BMW R 1250 RT Sport vs HONDA GL1800 GOLD WING Touring Deluxe

Essais Motos Laurent Cortvrindt
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Elles s’annoncent grandes routières. Mais le sont-elle vraiment? Elles se disent aventurières. Mais en ont-elles réellement les capacités? Vérification sur le terrain à l’occasion d’une longue, très longue journée de moto. Pour obtenir des réponses, il faut parfois payer de sa personne…

Lundi matin. 10 heures. Je suis assis à mon bureau, les yeux rivés sur mon clavier à chercher l’inspiration pour mon prochain éditorial. La sonnerie de mon téléphone portable retentit et me sort de mon demi coma. Je n’aime pas le café, et parfois, certains lundis matins sont plus compliqués, et donc moins productifs, que d’autres. Aïe, c’est Pieter Ryckaert, mon confrère néerlandophone, rédacteur en chef du mensuel Motorrijder. J’angoisse immédiatement. Quand Pieter m’appelle, c’est généralement parce qu’il souhaite me faire une proposition indécente. Une proposition à laquelle j’accède tout aussi généralement, et ce avec d’autant plus d’enthousiasme que son degré d’indécence s’avère élevé.

Pieter a une bonne et une mauvaise nouvelle à m’annoncer. La bonne: il est l’heureux propriétaire pour une semaine – comme de coutume avec les motos de presse – d’une Honda Gold Wing. La mauvaise: sur le dernier week-end, il a vidé sa cave à champagne avec des amis. Sa proposition tombe dès lors sous le sens, il me demande de l’accompagner en Champagne pour rapidement remplir sa cave. Mon sang ne fait qu’un tour et j’accède à sa requête. Je vous l’avais dit. Je ne sais pas dire non, c’est mon plus gros défaut… Et puis surtout, fruit du hasard qui fait bien les choses, je viens de prendre les clés de la nouvelle BMW R 1250 RT et la bête frétille d’impatience dans le garage de la rédaction…

Airbus A380

Mardi matin. 9 heures 30. J’arrive pile à l’heure du rendez-vous, à la station-service de Nivelles. Je suis le premier mais déjà, j'entends un camion s'arrêter derrière moi pour faire le plein. C'est Pieter au guidon de la Gold Wing. Moi qui croyait la RT imposante, je revois mon jugement. Niveau mensurations, l'allemande rend 35cm à la japonaise en longueur. Et sur la balance, plus de 100 kilos séparent les deux. «Mince»… La Honda, plus basse, se béquille malgré tout plus facilement sur la centrale. Mais pour la reculer, heureusement que l'on peut compter sur la mécanique.

Avec la BMW par contre, pas de marche arrière. Dès lors, avant de vous arrêter, n'oubliez pas de penser à la façon dont vous pourrez repartir. Et donc, évitez les surfaces en pente comme la peste. Vu que nous allons voguer de conserve, ce qui sera idéal pour comparer les consos, nous remplissons les deux réservoirs à ras bord. Ensuite, cap sur la Champagne et sur la maison G. Tribaut qui produit d'excellents breuvages.

Nous échangeons nos montures et plongeons sur les GPS. Pieter a déjà terminé d’encoder la destination sur la BMW alors que je n'ai pas encore trouvé sur quel bouton appuyer. Enfin, j'exagère un peu mais il faut avouer que la RT se révèle confondante de simplicité face au cockpit d'A380 de la Honda.

Tout les oppose. D'un côté, le pragmatisme allemand, tout se commande à la molette multicontrôle du demi-guidon gauche. De l'autre côté, chaque fonction possède son propre bouton. Et encore, parfois deux boutons, l'un sur le demi-guidon gauche et l'autre sur le dessus du réservoir servent à la même opération. Bref, on ne s'y retrouve pas. Une fois le GPS enclenché, je me rends compte que l'énorme écran n'est pas tactile et je dois encoder la destination lettre par lettre, en passant à chaque fois tout l'alphabet en revue à l’aide des boutons-flèches. Préhistorique et interminable. Enfin, nous voilà lancés, option «chemin le plus court sans autoroute» sélectionnée.

Ténor & castra

Une bonne idée, cette sélection? Je me tâte… Une heure après avoir quitté Nivelles, nous traversons à peine Charleroi… Un véritable enfer. Avec deux machines de cette taille, dans la circulation urbaine actuelle et avec des bandes de circulation désormais rétrécies, se faufiler est encore possible mais souvent au prix de risques inutiles et de grosses gouttes de sueur. Faute à la taille de nos engins uniquement, car niveau maniabilité à basse vitesse, les deux blocs sont un régal d'onctuosité. Avec la boite DCT, je ressens toutefois davantage d'à-coups à la remise des gaz. Et sans embrayage, je dois m'aider du frein arrière pour maintenir paisiblement la stabilité de la moto, juste avant le point d'arrêt.

Coup classique en ville, voilà qu'un «empaffé» nous grille allègrement la priorité. En totale symbiose, nous lui klaxonnons dessus. Je sursaute dans un premier temps, effrayé par les décibels envoyé par mon avertisseur de ténor. On ne rigole pas avec la Gold Wing! Et puis j'éclate de rire en me disant que l'avertisseur BMW fait figure de castra à côté du mien.

Pour 100 balles t'as plus rien

À la sortie de Charleroi, nous nous arrêtons pour discuter le bout de gras. Le comparo se serait avéré plus équitable avec la Gold Wing «de base», celle sans top-case (néanmoins 7 plaques plus onéreuses que la RT… toute nue!). Mais pas le choix chez l'importateur Honda. Ils n'y avait qu'une Touring Deluxe. Le système d'options est en fait assez simple chez les Japonais.

Intéressé par la reine de la gamme? Vous avez le choix entre la Gold Wing standard façon bagger, la Gold Wing Touring avec un top-case et la Deluxe avec top-case, DCT et airbag. Vous voulez le DCT mais pas le top-case? L'airbag mais pas le DCT? Sorry, pas possible… Chez BMW, vous prenez deux roues, le moteur et la selle… et ensuite vous plongez sur le catalogue d'option, munis d'un stylo pour faire des petites croix partout. Enfin, sans doute jusqu'au moment où votre banquier décidera de bloquer votre Visa… Tout est en option chez BMW, ou presque. À commencer par la couleur. La RT est livrée en blanc.

Vous n'aimez pas le blanc? Option(s). Nous avons hérité de la version Sport, l'une des deux séries Style. Soit dans ce cas une livrée rouge/ardoise métallisée, quelques pièces teintes et une bulle sport. Ensuite, tenez-vous bien: Pack Confort à 1.090€, Pack Touring à 1.710€, Pack Dynamic à 520€, Pack Style Sport à 635€, Keyless à 335€, Shifter Pro à 460€, Système audio à 1.170€, Phares supplémentaires à 375€ et Intelligent Emergency Call à 335€. Au total, 6.160€ d’options et une machine à 24.760€. La note de base a bien augmenté… mais nous sommes encore 1.000€ sous la barre d'accès à la Gold Wing.

Bi ou pas bi?

Nous profitons d'une N5 déserte pour pousser un peu. Le bicylindre boxer 1.254cc développant 136 chevaux de la RT impressionne franchement. Il monte avec une aisance et une rapidité insolentes au-delà de la limite qui vous fera perdre votre permis. En pointe, la nouvelle RT doit accrocher le 230 sans difficulté. Sur la Gold Wing, impossible de suivre. Même en quittant le mode Touring et en passant au mode Sport. La Gold a beau avancer 600cc et 4 cylindres en plus, ses 10ch de moins et, surtout, ses 100kg de plus sont un handicap trop lourd à porter. D'ailleurs, on revient bien vite sur le mode tourisme, le sportif se révélant beaucoup trop agressif pour une machine qu'on aime conduire sur le couple.

Tant pis, nous laissons partir la BMW. Nous voici à présent dans le sinueux qui sépare Couvin de Rocroi. La RT fait merveille avec sa partie-cycle très vive. Malgré un poids fort sur l'avant et une position assez haute, on bascule étonnement cette grosse bête d'un virage à l'autre et on remet plein gaz dès la sortie. Le moteur bénéficie d'une telle allonge que l'on se demande parfois s'il s'agit bien d'un bicylindre. Les vibrations ont également été fort gommées, voire éradiquées, sauf dans les repose-pieds.

Difficile pour la Gold Wing de suivre. Pourtant, avec son centre de gravité assez bas, elle se révèle relativement neutre en courbe, et donc assez facile à appréhender. Les doigts sur les palettes pour passer les vitesses manuellement, et donc bénéficier d'un peu plus de frein moteur en entrée de courbe, et d'un régime plus élevé pour repartir plus fortement en sortie de virage, on se surprend même du rythme qu'il est possible d'adopter avec un tel paquebot. Seul bémol, si cela se corse en pleine courbe, il vous sera plus aisé de retrouver le point de corde au guidon de la RT qu'à celui de la Gold Wing. En outre, comme déjà expérimenté sur les K1600 bavaroises, à 170 compteur, la Honda a atteint sa vitesse maxi…

Tout confort

Oui, pour toutes ces raisons, je me suis fait larguer. Mais à l'entrée de Rethel, je rattrape Pieter grâce à un interminable feu rouge de chantier. Je n'ai pas étudié la carte et je lui demande de changer de monture. Mauvaise pioche, entre Rethel et Reims, c'est… tout droit et me voici exposé au vent qui nous attaque pleine face. Une bulle sport courte sur une routière. Quelle bête idée! La RT protège parfaitement le bas du corps, au contraire de la Gold Wing qui expose fortement pieds et tibias. Mais j'ai à présent le casque en plein dans le tourbillon et le vent pousse sur mes épaules, alors que sur la Gold Wing, je «cruisais» parfaitement planqué. Mes jambes sont également bien plus relevées et mon dos légèrement penché vers l'avant.

Une ambiance façon roadster, quand sur la japonaise, je me sentais un peu comme sur une chaise. Soudain, seconde chaleur de la journée. Un renard décide subitement que le champ de l'autre côté de la nationale doit être mieux fourni en mulots et autres gourmandises. Je monte sur les freins et remercie goupil pour cette nouvelle note dans mon calepin. Si le bloc de la RT enterre celui de «l'aile dorée», son freinage se révèle également plus mordant. Ou à nouveau, peut-être sont-ce là les effets du quintal supplémentaire sur la balance. Peu avant Reims, nous décidons de casser la croûte. Attirés par une enseigne alléchante, nous nous arrêtons dans une petite rue bien raide. Repus et en mode fainéants, nous sommes ravis de pouvoir bénéficier, sur nos deux machines, de l'assistance au démarrage en côte. Un plus appréciable avec ce genre de bécane.

Enfer & damnation

Le domaine G. Tribaut n'est plus qu'à quelques centaines de mètres mais le GPS de la Gold Wing semble vouloir nous faire visiter les vignes. En tout cas, il est dans les choux. Et ça ne fait pas nos affaires, car nous n'avons pas parcouru le trajet en soucoupe volante pour un thermos de soupe. Le problème, c'est que celui de la BMW ne nous vient pas en aide. Si vous ignorez ses injonctions, il ne recalcule pas votre trajet. Vous devez relancer celui-ci. Après 6 demi-tours entre les vignes et 10 fois plus de jurons, nous arrivons finalement au Saint Graal. Ne voulant pas abandonner un ami dans l'adversité, je décide également de faire «le plein». Mais à ce moment, une question nous taraude: combien de bouteilles pouvons-nous commander?

En outre, prévoyants comme de vrais journalistes professionnels (NDLR: peut-être aurais-je dû écrire la vérité: «Débordés par le travail…»), nous n'avons pris ni essuie ni accessoire qui éviterait aux bouteilles de se fracasser pendant le transport. Nous n'avons d'autre choix que d'embarquer nos champagnes dans leurs caisses de transport. Et là, catastrophe… la Gold Wing Touring déçoit terriblement. Nous avions déjà remarqué que ses valises latérales ne peuvent même pas accueillir un intégral, au contraire de celles de la RT. Voilà à présent que la forme tarabiscotée du top-case nous prive de provisions pour l'hiver! Résultat: deux caisses de trois bouteilles dans la BMW. Trois caisses de deux bouteilles dans la Honda. Match nul… Et quand je me souviens qu’un excellent collègue se vante toujours de la fois où il a ramené 24 bouteilles (sans caisses) du précieux liquide à bulles en ancienne Gold Wing, je me dis que le vaisseau amiral Honda a bien changé sur ce point…

Merci les poignées

Bon, c'est pas tout ça, on s'amuse à papoter avec la proprio mais le temps presse, il est déjà 16h, et les journées sont courtes. Nous allons rentrer «dans le noir». Cette fois, c'est «autoroute», et gaz vers la maison. Malin comme un singe, et sentant la température chuter, je repars avec la Gold Wing pour profiter de son confort supérieur, poignées et selle chauffantes enclenchées. Enfin, malin comme un singe… cela reste à voir.

Troisième chaleur de la journée: j’arrive suis sur la réserve et sur cette portion d’autoroute, aucune station-service à l'horizon. Impossible d'effectuer une recherche en roulant, les commandes de navigation se bloquent. Sous les 15km, l'affichage de l'autonomie disparaît. Je commence à stresser. Nous prenons la première sortie. Le stress augmente lorsque je me rend compte qu'il n'y a pas de POI sur la navigation de la Gold Wing! La RT nous sauve la mise bien qu'elle n'en avait pas besoin. Avec sa cuve de 25 litres, la BMW pouvait encore abattre quelques dizaines de kilomètres. En Gold Wing, on se contentera d'une portée de 350km. Double punition, vu que nos chemins se sépareront après la frontière, Pieter me tend les clés de la RT. Voilà, j'ai chaud aux jambes, aux fesses et aux mains… mais j'ai froid au torse. Bon, la plus costaude, c'est l'Allemande, non? Et elle éclaire vachement bien la route, cette Bavaroise! Alors c'est décidé, gaz!

Conclusion

Difficile, vraiment, de trouver une justification au tarif de la Honda Gold Wing Touring Deluxe. À moins de rouler souvent à deux. Et encore, un top-case Motorrad optionnel ainsi qu'une bulle haute ne vous ruineront pas. Pareillement équipés, vous gommerez le déficit «confort» que la RT peut accuser face à sa concurrente sur ce comparatif improvisé.

Dommage par contre qu'une marche arrière ne soit pas disponible. Autonomie supérieure, capacité d'emport plus importante, moteur musclé, partie-cycle joueuse… cette moto se révèle vraiment surprenante. À vous de voir si sa hauteur de selle plus conséquente et la position de conduite vous conviennent. De son côté, la Gold Wing met en avant un grand confort de conduite si l'on fait abstraction du vent sur le bas des jambes.

Profitez du DCT pour des passages de vitesse en douceur, appréciez l'absence de vibrations à son guidon et bénéficiez de suspensions onctueuses. Dommage, vraiment, ces valises et ce top-case étriqués. Mais si vous ne chargez jamais de caisses de champagne…

BMW R 1250 RT SPORT

Les up

– Moteur fantastique

– Volume de chargement

– Protège bien le bas…

Les down

– …mais moins bien le haut

– Options nombreuses

– Pas de marche arrière

Prix de base: 18.600€

Prix de la moto essayée: 24.760€

Consommation mesurée: 5,81l/100km

 

HONDA GL1800 GOLD WING TOURING DELUXE

Les up

– Rouleuse infatigable

– Saine à conduire

– Protège bien le haut…

Les down

– …mais moins bien le bas

– Tarif salé

– Volume de chargement

Prix de base: 25.699€

Prix de la moto essayée: 35.999€

Consommation mesurée: 5,77l/100km