Sur la Honda Fireblade, pour trouver trace d’une révolution technologique comparable à celle de cette nouvelle RR-R SP, il faut remonter 28 ans en arrière. Plus précisément à la toute première Fireblade, un modèle qui allait bouleverser le marché avec son rapport poids/puissance unique et, surtout, son concept de «contrôle total». Depuis, la Fireblade suivait une trajectoire bien rectiligne. Jusqu’à aujourd’hui donc.
Honnêtement, nous avions un peu perdu espoir. Depuis un certain temps, pour les nouveautés vraiment excitantes, surtout dans le segment des superbikes, il fallait plutôt se tourner vers les marques (de niche) italiennes, vers Yamaha et, naturellement, vers BMW avec sa S 1000 RR. Quand la première Fireblade est apparue, il y avait des noms à ne pas prononcer chez BMW, comme celui de cette Honda.
Quelque 25 ans plus tard, les rôles sont inversés. La S 1000 RR est devenue la référence et la Fireblade, restée longtemps fidèle à un vieux concept, s’était vue reléguée à un rôle anonyme dans les coulisses, souffrant toujours d’un déficit de puissance ou d’un manque chronique de caractère.
Mais ça, c’était avant. Honda en a eu marre. Marre du dédain affiché par la concurrence, des échecs en World Superbike, de son rôle d’outsider aux sacro-saintes 8 Heures de Suzuka… Bref, de la déception générée par cette Fireblade qui fut autrefois une icône. Yuzuru Ishikawa fut ainsi sommé de se pencher une bonne fois pour toutes sur le modèle porte-drapeau de la division deux-roues du constructeur. Ishikawa, c’est l’homme derrière la RC211V, un ancien du HRC (voir interview). Durant deux ans, l’ingénieur a travaillé en secret avec les techniciens de Honda Racing Corporation. Résultat: une superbike révolutionnaire.
RR-R et SP
Trépignant d’impatience dans la pitlane du circuit GP de Losail, nous tournons autour de cette SP que nous allons pouvoir découvrir sur le tracé qatari. Circuit rapide, Losail est la piste idéale pour lâcher les 217ch d’une superbike. Avec ses suspensions Öhlins «intelligentes», la version SP est évidemment la déclinaison la plus haut de gamme. C’est un peu dommage que Honda n’ait pas également amené au Qatar la RR-R. Il aurait été intéressant de pouvoir tester les deux versions dans des conditions identiques afin d’identifier leurs différences.
Contrairement à la RR-R, qui dispose d’une fourche Showa BPF de 43mm et d’un mono-amortisseur «balance free», la SP fait appel à des suspensions Öhlins électroniques semi-actives, avec un kit pressurisé NIX30 à l’avant et un amortisseur TTX36 à l’arrière. Au niveau du freinage, si la RR-R est équipée d’étriers monoblocs Nissin, la SP fait confiance à un système Stylema signé Brembo. Bref, ce qui se fait de mieux.
Et puis, elle dispose aussi d’un quickshifter. Pour le reste, le cadre, le bloc, l’électronique et les dimensions des pneus sont identiques. Le 4-cylindres en ligne développe ainsi 217ch à 14.500tr/min et délivre un couple de 113Nm à 12.500tr/min. Le poids en ordre de marche est pour les deux versions de 201 kilos. Soit 6kg de plus que le précédent modèle! Mais cette nouvelle Fireblade développe aussi 25ch de mieux. Et 25ch, c’est beaucoup!
Décollage immédiat
Sur la piste, nous avions l’intention de découvrir en douceur cette nouvelle Fireblade. Impossible. Elle a subi une métamorphose complète! Si sa technologie avait déjà de quoi impressionner sur le papier, que dire lorsqu’on est à son guidon? Pourtant, au début, tout paraissait normal. Au ralenti, cette CBR affiche une sonorité classique. Mais une fois la sortie des stands atteinte, la valve intégrée à la ligne d’échappement signée Akra s’ouvre… Et là, les décibels se déchaînent.
Pour en profiter, il faut passer le cap de 7.000tr/min. Pour tromper les pandores évidemment. Le 4-en-ligne réagit à la moindre sollicitation. Pas de doute: son caractère n’a plus rien à voir avec l’ancien bloc. On peut d'ailleurs en dire autant du tableau de bord.
Si la navigation dans les menus à l’aide de quatre boutons garnissant le demi-guidon gauche réclame un peu d’habitude, le séduisant écran TFT de 5 pouces montre clairement les informations souhaitées. Les infos essentielles s’affichent en grands caractères: régime, rapport engagé et, évidemment, l’indicateur de changement de rapport. Une multitude de configurations d’affichage sont proposées. Chacun trouvera donc son bonheur. Vous pouvez même opter pour des cadrans analogiques.
Les possibilités offertes par le menu sont quasiment infinies avec 3 mode de conduite «par défaut» (Track, Sport et Rain), associés à 5 niveaux de réactivité de l’accélérateur, 3 niveaux de frein-moteur et, naturellement, l’antipatinage, qui peut être ajusté sur 9 positions tout en roulant via une pression sur un simple bouton. Sur le tracé de Losail, sec et propre, nous avons opté pour une réactivité des gaz en position 1 et un TC en position 2 ou 3. Plus le niveau est «bas» et moins l’électronique intervient.
Si la précédente Fireblade disposait d'un arsenal électronique assez rudimentaire, cette nouvelle génération fait appel à une centrale de mesure inertielle Bosch IMU à 6 axes. Un dispositif beaucoup plus subtil. L’entrée en action de l’antipatinage est ainsi à peine perceptible. À l’accélération, il est recommandé de ne pas couper le dispositif anticabrage. Au-delà des 10.000tr/min, la roue avant n’a qu’une envie: décoller. Et les ailettes ne suffisent pas à calmer ses ardeurs. D’où notre préférence pour la position 1, qui autorise un léger wheeling mais garantit surtout une accélération maximale.
Comme un ouragan
Après quelques tours de piste, ce qui nous étonne le plus, c’est l’envie incroyable du 4-en-ligne de grimper dans les tours. Brillant par sa volonté d’atteindre le plus vite possible les 14.500tr/min, ce bloc n’a plus rien à voir avec l’ancien 4-cylindres, dont le caractère était beaucoup plus sage. S’il se montrait encore performant à moyens régimes, il commençait à s’essouffler à partir de 12.000tr/min.
À l’accélération, cette nouvelle Fireblade, c’est un ouragan! Dans ce domaine, sa seule rivale est la Panigale V4 R. Sur ce plan, la S 1000 RR doit reconnaître la supériorité de cette nouvelle Fireblade, même si la superbike bavaroise se montre plus volontaire entre 6.000 et 10.000tr/min. La Honda est davantage pensée pour la course. Sur la longue ligne droite de Losail, les LEDs bleus et rouges s’illuminent à une telle vitesse que le pied gauche rencontre des difficultés pour suivre.
Le «blipper» équipant la boîte 6 n’a rien d’un luxe inutile. Sur l’afficheur apparaissent trois chiffres: «297», avant d’arriver au point de freinage. En 4e, avec un vent de face assez puissant. Le feulement qui sort de l’Akra en titane est addictif. Jamais la Fireblade n’avait produit une sonorité aussi réussie. Mais attention, vous aurez des soucis avec les responsables de circuits s’il vous prend l’envie d’aller limer le bitume de Zolder ou Assen.
Plongée
Après cette longue ligne droite, la première épingle à droite à négocier en deuxième constitue typiquement le genre de virage où vous retenez vraiment votre souffle si vous plongez sur les freins un quart de seconde trop tard. Mais pas de souci, les Brembo parviennent à gérer la légère survitesse en entrée de courbe. Deux phalanges suffisent pour contrôler le frein même si le freinage s’avère moins mordant que sur la Panigale avec le même équipement.
Par la suite, nous poserons la question à un ingénieur japonais: la différence provient de plaquettes un peu plus orientées «route». Lors des freinages appuyés, on remarque aussi que l’électronique fonctionne avec plus de précision que sur la précédente génération. Avec celle-ci, lorsque la roue arrière se soulevait, l’ECU avait tendance à déclencher inopinément l’ABS. Désormais, les étriers monoblocs à quatre pistons poursuivent leur effort et la partie-cycle demeure quasiment imperturbable. Avec l’ABS en mode Track, on peut bien jouer avec le frein-moteur. Mais pour nous, le meilleur compromis est la position intermédiaire entre un frein-moteur maximal (1) et un mode «deux-temps» (3).
Avec cette position 3, nous avons eu des difficultés à gérer la vitesse et, souvent, nous avons loupé le point de corde. Mais évidemment, à chacun son style. En conditions normales, il faut avouer qu’il est quasiment impossible de louper ce point de corde. Même si elle se montre un peu plus vive en raison de l’augmentation de la puissance, la Fireblade reste un exemple de «contrôle total» sur l’angle. Le précédent modèle s'avérait plus compact – et l’était d’ailleurs avec un empattement plus court de 50mm – et adorait être balancé énergiquement dans les courbes rapides, alors que la nouvelle Fireblade ne demande qu’à plonger plus loin encore.
Patience
Sur ce plan, l’amortissement semi-actif joue évidemment un rôle certain. Mais naturellement, l’ajustement de cet amortissement électronique réclame un peu de temps dans les stands, même quand on est assisté par Freddie Spencer et un technicien de chez Öhlins. Pour ajuster le set-up, il faut se balader dans les menus. Reste alors à assumer ses choix. Faut-il opter pour un set-up de base «automatique» (A1/A2/A3) ou faire confiance aux modes «manuels» conventionnels (M1/M2/M3)?
Tous ces modes par défaut peuvent être personnalisés quasiment à l’infini et sauvegardés, en les associant ainsi à un mode de conduite. Perso, nous avons préféré le mode semi-actif A1 associé au mode Track et le mode A2 en Sport Mode. Au niveau de la compression et de la détente, l’amortissement se montre bien progressif et, au guidon, on apprécie la stabilité de la Fireblade lors des freinages appuyés et des accélérations. Les transferts de masses sont moins importants et la machine se montre plus neutre lorsque l’on plonge dans les courbes et qu’on relève la moto en sortie de virage. Avec une bécane développant 217ch au vilebrequin, ça peut s’avérer important.
Précision
Dans tous les registres, la nouvelle Fireblade se montre plus précise et plus agile. Elle déroule aussi plus facilement, bien aidée en cela par son pneu de 200/55 à l’arrière, plus «arrondi». En parlant de pneus, justement, nous aurions bien aimé faire quelques tours avec les Pirelli Supercorsa SP ou les Bridgestone R11 de série, mais Honda avait directement monté des slicks Pirelli. Une attention louable, mais ces niveaux d’adhérence et de rigidité (carcasse) supérieurs ont naturellement un effet sur la direction.
Quoi qu’il en soit, dans les enchaînements rapides de la dernière portion du tracé, où il est essentiel d’avoir une machine maniable et réactive, la Fireblade excelle également. Elle se place avec précision. Surtout lorsqu’on prend le temps de peaufiner son set-up, cette nouvelle Fireblade est une moto vraiment taillée pour la piste. Et d'ailleurs, cela se remarque à la position de conduite: la selle a été rehaussée, le guidon rabaissé et les repose-pieds relevés. C’est une moto faite pour les petits gabarits. Et avec 217ch et une sacrée dose de testostérone entre les jambes, elle réclame aussi un peu de gymnastique.
Derrière le carénage hérité du MotoGP, une liberté de mouvement un peu plus généreuse aurait été la bienvenue pour ceux qui flirtent avec les 180cm. Ajoutons quand même que le réservoir, plus plat, permet de se caler plus facilement dans la bulle. C’est déjà ça de pris…
Conclusion
La Fireblade est de retour. C’est clair! Elle est quasiment aussi révolutionnaire que la Fireblade originelle, celle du début des années 90 du siècle dernier. Une Fireblade SP se doit de figurer parmi les sportives les plus abouties et les plus rapides.
Ces dernières années, voire un peu plus encore, il en allait souvent autrement. Le 4-en-ligne «traditionnel» semble ne jamais arriver à bout de souffle. Et la partie-cycle de cette Fireblade est plus racée que jamais. Il ne lui reste plus qu’à remporter les 8 Heures de Suzuka…
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TEXTE RANDY VAN DER WAL
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HONDA CBR1000RR FIREBLADE SP
Les up
– (Enfin) de nouveau une moto d’exception
– Bloc volontaire
– Toujours le fameux «contrôle total»
Les down
– Devenue exclusive, pour le prix aussi
– Faite surtout pour le circuit
– À quand une variante 600 abordable?
Disponibilité: immédiate
Consommation annoncée: 6,25l/100km
Prix de base: 25.699€