En ajoutant simplement un carénage à la version naked de sa GSX-S1000, Suzuki propose pourtant une tout autre moto, identique mécaniquement mais différente en sensations.
Habituellement, pour tester leurs nouveautés, les constructeurs nous envoient vers le Sud lointain. Cette fois, changement de cap: pour la présentation de la version F, comme «Fairing», de sa GSX-S1000, Suzuki nous a amenés sur l’île de Man. Lieu mythique s’il en est surtout pour la marque d’Hamamastu qui y a conquis son premier titre mondial en 1962. Mais surtout un lieu parfaitement approprié à l’essence même de la machine présentée comme une «sport street», une sportive prête pour la route. Une moto qui, à l’exception de son carénage, reprend entièrement les caractéristiques de la version roadster que vous avez pu découvrir en détail dans notre n°774 du dernier mois de mai. Les collectionneurs s’empresseront de relire la prose de mon collègue Thierry Dricot. Pour les autres, rappelons que Suzuki a placé, dans un double berceau en alu, le moteur de 999cc qui équipait les anciennes GSX-R entre 2005 et 2008 et qui fit les belles heures de l’usine, notamment au mondial Superbike. Un moulin cependant retravaillé pour passer de près de 180ch à 145ch aujourd’hui, via des soupapes et des arbres à cames différents mais aussi un traitement des parois des cylindres. Un travail destiné à augmenter l’agrément à bas et moyen régimes tout en conservant suffisamment de pêche pour le plaisir.
Carénage en plus
Coincées entre les paddocks d’herbe anglaise et le cimetière où reposent éternellement quelques malheureux pilotes fauchés à la recherche de la gloire, toutes habillées d’un bleu lumineux, les GSX-S1000F nous attendent alignées en rang d’oignons, à Grandstand, lieu de départ de la plus célèbre Race Mountain de la planète. De profil, le carénage apparaît dans un mouvement effilé, avec des lignes fuyantes bien dans l’idée sportive. On devine à peine le moteur tellement il est englobé d’éléments de carrosserie, un appendice latéral supplémentaire venant faire la jonction avec le châssis. De face, ce carénage se montre plus massif, plus large, question de protéger au maximum son pilote sans toutefois renier une allure sportive indéniable. Les deux larges optiques sont séparées par une avancée en pointe qui n’est pas sans évoquer un bec de canard. Ce côté plus costaud est peut-être également dû au garde-boue qui joue les spoilers sur les devants d’une fourche inversée. Un petit saute-vent en plastique totalement transparent mais sans réglage aucun, couronne le tout. Seule faute de goût: des clignotants à l’ancienne. Ils sont bien trop volumineux alors qu’il aurait suffi d’intégrer ces indicateurs indispensables dans les optiques elles-mêmes pour éviter cet anachronisme. En inspectant coins et recoins, on constate qu’un évident effort a été effectué pour canaliser discrètement câbles, durites et fils divers. Le mariage de ce bleu lumineux et le noir mat du moteur et du châssis, agrémentés de quelques logos, renforce encore l’élan qu’avance cette «race bike street».
Simple et facile
Le photographe n’attend pas et veut immortaliser mon envolée pour un tour de reconnaissance du circuit sous l’arche de départ du TT. Je me sens directement à l’aise sur la moto. La selle n’est pas trop haute, avec un arrière qui vous cale bien les fesses, les pieds se posent sur le sol sans problème mais surtout, le guidon ; signé Renthal, est bien dessiné: le buste s’incline d’une manière naturelle, sans se montrer trop en appui sur les poignets. Le réservoir, tout aussi bien réalisé, bénéficie de la juste mesure pour bien maîtriser et ressentir la moto grâce aux genoux: ni trop large ni trop étroit. Le tableau de bord est simple, lisible et identique à la version naked. J’apprécie la commande de navigation dans le menu placée en haut du commodo gauche. Pour une fois, c’est simple et facile et elle permet de jongler avec les 3 positions du contrôle de traction qui s’affiche instantanément à l’écran.
En roulage, il faudra néanmoins couper les gaz d’une poignée ride-by-wire toute onctueuse pour changer de mode. Les commandes reculées se trouvent aux bons endroits, pliant les jambes de manière naturelle. Hormis l’ABS, aucune autre aide à la conduite n’est disponible en complément. L’absence de mode de puissance moteur se voit compensée par une position 3 du contrôle de traction très, très réactive et qui est apparue suffisante aux ingénieurs pour dompter le 4 cylindres sous la pluie ou sur une route glissante. Avant de m’élancer, un premier plaisir me vibre aux oreilles. L’échappement émet une sonorité métallique qui n’ira que crescendo en tournant la poignée. Avec un brin d’imagination, je m’y crois! Surtout que les principales protections, ô combien aléatoires, bordent encore les obstacles principaux du circuit.
Descente vers Ramsey
Comme l’a fait Thierry, je constate d’emblée l’élasticité du moteur. C’est bien nécessaire car la première partie du tracé qui m’emmène à Ramsey est truffée de limitations de vitesse, de carrefours et de quelques feux. Sans parler de la circulation, pas trop dense, mais suffisante pour apprécier les relances musclées du moulin lors de dépassements rendus indispensablement rapides vu la configuration des routes étroites et pleines de virages aveugles. Hormis quelques à-coups d’injection à bas régime sur les deux premiers rapports d’une boîte dont la sélection se fait oublier tant par sa précision que par sa douceur, ce moteur est bien plein partout et, avec quelques vibrations, accepte les relances même en dessous des 2.000tr/min. Durant cette première partie du circuit, j’apprécie le bon équilibre général et cette facilité à changer d’angle. Dans la circulation, la moto vous permet d’être vraiment à l’aise et de tout contrôler, avec un rayon de braquage tout aussi adéquat pour vous glisser entre les voitures. Le carénage protège bien, certes pas comme un carénage touring, mais davantage que celui d’une sportive. En prime, il apporte encore un peu plus d’appui sur le train avant, vous permettant de ressentir efficacement le rendu de la route. L’avant reste néanmoins léger mais sans mauvaises surprises, avec un placement précis et toujours neutre, quel que soit l’état de la route.
Tout son sens
J’atteins Ramsey et entame la partie montagneuse du tracé. La circulation devient nettement moins dense et, comme quelques moutons, les rares habitations sont bien éparpillées dans la campagne. Je vais pouvoir ouvrir en grand. C’est ici que le carénage prend toute sa signification. La bulle semble minuscule mais canalise adroitement le flux d’air et permet une vision sans vibration. Les grands gabarits de plus de 1,80m seront peut-être moins protégés, simplement parce que la selle manquera, pour eux, de longueur. D’ailleurs, les ingénieurs auraient pu sans problème sacrifier la galette et les repose-pieds réservés à un passager complètement chimérique! Sur une chaussée souvent bosselée, j’apprécie les suspensions KYB. Elles sont réglées un peu fermement mais dans un accord précis, elles filtrent bien les imperfections, permettant à la moto de garder son cap et d’éviter tout décrochage. Les miles défilent avec un 4 cylindres qui découvre vraiment toute son impétuosité aux environs des 7.000tr/min. Le chant de ses montées vers la zone rouge est vraiment aussi envoûtant que les sensations qu’il procure. L’occasion aussi de tester les freins. Rien à redire, c’est du Brembo efficace, réactif et surtout endurant. Que du bonheur.
En conclusion
Si elles se révèlent similaires mécaniquement, les deux GSX-S1000 sont bien différentes. Manifestement, le carénage de la «F» amène un autre comportement. Pas seulement au niveau du confort du pilote mais aussi de la perception du train avant. Sans parler de son look plus attractif et qui le sera plus encore si vous piochez dans les nombreux accessoires optionnels en carbone ou en alliages nobles prévus. En présentant des lignes plus classiques, la version F se distingue aussi des productions concurrentes, on pense ici plus particulièrement à Kawasaki. Elle constitue l’un des seuls choix du marché pour les gars qui aiment les engins pêchus capables de booster leur adrénaline mais qui ne veulent pas d’une pure supersport moins confortable ni d’une naked sans protection. Après trois boucles menées tambour battant, c’est à peine si la fatigue se faisait sentir…
Ils sont fous ces Britons…
Avec sa monnaie, ses chats sans queue et son climat quelque peu tropical, l’île de Man est déjà un endroit à part. Mais avec son TT, elle l’est encore plus. Voici plus de 30 ans que je n’y avais plus mis ni les pieds ni les roues mais le charme est toujours bien là. Comme mes collègues, j’ai eu la chance d’être guidé par Richard Quayle, ex-concurrent aujourd’hui reconverti en marshal, et plus précisément chargé de l’éducation des nouveaux venus sur le circuit. «Quand il y a des limitations de vitesse, vous les respectez», nous dit-il d’entrée. «Quand il n’y en a pas, il n’y en a pas. C’est full gaz» Et de nous expliquer aussi que 70% de la population est en faveur des courses, que le gouvernement local voit celles-ci d’un œil aussi favorable que les rentrées financières qu’elles génèrent dans les caisses de ce petit État. Sans parler, naturellement, des hôteliers, restaurateurs et bistrotiers dont la majeure partie du chiffre d’affaires se réalise durant les semaines de compétition. «Contrairement à ce que l’on peut croire, la partie la plus difficile n’est pas celle descendant vers Ramsey. En traversant les différents villages, vous avez une foule d’indices, les cabines téléphoniques, les pubs, les arrêts de bus, pour contrôler votre pilotage. Par contre, dans la partie montagneuse, vous n’avez pas tout cela et les points de repères manquent.» Jamais tenté d’aller mettre une petite marque de couleur au sol? «C’est strictement interdit!» La connaissance précise des 60,67km du tracé est donc primordiale pour aller vite et mettre un TT à son palmarès. Pour la petite histoire, pendant quelques centaines de mètres, j’ai mis la GSX-S1000 F à 137 miles, soit près de 220km/h. Quelque instants seulement… alors que ces 137 miles correspondent à la moyenne au tour des meilleurs concurrents du TT! Vous lisez bien, la moyenne. Sont fous ces Britons…
Un essai signé Philippe Borguet.
Publié dans le Moto 80 #777 d'août 2015.