainement aussi performant que sur la Yamaha. Mais avec le «mordant» en moins pour ce double disque de – tout de même – 320mm. Il ne faut en effet pas hésiter à tirer un peu sur le levier pour obtenir un bon freinage et stopper le supplément pondéral de la CB. En fait, la différence la plus notable réside surtout dans la présence d’un ABS de série sur la Honda. Une assistance technique qui intervient toujours à point nommé… Enfin, la CB se distingue aussi par une boîte exquise qui permet de passer les vitesses comme dans du beurre, sans risque de rester bloquer entre deux vitesses ou faux point mort. Celle de la MT étant, par contre, plus sèche.
Tenue de route et suspensions
La Honda utilise, à l’avant, une fourche télescopique conventionnelle de 41mm de diamètre et 120mm de débattement et, à l’arrière, un monoamortisseur de 43,5mm de débattement ajustable en précharge. La Yamaha recourt, elle aussi à l’avant, à une fourche de 41mm mais avec un débattement plus important de 10mm. À l’arrière, elle est pourvue d’une suspension Monocross avec amortisseur réglable à l'horizontale monté directement sur le carter. Équipée de la sorte, la MT-07 a presque un comportement de supermotarde. Elle va où on le souhaite et se montre toujours prête à changer de direction ou modifier sa trajectoire. Yamaha a pris le parti d’un train avant très léger, d’un empattement court et d’un angle de chasse réduit. Une certaine sensation de «flou» sur le train avant peut donc résulter des premiers tours de roue. Mais l’équilibre est très réussi, le cap est net et franc et on peut manœuvrer ou faire demi-tour dans un trou de souris, sans suer de grosses perles sous son casque. La Honda se distingue par une fourche avant très souple qui permet un amortissement de très bonne facture. L’arrière, par contre, est calibré de façon beaucoup plus dure. L’équilibre général se révèle à l’usage un peu moins bon, aussi, le pilote sera un peu plus dans l’anticipation du fait du gabarit plus important de la machine.
Consommation et finances
Quelque quinze cent euros séparent les deux machines de ce comparatif. Sur un marché ultra-compétitif, cet aspect peut, naturellement, faire pencher la balance en faveur de la Yamaha. Nuançons toutefois ce prix en rappelant que la CB650F propose l’ABS de série. Ce qui amenuise un peu la différence. Mais en tarifant la MT-07 sous la barre des 6.000 euros (5.990€ exactement sans ABS, 6.490€ avec ABS) sans sacrifier la qualité, force est de constater que Yamaha a réussi un sacré tour de force. Le succès impressionnant des ventes en est d’ailleurs la meilleure preuve. De son côté, à 7.490€, la Honda tape «pile» dans les prix d’une Kawasaki ER-6n ABS, par exemple. Fait assez amusant, rayon consommation, notre journée d’essai et de photos s’est soldée par une moyenne de 5,7l/100km pour… les deux motos! Une moyenne qui descendra certainement d’un étage en conduite plus zen ou, en tout cas, moins saccadée par les ordres de notre photographe!
Conclusion
En définitive, devant ces points communs et ces différences, c’est avant tout le client motard qui sort vainqueur de ce comparatif. Choisir celle des deux qui vous convient le mieux se révèle, en effet, beaucoup plus aisé. Vous appréciez un bloc de caractère et (un peu) la frime? Vous donnez la priorité à la maniabilité? Alors inutile de réfléchir plus loin et optez pour la Yamaha. Si par contre vous n’êtes pas insensible à un certain confort, que vous envisagez de rouler en duo de temps en temps et que vous avez toujours juré par le côté «lisse» des quatre cylindres, alors la Honda est faite pour vous. Légère, maniable et bon marché sans être cheap (cf. son tableau de bord par exemple), la MT-07 cible en outre plus précisément les débutants grâce à ses qualités spécifiques et son tarif serré. Mais son moteur vif et généreux permettra également aux motards plus confirmés de trouver leur compte. Plus puissante et un peu plus lourde sur la balance, la CB650F est sans doute moins conseillée aux motards qui effectuent leurs tout premiers tours de roue. Dans la gamme Honda, ceux-là se tourneront préférentiellement vers les CB500. Mais s’ils décidaient quand même de viser immédiatement «plus haut», la 650 se révèlera une excellente compagne de route au look soigné et à la mécanique efficace.
Un comparatif signé Laurent Cortvrindt et publié dans le Moto 80 n°767 d'octobre 2014.