Il est toujours intéressant d’essayer une moto d’un genre nouveau. La KTM Freeride fait partie de ces novatrices et apporte quelque chose de différent parmi les catégories habituelles proposées sur le marché. Est-ce là une nouvelle façon d’envisager la pratique de la moto verte ? Pour trouver la réponse, nous vous emmenons en terre marocaine.
Au lieu dit les Terres d’Amanar à 30km au sud de Marrakech. Devant moi, à l’horizon, se découpent les contreforts enneigés de l’Atlas. A ma gauche, le mur de roches qui grimpe jusqu’au sommet, à ma droite le ravin. J’ai à peine 20cm de trace pour guider ma roue avant dans ce devers qui n’en finit pas. Pas sûr que même les chèvres du coin apprécient de s’aventurer par ici. Depuis ce matin, le décor est planté: montées abruptes et étroites dans la pierraille suivies de descentes vertigineuses, entrecoupées de passages sur de fines crêtes où l’équilibre est précaire. Et pourtant, je ne cesse de m’étonner de la facilité avec laquelle la moto évolue sur ce terrain particulier. Tout à l’heure, en pleine montée sur un petit sentier muletier, je me suis soudain retrouvé face à une grosse marche. Le temps de relancer d’un p’tit coup d’embrayage, de tenir fermement le guidon, de me lancer sur l’obstacle et j’étais déjà en haut malgré la multitude d’aspérités rocheuses plus tranchantes les unes que les autres. La motricité se veut étonnante tandis que la suspension avale facilement tout ce qui se présente devant elle. C’est un terrain de jeu absolument idéal pour cette nouvelle KTM Freeride.
Genèse d’un produit
KTM est un constructeur actif en matière d’innovations. Du reste, sa taille d’entreprise moyenne et la concurrence féroce l’obligent à trouver sans cesse de nouvelles niches pour poursuivre son développement. Au départ, l’idée était de mettre sur le marché un «trail», une machine accessible et polyvalente qui autorisait des échappées faciles en tout-terrain. Petit à petit, les responsables se sont rendus compte que ce marché déjà très concurrentiel ne serait pas facile à conquérir. Et que pour un constructeur aussi spécialisé que KTM, il valait mieux s’orienter vers un produit plus typé. De nombreux essais dans diverses directions ont permis d’affiner le concept et d’aboutir finalement à un nouveau genre de moto tout-terrain qui, mis à part Beta Alp et autre Scorpa T-Ride, n’avait jusqu’ici pas été complètement exploité.
On se trouve quelque peu à mi-chemin entre une moto d’enduro et une machine de trial. Si le bloc moteur est dérivé de la récente 350 EXC-F enduro, le châssis a lui été créé «from scracth», à partir d’une feuille blanche. L’objectif principal fut d’abord de contenir le poids et la Freeride se situe juste sous la barre des 100kg. Ensuite, il fallait proposer une moto très accessible. Une hauteur de selle limitée, des commandes douces (embrayage hydraulique), une étroitesse générale de l’ensemble sont des éléments qui permettent d’y arriver. Dans son cahier des charges, KTM tenait aussi à mettre sur la marché une moto discrète sur le plan sonore et propre en termes d’émissions. Les deux silencieux avec catalyseur intégré remplissent cette mission. Mais le filtre à air, dissimulé sous la selle et enchâssé dans une sorte de bocal transparent joue également un rôle important dans la guerre aux décibels.
Des pneus trial
Pour obtenir une bonne stabilité à basse vitesse, les repose-pieds ont été placés le plus bas possible. Et en faisant pivoter leur attache de 180°, ils peuvent être positionnés 8mm vers l’arrière, de façon à gagner en motricité si cela s’avère souhaitable. Une étape importante dans la conception de la moto eut trait au choix des pneus. Après divers essais, ce sont finalement des pneus de type trial qui furent retenus. Il s’agit des Dunlop D803 qui permettent l’emploi de pressions basses (en général 700 grammes). Mais qui offrent aussi un flanc suffisamment rigide pour permettre d’évoluer à des vitesses plus soutenues sans donner l’impression de flou propre à ce genre de pneumatiques. Dans l’univers de roches que nous rencontrons aujourd’hui, ces enveloppes participent pour beaucoup à la facilité d’évolution de la Freeride.
Des pneumatiques enduro sont nettement plus rigides et absorbent moins les chocs. Ils font davantage rebondir la roue sur un obstacle et sollicitent également davantage les suspensions. Rien de tout cela avec les Dunlop qui offrent à la fois confort et excellente motricité. Il n’y a peut-être que dans la boue qu’ils trouveront leur limite. A vérifier. Un mot encore concernant la question de l’autonomie. L’utilisateur de la Freeride devait être en mesure d’évoluer sans trop se soucier du ravitaillement de sa monture. A comparer avec les 2,5 litres habituels d’une machine de trial, les 5,5 litres du réservoir autorisent un rayon d’action supérieur à 100km. Sur un parcours technique, c’est suffisant. Notre périple bien rempli d’une journée entière n’a d’ailleurs pas dépassé 65 bornes.
Discussions de midi
A la halte de midi, les enfants du village viennent découvrir nos machines et nos équipements avec de grands yeux curieux et étonnés. Nous sommes en pleine montagne. Quelques maisons en pierres, une école mais ni électricité ni eau. Cette dernière est acheminée à dos d’âne depuis une source située plus bas. A l’abri du soleil, sous une tente, j’écoute les conversations des essayeurs échangeant leurs impressions sur le parcours matinal. «Facile» est le mot qui revient le plus souvent à propos de la Freeride. La plupart sont d’accord pour dire qu’avec une vraie enduro, les choses se seraient nettement compliquées sur ce tracé très technique. Notre guide intervient. Il a l’habitude d’organiser des randonnées sur les sentiers que nous avons empruntés mais uniquement au guidon de motos de trial. Elles sont parfaitement adaptés à cet usage mais ne permettent pas de s’assoir pour se reposer, ne fût-ce qu’un cours instant et sont aussi beaucoup mois stables une fois que la piste permet d’accélérer un peu.
Il se déclare étonné des possibilités de la Freeride dans les passages lents et dans le franchissement. Le rayon de braquage très court autorise toutes les fantaisies, les repose-pieds placés bas favorisent l’équilibre et la moto donne confiance, quelle que soit la situation dans laquelle vous vous retrouvez. Tous les amateurs de moto verte ont connu des galères, des passages délicats dans lesquels une fois engagé, on ne voyait plus comment s’en sortir. La Freeride vous enlève beaucoup de soucis de ce côté- là. Son poids restreint, sa maniabilité, sa bonne motricité vous permettent de profiter pleinement du relief sans arrière-pensées. Et même si vous devez rebrousser chemin dans un endroit difficile, grâce à sa légèreté, un petit demi-tour sur la roue arrière est chose très facile avec la machine autrichienne. Il n’ y a finalement qu’un seul bémol qui revient : à un moment, nous avons eu l’occasion de prendre un chemin rapide sur quelques kilomètres et dans ces conditions, le manque de puissance dans les tours se fait sentir. Pas lente pour autant, la Freeride n’a pas la prétention de concurrencer les vraies motos d’enduro, il faut en être conscient.
Pour qui?
L’après-midi, nous repartons sur des sentiers encore plus escarpés. La Freeride y dévoile des capacités de franchissement étonnantes. Cette moto est un vrai chamois. Elle saute d’un bloc rocheux à l’autre et, sans avoir l’air d’y toucher, grimpe avec une facilité déconcertante. A son guidon, on se fatigue très peu et on ne se bloque pratiquement jamais sur la difficulté. On se prendrait presque pour un bon ! Voilà une moto qui va permettre l’accès au tout-terrain à des gens qui jusqu’ici n’osaient s’y aventurer.
Justement, à qui se destine finalement cette nouvelle venue sur la planète off-road? Un peu atypique, sa palette d’utilisation est très large et se situe quelque part à mi-chemin entre les spéciales d’enduro et les zones de trial. Balades, randonnées plus techniques, parcours de montagne, franchissements et évolutions lentes, petite pointe de vitesse à l’occasion, la Freeride se distingue et brille par son incroyable facilité d’emploi. Il sera très agréable d’avoir ce petit jouet bien sympathique dans son garage. Peut-être un jouet en plus d’autres, d’ailleurs. Car pour un pilote confirmé, elle ne sera sans doute pas suffisante à elle toute seule. Non pas parce qu’elle sera limitée techniquement, que du contraire, mais il lui manquera simplement un peu de l’adrénaline qu’une machine plus puissante peut procurer. Il est donc difficile de prévoir si elle suscitera l’engouement au niveau commercial mais on peut affirmer que KTM a sérieusement étudié le produit et respecté le cahier des charges avec tout le savoir-faire d’un constructeur spécialisé en tout-terrain. La Freeride est nouvelle dans le genre mais déjà très aboutie, cela se ressent à tous niveaux. Vendue à 7.250€ TVAC, elle est d’ores et déjà disponible en concession.
Un essai signé Bernard Dorsimont et publié dans le Moto 80 n°738.