Suzuki Katana: Le retour du sabre japonais

Essais Motos Laurent Cortvrindt
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Chez les plus jeunes et les plus sportifs, «l’épée» à deux roues la plus célèbre est produite chez Honda. Pourtant, une autre fine lame a écrit l’une des belles pages de l’histoire de l’industrie moto. Il s’agit de la Suzuki Katana, dont les moins de 30 ans n’ont peut-être jamais entendu parler. Cela devrait rapidement changer, car la voici de retour…

Un bref retour en arrière s’impose donc. Nous sommes à la fin des années 70 et, malgré des motos de qualité, Suzuki ne truste pas le hit-parade des ventes. Le management décide donc d’essayer de redresser la barre en s’attaquant de front au design. La société Target Design est recrutée et, au Salon de Cologne 1980, les 650 et 1100 GSX-S Katana sont présentées. Si le design a été travaillé, le style n’est pas en reste et la Katana provoque une petite révolution: le pilote fait corps avec sa machine.

Les carénages ont, par exemple, été étudiés en soufflerie chez Pininfarina, un incontournable de l’automobile. Le succès se révèle pourtant mitigé. La Katana marque les esprits de par son innovation mais son esthétique divise le public. Doublée d’un certain inconfort, elle connaitra un réussite commerciale très différente d’un pays à l’autre. Néanmoins, la Katana se voit déclinée en plusieurs versions: 250cc, 400cc, 550cc, 650cc, 750cc, 1.000cc et 1.100cc et au Japon, elle acquiert un statut d’icône.

Vu d’Europe, on peut se demander ce qui se passe exactement chez Suzuki. Ou plutôt, pourquoi il ne se passe pas grand-chose. Depuis quelques années, les «nouveautés» se comptent, en effet, sur les doigts des deux mains. Des «nouveautés», qui plus est, bien davantage dans la «réaction» face à la concurrence que dans «l’innovation». Ces motos sont-elles pour autant de mauvaises machines? Absolument pas.

La GSX-R1000 s’était d’ailleurs très bien comportée lors de notre dernier Superbike Shoot-Out. Mais depuis un moment, avouons que les Suzuki manquent de sel ou de cette géniale nouveauté qui peut faire pencher la balance. Mais tout cela, c’est «vu d’Europe». Il suffit que la marque d’Hamamatsu écoule l’un ou l’autre petit scooter par millions dans les marchés émergents pour que sa base comptable se révèle parfaitement stable.

Cela tombe bien car ce n’est pas avec une 1.000cc que Suzuki va «faire du chiffre». Non, cette nouvelle Katana a pour objectif de redorer le blason de la marque en faisant renaître un mythe. C’est donc chargé des attentes non feintes de tous les membres de la rédaction que j’ai eu l’honneur de mettre le cap vers le Japon en compagnie d’une quarantaine de collègues du monde entier, triés sur le volet, pour découvrir la nouvelle «lame» de Suzuki.

Dotation

Esthétiquement, la Katana s’inspire du modèle original en lui apportant une touche de modernité: les lignes sont plus fines, la boucle arrière se termine d'une façon très tendue, l’énorme logo rouge ne va pas sans rappeler les années 80 et le porte-plaque a été conçu comme une prolongation du bras oscillant. Mais ce qui marque immédiatement en regardant la nouvelle Katana, c’est ce bloc optique avant LED rectangulaire… plutôt atypique en regard des canons esthétiques d’aujourd’hui mais un rappel fidèle de la Katana originelle. Une signature lumineuse agrémentée de feux de position avant LED.

Ensuite, c’est évidemment ce guidon très haut, là où on aurait pu attendre des clip-on davantage néo-rétro. Mais ne prononcez surtout pas ces mots aux géniteurs de la Katana, ils vous répondront que vous n'avez rien compris au concept! Suzuki n’a précisément pas souhaité travailler comme l’a fait Kawasaki avec sa Z900RS. Non, la Katana fait honneur au passé mais elle a été développée, esthétiquement, mécaniquement et au niveau des performances, comme une moto urbaine sportive résolument moderne. C’est en tout cas ce que s’est évertué à marteler le grand patron sous nos questions répétées. La selle passager adopte une jolie couleur biton alors que la boucle arrière, bien plus moderne, tranche avec la face avant. Ici aussi, l’éclairage passe au LED.

Au niveau de son architecture, la nouvelle Katana reçoit un cadre périmétrique en aluminium. Celui-ci avance exactement le même poids que celui de la GSX-R1000 actuelle. Le bras oscillant, en alliage d'aluminium, provient quant à lui de la GSX-R1000 de 2016 et les longerons latéraux relient directement la colonne de direction au point de pivot du bras oscillant. Pour la partie-cycle, nous enregistrons une fourche inversée KYB de 43mm à réglages hydrauliques (compression et détente) et mécanique (précharge des ressorts), et 120mm de débattement.

À l’arrière par contre, on ne bénéficie que de 63mm de débattement. Rayon freinage, les étriers avant monoblocs Brembo à montage radial sont également hérités de la GSX-R1000. Ils possèdent chacun quatre pistons opposés de 32mm agissant sur un disque flottant de 310mm. Pour le disque arrière, aucune information n’a, par contre, été communiquée.

Enfin, au niveau de l’électronique, la nouvelle Katana peut compter sur un système d’antipatinage contrôlant 250 fois par seconde la vitesse des roues avant et arrière, l’ouverture des gaz, la position du vilebrequin et le rapport engagé. Celui-ci réduira immédiatement la puissance du moteur en agissant sur l'allumage chaque fois qu'il détectera un patinage. L’embrayage SCAS (Suzuki Clutch Assist System) se voit doté d’un limiteur de couple qui agit comme un système à glissement limité lors de rétrogradages rapides. Quant au Low RPM Assist, il facilitera les démarrages et les manœuvres à très basses révolutions. Par contre, pas d'embrayage assisté en vue.

Bloc connu

Le programme de cet essai s’annonce quelque peu particulier. Au Japon, on ne plaisante pas avec la réglementation et avec la sécurité. Nous nous retrouvons donc sur une section de route complètement fermée, un véritable toboggan qui tourne sans arrêt, en montant et en descendant, auprès duquel Suzuki a installé son camp de base. Au menu: 2h30 pour faire les photos et, ensuite, trois allers-retours pour l’essai en tant que tel. Soit 60 bornes de virages à enchainer. C’est tout? Oui, c’est tout. Je ne serai donc absolument pas en mesure de vous parler de la tenue de cap en longue courbe, de la protection face au vent, du confort sur voie rapide ou de la maniabilité en ville.

Penchons-nous dès lors de ce que le tracé nous a permis de ressentir. Avant tout, on retrouve avec plaisir le 4 cylindres en ligne de 999cc de la GSX-S1000. Un bloc, pour rappel, lui-même décliné du moteur de la GSX-R1000 de… 2005-2008! Oui, cela ne nous rajeunit pas, Suzuki a fait appel à un bloc vieux de près de 15 ans! Premier avantage: il y a peu à craindre du point de vue de la fiabilité. Deuxième avantage, ce bloc est reconnu pour sa souplesse, son allonge très linéaire et sa rondeur. Sous 4.000 tours, il ne se passe pas grand-chose. Entre 4.000 et 8.000 tours, on passe un premier palier qui permet de cruiser, même sportivement, sans trop se fatiguer avec la boîte de vitesses.

Mais à partir de 8.000tr/min, cramponnez-vous solidement, ça décoiffe véritablement, surtout sur un roadster! Malheureusement, on retrouve aussi cette commande des gaz capricieuse, un peu «on-off». Gênant à la remise des gaz ou pour maintenir une vitesse parfaitement stabilisée. Un point déjà relevé sur les GSX-S1000/F. Le bloc a donc bien été repris tel quel, sans aucune modification. Suzuki positionnant sa Katana comme une moto à tendance sportive, un quickshifter aurait pu être disponible de série, ou à la limite en option. Mais ce ne sera pas le cas.

Stabilité

La finition n’a, de toute façon, visiblement pas fait l’objet d’une attention rigoureuse, comme en témoignent les cordons de soudure absolument pas cachés sur le cadre et le bras oscillant, ou encore ce levier d’embrayage non réglable en écartement. Un détail, certes, mais sur une 1.000cc… Le tableau de bord, – pas vraiment joyeux car uniquement en noir et blanc, se révèle toutefois lisible avec sa luminosité adaptable -, nous indique les infos essentielles: vitesse, régime moteur, odomètre, deux trips, chrono, rapport engagé, température du liquide de refroidissement, autonomie, consommation moyenne et instantanée, contrôle de traction, jauge, horloge et état de la batterie.

Sur ce terrain d’essai, nous avons jugé les freins très bons. Pas exceptionnellement mordants mais progressifs et efficaces. Niveau suspension, c’est assez souple, surtout à l’arrière, malgré un très faible débattement. En conduite sportive, on notera dès lors évidemment une légère tendance à sautiller sur les mauvais raccords mais rien de vraiment perturbant, la capacité d'amortissement semble vraiment intéressante. À confirmer sur nos routes défoncées.

Même si elle a fait preuve d'agilité et de stabilité, la nouvelle Katana nous a quand même semblé un peu moins précise dans son placement sur l'angle que la GSX-S. Une impression également à confirmer lors d'un véritable essai complet avec, si nécessaire, un ajustement de l'amortissement. Les 215 kilos ne se font en tout cas nullement ressentir une fois la machine en mouvement. Enfin, accordons d'excellentes notes pour la qualité de la boite de vitesses fluide et au verrouillage sans faille ainsi qu'au grondement de l’admission et à la générosité sonore de l’échappement de série.

Fruit défendu

Bien que cela m’ait été refusé, je décide de profiter du 3e et dernier «aller-retour» pour rouler à allure légale, histoire de «sentir» le comportement de la moto dans une utilisation nettement plus en phase avec la réalité. J’évoluerai donc principalement entre 70km/h et 90km/h. En maltraitant moins la poignée de gaz, les à-coups disparaissent. La moto se fait plus douce. On sent d’ailleurs à ce moment que sous 4.000 tours, la puissance prend vraiment son temps pour arriver. Par contre, jamais le 4 cylindres ne se met à cogner, même sur le 5e ou 6e rapport à très basse vitesse. Aucune vibration non plus à signaler, tout se passe confortablement.

En parlant de confort, nous n’avons pas roulé suffisamment longtemps et de manière assez continue pour porter un jugement pertinent. Mais tout porte à croire que cette nouvelle Katana ne vous démolira pas. Un saute-vent plus haut sera disponible en option. Mais globalement, la selle apporte satisfaction. Pas vraiment basse mais très fine, elle permet de bien poser les pieds au sol. Le dos reste relativement droit, les genoux ne sont pas trop pliés et les poignets bénéficient du guidon haut pour ne pas se casser. Il faut un peu s’habituer à ce guidon haut et large mais celui-ci permet d’engager la moto dans les virages. La positon n'a, en tout cas, plus rien à voir avec celle très sportive de l'ancienne Katana sur laquelle nous avons pu nous «coucher» au musée Suzuki.

Je profite de mon train plus touristique pour relever un dernier point intéressant: vu qu’il tombe toujours quelques gouttes de-ci de-là, la route n’a jamais totalement séché. Et en réalité, le témoin du contrôle de traction clignote fréquemment… sans que je ne perçoive quelque chose. Je suis sur la position «3», soit la plus interventionniste. Et je pourrais diminuer le niveau via les stades «2» ou «1». Mais cela aussi nous a également été rigoureusement interdit. La veille, un collègue de l’Hexagone n’a pas pu résister à l’envie. Il a fait 500m avant de se manger un coup de raquette, moto pliée et journée terminée. Il se trouve que même en ayant coupé et puis remis le contact, le dernier réglage reste enregistré. Une particularité à ne pas perdre de vue… Dernier point: à la fin de cette journée, le Trip A m’indique que j’approche les 100km et l’ordinateur de bord m’annonce une autonomie de 100km. De toute façon, avec un réservoir de 12 litres, on sait que les étapes seront limitées.

Conclusion

Quand Suzuki a communiqué à propos de sa volonté de faire renaître le mythe Katana, je me suis mis – comme beaucoup de monde – à rêver d’une belle néo-rétro. Ce n’est pas le cas. Et après ce test, je ne peux que confirmer, la Katana est bel et bien une machine 100% moderne. Mais une moderne conçue sur base recyclée qui n’a malheureusement pas évolué. Difficile, dès lors, d’avaler un prix de vente supérieur à celui de la concurrence… avec une dotation plus limitée.

C’est pourquoi, même si Suzuki l’annonce comme une véritable moto moderne, j’ai la sensation que la nouvelle Katana vit davantage sur son passé qu’elle ne se tourne vers le futur… Dommage, car certaines facettes de cette machine se sont avérées réellement attachantes lors de ce premier court essai. Vous ne passerez pas inaperçu au guidon de votre Katana, c'est certain. Mais l’évocation de ce nom appelait sans doute à davantage d'audace, sous risque de voir l’histoire repasser les plats, confort excepté. Relisez mon introduction…

Les up

– Bloc éprouvé et reconnu

– Efficace et dynamique

– Position confortable

Les down

– Remise des gaz toujours «on-off»

– Dotation et finition

– On attendait plus

Prix de lancement: 14.799€

Consommation annoncée: 5,3l/100km