Lancée en 2004, la Rocket 3 reste un «Ovni» dans le monde de la moto! Quelle mouche a bien pu piquer les décideurs de chez Triumph pour imaginer un bloc trois cylindres digne d'une voiture monté latéralement dans un châssis de moto? Initialement lancée avec un moteur de 2.300cc, la Rocket 3 revient en 2020 avec un bloc de 2.500cc et un châssis revu de fond en comble! Mais pas uniquement…
Je m'en souviens comme si c'était hier, nous étions en 2004 et la Rocket 3 faisait son apparition sur le stand Triumph au salon de Bruxelles. Elle avait déjà fait grand bruit dans la presse mais je l'avais sous les yeux et j’en restais ébahi. Il fallait que j'essaie ce «truc»!
Mon ami Luc Denis (concessionnaire Triumph à Waterloo) me rassurait immédiatement en me promettant un essai dès son arrivée en show-room. Quelques mois plus tard, j’ai pu monter sur la bête pour me rendre à Francorchamps où quelques amis roulaient. Je me souviens parfaitement avoir parcouru la moitié du trajet sur autoroute et l'autre moitié sur route. J'en garde encore un souvenir ému alors que la puissance et le couple s’avéraient déjà démoniaques malgré une implication corporelle conséquente plus que nécessaire afin que la bête ne daigne tourner.
En jargon motard, on pouvait même qualifier cette première Rocket 3 de sacré camion. Je me souviens aussi de l'incroyable souplesse du moteur qui m'avait motivé à prendre une sortie d'autoroute sur le dernier rapport (en 5e) et me laisser ralentir jusqu’à ce que le moteur me supplie de remettre du gaz pour ne pas caler. Je rouvre donc en grand à 35km/h pour monter jusqu’à +/- 260 km/h, si mes souvenirs sont bons. Soit 225km/h sur le même rapport: seule la Rocket 3 pouvait proposer ce style de performance!
Plus gros moulin
Mais me voici à Ténérife devant la version 2020 et cette nouvelle Rocket 3 me parait nettement moins impressionnante en termes de gabarit. De fait, ayant perdu 40kg sur la balance, la moto se dévoile beaucoup plus compacte et même le moteur parait plus petit malgré son augmentation de cylindrée de 200cc. J'apprendrai plus tard que pas moins de 18kg ont été gagnés sur le seul bloc. Un moulin entièrement neuf et pas une simple évolution de l'ancien 2,3l!
La présentation presse qui suivra ne fera que confirmer mes impressions alors que 100% de la moto ont été repensés dans le moindre détail. Et des détails, il y en a foison! Où que mes yeux se portent, je trouve que c'est beau et bien pensé, à l'instar des repose-pieds passager qui sont un exemple d'ingéniosité tout en intégrant un design léché.
La Rocket 3 nous est présentée en 2 versions distinctes: la R et la GT. De manière évidente, la GT s’oriente vers une utilisation plus décontractée avec une position de conduite plutôt relax alors que la R s'apparente davantage à un vrai roadster. Vu que c'est la pièce maîtresse, le moteur attire toute mon attention avec ses chiffres hors normes.
Il s’agit là, tout simplement, du plus gros moulin moto de toute la production actuelle mondiale et ses 2.500cc impressionnent autant que les chiffres qui en découlent: 167ch et 221Nm de couple. Et, clou du spectacle, j’apprends que ce dernier ne descend jamais sous la barre des 200Nm de 2.500tr/min à 5750tr/min, pour une puissance maximale délivrée à 6.000 tours! Ça promet…
Fort bien suspendu
Niveau châssis, Triumph nous annonce une belle surprise au niveau de la maniabilité. A priori la plus grosse amélioration par rapport au modèle précédent. Pas difficile, me dis-je en silence, mais la présentation continue et les techniciens nous détaillent le nouveau cadre en aluminium partiellement forgé, 50% plus petit et 50% plus léger que son ainé.
Le tout à l'air fort bien suspendu grâce à Showa qui fournit une grosse fourche de 47mm de diamètre et un amortisseur à bonbonne extérieure équipé d'un réglage de précontrainte hydraulique parfaitement dissimulé sous l'assise. Le tout s’avère réglable en compression comme en détente pour le plus grand bonheur de ceux qui s'intéressent un peu à la chose.
Les nouvelles jantes en aluminium sont de toute beauté et on peut pleinement profiter du design de celles-ci grâce, entre autres, au superbe monobras oscillant. Niveau freinage, on se trouve à nouveau face à du lourd avec ce qui se fait de mieux chez Brembo. À l'avant, rien de moins que les fameux étriers radiaux à 4 pistons de type «stylema» qui pincent des disques de 320mm alors qu'on retrouve encore un étrier radial à 4 pistons pour s’occuper du disque arrière de 300mm. Vu la bestiole qui pèse plus de 300kg tous pleins faits, le freinage avant se voit couplé avec l'arrière et pas moins de 12 pistons viennent donc pincer les disques lorsque vous actionnez le levier de frein avant. Il est tout à fait possible de n'utiliser que le frein arrière si vous le désirez mais l'action du frein avant entraine inévitablement un freinage de la roue arrière.
Pour ceux qui n'avaient pas connaissance de cette technique, il est bon de rappeler que Honda (et d'autres) l'utilise depuis des décennies, et c'est tout bénéfice pour l'assiette de la moto au freinage. En effet, l'action du frein arrière augmente la force de freinage tout en verrouillant la détente de l'amortisseur. Dès lors, le train avant plonge nettement moins et l'équilibre général se voit préservé, même sur les grosses décélérations.
Familiarisation
L’électronique se montre à l'avenant avec son lot de systèmes sécuritaires de premier choix. Un boitier inertiel est à la base de milliers de calculs à le seconde pour gérer l'accélérateur sans câble, le contrôle de traction, l'ABS de dernière génération (freinages sur l'angle), les modes de conduites, l'aide au démarrage en côte, la clé codée, le cruise control, l'écran TFT entièrement paramétrable et l'éclairage à LEDs dont les clignotants s'éteignent tout seuls après le tournant annoncé.
En option, on peut opter pour un quickshifter «up & down» de même qu'un «révolutionnaire» système de connectivité pour son Smartphone et sa caméra GoPro mais je m'abstiendrai de développer le sujet pour ne fâcher personne… Moi en premier! La longue mais néanmoins très intéressante présentation se termine par une vidéo assez suggestive et l'envie de chevaucher l'engin ne fait qu'augmenter.
Une courte nuit plus tard, je me trouve face à une Rocket 3 R rouge et j'apprends qu'elle sera ma compagne pour la matinée. Toujours de circonstance de nos jours, les dix premières minutes sont dédiées à la familiarisation avec l'interface de gestion des menus et paramétrages électroniques. Je trouve le système plutôt pas mal pensé mais la liste des possibilités de réglages est immense. Et face à la quantité d'infos disponibles, l'écran se révèle un peu petit à mon goût. Mais c'est un détail. Vu la taille du moulin et son couple de tracteur, je décide de jouer la carte de la prudence en partant sur le mode «pluie» qui limite la puissance à 100ch, avec un couple diminué de 20%.
Virile, permanente et linéaire
Je m'élance dans cette configuration et force est de constater que cette moto n'a rien de fade, même «diminuée» de la sorte. Vingt minutes me suffiront pour exploiter ce mode avant d'enclencher le mode «route», synonyme de pleine puissance. Évidemment, la différence est nette et directe, au grand bonheur de mon corps qui se retrouve catapulté d'un virage à l'autre.
À ce propos, la mise sur l'angle me parait immédiatement instinctive mais je reste sur mes gardes avec une bonne dose de réserve pour appréhender ce monstre mécanique. Le freinage se montre bel et bien au rendez-vous même si les quelque 300kg se font ressentir. Je prends doucement mes marques et, naturellement, le rythme commence à augmenter alors que notre ouvreur du jour nous invite à exploiter l'énorme bloc trois cylindres. C
’est l'heure des franches accélérations et je pousse la moto jusqu'au rupteur, soit 7.500tr/min. Mais nul besoin d'aller jusque-là: la plage d'utilisation qui s’étend de 2.000 tours à 6.500 tours distille une poussée aussi virile que permanente et linéaire. L’indicateur de vitesse s'affole et il est assez opportun de se retrouver au milieu d'un paysage lunaire où les radars n'existent pas!
La boite de vitesses constitue également une des grosses améliorations de ce nouveau modèle car les vitesses passent aussi parfaitement que précisément. L'absence de quickshifter ne me dérange pas le moins du monde et je prends même beaucoup de plaisir à rouler «old school» avec miss Rocket qui mérite bien son nom.
Notre roadbook du jour nous propose de serpenter sur les flancs du volcan Teide. La route devient de plus en plus sinueuse et je m'étonne, chaque virage un peu plus, de la facilité avec laquelle je balance la Rocket 3 dans les courbes en guettant le moment où mon repose-pied viendra gratter le macadam. L'ouvreur nous met en confiance avec des entrées en virage volontaires et je prends de plus en plus d'angle. Finalement, je frotte l'embout de repose-pied contre le sol mais la suspension arrière est réglée fort souple et je suis sensiblement penché.
Les freinages se font de plus en plus appuyés et je suis gêné par le frein arrière dont l'ABS me renvoie des signes de fonctionnement inadaptés à la situation. Conscient que cet effet provient du freinage couplé, je finis par ne plus utiliser le frein arrière et mes soucis s'évanouissent aussitôt. En utilisant uniquement le frein avant, je peux néanmoins toujours freiner fort et je réserve l'utilisation du frein arrière à quelques interventions en virage pour ramener la moto à la corde. Une fois le mode d'emploi assimilé, tout rentre dans l'ordre mais l'heure du lunch a sonné et nous observons une pause bien méritée.
Garde au sol
Pour l'après-midi, une version GT s'offre à moi et je me retrouve bien désorienté par la position totalement différente. Alors que le moteur et les réglages de suspensions restent identiques, j'ai l'impression de rouler avec une autre moto. Si cette posture invite à plus de décontraction, je dois avouer que les repose-pieds fort en avant conviennent peu à ma petite taille. Certes, trois positions sont disponibles mais il n'en est pas question vu l'absence d'outils.
Je ferai quand même une bonne heure de route à son guidon en profitant de cette ergonomie qui incite moins à la conduite sportive. Chance pour moi: un autre journaliste me demande si il peut récupérer la GT qu'il préfère et c'est avec un grand sourire que je grimpe à nouveau sur la R. L'ouvreur du jour ayant le poignet droit «assez souple», je lui fais un clin d'œil et me colle à son train pour avaler la dernière partie du roadbook. Un grand moment de moto avec un rythme inavouable mais, surtout, une révélation: cette Rocket 3 s'avère carrément sportive quand on la cravache.
Tout m'étonne en elle, à commencer par sa garde au sol et son incroyable agilité pour une moto de plus de 300kg. Entre les indescriptibles accélérations et les freinages de trappeur, la Rocket vire d'un bloc sans broncher et je prends un pied colossal.
Conclusion
À cette allure, nous arrivons trop rapidement à l'hôtel où je dois rendre les clefs de cette Rocket 3 qui vient de me procurer des sensations rares et, finalement, très inattendues. C'est une immense bonne surprise et je ne peux que féliciter le staff Triumph d'avoir ressuscité la Rocket 3 en lui greffant un tel potentiel.
De plus, je trouve la moto très belle avec une grosse identité visuelle couplée à un niveau de finition irréprochable. Alors, effectivement, le prix pique un peu mais de nombreuses autres motos sont proposées à des tarifs similaires sans pouvoir proposer un tel package. Le rapport qualité/prix/sensations/exclusivité/finition est plus qu'au rendez-vous et j'avoue avoir eu un vrai coup de cœur pour cette machine hors du commun à tous points de vue!
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Prix de base: 21.600€
Consommation affichée: 6,82l/100km
Disponibilité: àpd mi-décembre
Les up
– Châssis d'une agilité insoupçonnée
– Moteur indescriptible
– Finition de haute volée
Les down
– Calibrage de l'ABS sur la roue arrière
– Mollet droit qui chauffe sur la GT
– Taille de l'écran TFT