Premiers runs !
Pourquoi attendre avant de faire ses premiers tours de circuit? Parce que ce serait uniquement une affaire de gros cubes, de gros bras et de gros sous? Faux et archifaux. On peut réellement prendre un maximum de plaisir avec une cavalerie et un budget réduits. La preuve par deux.
Quand j'ai proposé à Arnaud Brochier, l'un de nos spécialistes en matière de gros cubes destinés avant tout à la piste, de m'accompagner pour une journée d'essai à Mettet, l'idée ne l'a pas follement exalté. Non pas que le tracé namurois le laisse de marbre mais le bougre aime plus que tout essorer la poignée des gaz et il est vrai que d'autres circuits offrent davantage de perspectives en ce sens. Mais son enthousiasme d'essayeur a néanmoins rapidement repris le dessus. Et c'est – entre autres – pour cela qu'on l'aime, notre Arnaud. C'est un curieux! «Tu veux rouler avec quelles bécanes?», me demande-t-il donc dans la foulée. «J'ai envie de tester la nouvelle Yamaha YZF-R3 sur circuit en lui mettant la KTM RC390 dans les pattes. La petite dernière contre la Ready to Race, en gros…» «Attends, tu déconnes? Fallait me dire ça tout de suite. Laisse-moi le temps de boucler mon sac et j'arrive. Ça va être superfun, ça m'intéresse vraiment!» Calmos, Arnaud, calmos… On a rendez-vous à Mettet la semaine prochaine. En raccrochant le téléphone, je ne puis m'empêcher d'esquisser un sourire. Comme je le pressentais, j'avais déjà tapé dans le mille. Si elles ont été conçues avant tout pour titiller les jeunes, ces deux bécanes ne laisseront pas de marbre toute âme de «racer». Présentée à Milan fin 2014, la Yamaha a débarqué dans les concessions depuis quelques mois. Cette moto se veut le chaînon manquant dans la ligne sportive de Yamaha. Une cylindrée qui permet d'offrir un palier intéressant entre la YZF-R125 et la R6. Fini le grand saut! Un jeune peut désormais y aller crescendo, sans brûler les étapes, et sans se retrouver trop vite avec 125ch qu'il ne parviendra pas à maîtriser. La KTM est plus «vieille» de quelques mois puisque sa présentation date de l'été 2014. Elle aussi offre un nouveau palier dans la gamme sportive de KTM. Mais chez les Autrichiens, entre la RC390 et le missile 1190 RC8 R, la marche à franchir d'un coup si l'on ne souhaite pas changer de marque demeure fort costaude (et d'ailleurs peu recommandable).
Vie à bord
La position de conduite sur la RC390 est très «typée pur sang». Guidon large, appui sur les poignets, genoux pas trop remontés, petite bulle basse, réservoir étroit à l'entre-jambe mais qui permet un excellent maintien une fois la moto sur l'angle… l'ambiance est résolument à la course et ce n'est pas la selle confortable comme une planche qui nous contredira. Toujours au niveau de la selle, le designer s'en est donné à cœur joie puisque celle du passager ressemble furieusement à un dosseret racing. Superdesign mais taille minimaliste. Les rétros, par contre, sont énormes et permettent une rétrovision absolument parfaite, sans devoir tourner la tête. Et quand on penche celle-ci vers le tableau de bord, on ne peut qu'être surpris par la quantité d'informations à disposition. L'ensemble manque un peu de lisibilité de par la petite taille des caractères, surtout sur circuit, mais on a vraiment l'impression de se pencher sur la télémétrie d'une MotoGP! Horloge, tours/minutes, rapport engagé, vitesse, trip 1/2, odomètre, température du moteur, jauge, shift light… n'en jetez plus, c'est complet! Euuuh, en fait, non, on peut également afficher l'intervalle avant le prochain entretien, l'autonomie, la consommation instantanée ou moyenne et la vitesse moyenne. Impressionnant!
Le tableau de bord de la Yamaha offre davantage de lisibilité… mais moins d'informations. À gauche, on a le compte-tours, la jauge et l'horloge. À droite: le rapport engagé et la vitesse. Et au-dessus des compteurs, un shift light bien visible. On peut également préférer sélectionner l'odomètre, les trip 1/2, les consommations instantanée et moyenne. Plus longue de 9,5cm, la R3 offre un meilleur confort grâce à une selle beaucoup plus moelleuse, un buste positionné plus droit et des poignets moins sollicités. Le guidon, plus petit, ne plaira peut-être pas à tout le monde et l'angle de braquage se révèle également moins important. Par contre, la bulle profilée – moins étroite mais plus haute – permet de trouver un refuge lors des accélérations ou des lignes droites.
Moteur et boîte
On a coutume de dire que les financiers font ce qu'ils veulent des chiffres. Rassurez-vous, les constructeurs aussi. R3 vs RC390. Sur papier, 90cc d'écart. Faux, la Yamaha est, en réalité, une 321cc tandis que la KTM avance… 373,2cc! Finalement, la différence retombe à 52cc. Mais sur 300, cela représente quand même encore un supplément d'un gros 15% en faveur de la RC390. Les autres chiffres sont aussi en faveur de l'autrichienne: 44ch et 35Nm à 7.250tr/min contre 42ch et 29,6Nm à 9.000tr/min. Ce comparatif est également la rencontre d'un bicylindre en ligne chez Yam et d'un monocylindre chez Katé. Rien de très étonnant à cela, on connait tout l'amour porté par Mattighofen aux monos et, chez les Japonais, pour les petits blocs, on a récemment tendance à privilégier les twins. Pour une cylindrée réduite, le moteur de la Yamaha se révèle souple à l'extrême. Relativement creux à bas régime, il retrouve force et vigueur entre 9.000tr/min et 12.500tr/min. Quant à la boîte de vitesses, nous n'avons rien trouvé à lui reprocher, c'est de l'excellent matos. Assez étonnamment pour un monocylindre, le moteur de la KTM s'est révélé très linéaire, sans pic de puissance. Les rapports sont également beaucoup plus courts. Exemple: en fin de ligne droite avec la KTM, on se retrouve obligatoirement en 6e tandis que la Yamaha peut arriver en 5e si l'on tire bien les rapports. Idem dans la petite ligne droite opposée aux paddocks. En KTM, on amorce le freinage du Saarinen en 5e tandis que la Yamaha permet d'arriver à fond de 4e. Avec la RC390, on «mouline» donc davantage. Les changements de rapports se multiplient – ce qui n'est pas une mauvaise chose dans l'optique d'un apprentissage du circuit, bien au contraire – mais se tromper de vitesse en sortie de courbe sera immanquablement sanctionné par le chrono. La KTM «rupte» également sans cesse, et plus vite que la R3. La linéarité de son moteur n'envoie pas de signal au pilote qui devra donc jeter un coup d'œil de temps de temps sur le compte-tours. La Yamaha, elle, permet de jouer du sélecteur à l'oreille (bruit moteur) et/ou à la sensation (pic de puissance). Notons toutefois que le déclenchement du rupteur peut être reconfiguré sur la RC390. En vitesse de pointe, la Yamaha prend l'avantage d'un demi-poil. Mais on peut vraiment parler de match nul sur ce domaine précis car avec une bonne aspi, hop, la KTM déboitera sans problème. En définitive, malgré les chiffres avancés, niveau moteur, la Yamaha nous a semblé apporter davantage de sensations au pilote ; on aurait pu s'attendre à un peu plus de traction de la part d'un mono et d'un moteur plus puissant.
Châssis
La philosophie «Ready to Race» de KTM est également bien remarquable sur la RC390 au niveau de la rigidité de sa partie-cycle, nettement supérieure à celle de la R3. La position «circuit» du pilote est plus rigoureuse, davantage sur l'avant de la moto et le buste peut mieux se plier au-dessus du réservoir. La KTM offre ainsi une meilleure stabilité une fois installée sur l'angle grâce à cette orientation très sportive. Les prises d'angle se révèlent également plus importantes grâce à des repose-pieds peu proéminents et positionnés très hauts. Ceux de la Yamaha, par contre, accrochent extrêmement vite le tarmac à un point que cela en devient même gênant sur circuit. Heureusement, ils peuvent s'ôter en quelques secondes… mais alors, de facto, ce point de repère parfois salvateur disparait. Tour après tour, et même si Yamaha voit en elle aussi une moto de circuit, nous ne pouvons nous empêcher de penser que la R3 a été conçue avec un focus routier. Assise plus neutre, guidon plus haut, amortissement plus souple… la prise en main est beaucoup plus naturelle et plus facile avec la Yamaha. Mais le chrono, lui, ne trompe pas. Impossible d'approcher nos temps réalisés sur la KTM. Nous plafonnons à 2 grosses secondes… et ce n'est pas faute d'essayer! Difficile à croire tant évoluer sur Mettet avec la R3 passe comme une lettre à la poste. Mais la réalité est bel et bien là. De meilleurs angles, des passages plus rapides en courbe, un plus grande facilité à se jeter dans les virages, quelques kilos en moins sur la balance… font la différence.
Pneus et freins
Les pneus ont, sans doute, également contribué à faire gagner quelques dixièmes à la RC390. Moins rainurés, plus tendres, plus larges à l'arrière, ils sont, eux aussi, davantage typés circuit. Plus ronds et plus routiers, ceux de la R3 se feront, par contre, moins vite piéger sur route et sur sol humide. Niveau freinage, même si le 298mm avant de la Yamaha offre un meilleur feeling et que le 300mm de la KTM exige une bonne poigne, ces deux simples disques s'en tirent avec une grande distinction. Leur résistance à l'effort, même en fin de journée, est vraiment à souligner. Jamais ils n'ont montré un signe d'essoufflement. Une prestation d'autant plus remarquable que vu les vitesses atteintes en bout de ligne droite et le poids plume de nos deux motos, nous y sommes allés gaiment sur les freinages tardifs et bien appuyés. Soulignons encore que, tout naturellement, l'ABS équipe ces deux motos de série.
N'y allons pas par quatre chemins. Cette journée à Mettet fut un réel plaisir. Jamais, avec nos petits cubes, nous ne nous sommes sentis mal à l'aise en piste, même entourés par des machines beaucoup plus puissantes. Au contraire, se faire avaler par une 800cc dans la ligne droite et ensuite revenir en trombe sur son pneu arrière dès le Saarinen en vue procurait un petit quelque chose d'assez grisant. Un gros 160km/h «seulement» en bout de ligne droite… et pourtant, je n'ai pas entendu Arnaud se plaindre une seule fois! Sur ces machines, on s'amuse comme des petits fous et la performance pure devient totalement accessoire. Le plaisir se trouve dans le freinage tardif, dans la recherche de la meilleure trajectoire, dans la sélection du bon rapport, celui qui ne vous fera pas perdre 30m en sortie de courbe car avec ces moulins, ça ne pardonne pas. En outre, en titillant les limites de ces motos, ou même ses propres limites, difficile de se faire vraiment peur.
Conclusion
RC390 et R3 remplissent donc parfaitement leur objectif: être une excellente première monture pour les sorties sur circuit. Leur philosophie respective les destinent néanmoins à deux types d'amateurs bien différents. Celui qui veut se destiner très prioritairement au circuit optera pour la KTM sans hésiter. «Ready to Race» résume bien la RC390: position, pneus, châssis, repose-pieds… pas de compromis, on fait dans le physique. «Compromis». C'est justement le mot qui résume le mieux la YZF-R3. Ergonomie, confort, souplesse… avec elle, pas de souci pour évoluer sereinement en ville ou à la campagne. Sur circuit non plus. Mais pas dans les mêmes temps que la KTM. Le prix ne constituera, en tout cas pas cette fois, un facteur de décision. Puisqu'à seulement quelques dizaines d'euros près, ces deux motos sont proposées exactement au même tarif, avec un équipement similaire.
Merci au Circuit Jules Tacheny de Mettet et à la Mertens Riding School pour leur accueil aux petits oignons. Sans leur collaboration efficace, ce comparatif n'aurait pas été possible.
Un essai comparatif signé Laurent Cortvrindt avec Arnaud Brochier publié dans le Moto 80 n°776 de juillet 2015.