Rouler en Flandre et aux Pays-Bas, sur la rive gauche de l’Escaut, quelle drôle d’idée! Même les Flamands préfèrent, et on les comprend, les sinueuses routes ardennaises à leurs voiries rectilignes, limitées et radarisées. Pourtant, il est encore possible de respirer l’air du large et de s’amuser à moto pas loin de chez nous, entre Flandre et Zélande, à condition de sortir des grands axes.
Sortir des grands axes, oui, c’était la condition sine qua non pour tracer un itinéraire moto digne de ce nom dans le pays de Waas et en Zélande. Aussi, autant vous prévenir tout de suite, le Tripy ou le GPS seront vraiment indispensables pour suivre l’itinéraire que nous vous proposons ce mois-ci, tant les changements de direction y sont nombreux et se ressemblent… Ne vous attendez pas non plus à un festival de grandes courbes comme dans le sud du pays. Mais le changement de décor vaut le déplacement. Le point de départ de cette BBB n’est autre que le Grote Markt (Grand-Place) de Sint-Niklaas. La ville, capitale du pays de Waas s’appelle Saint-Nicolas en français, mais nous avons préféré utiliser les toponymes locaux. S’il est inepte de «flamandiser» les noms des villes wallonnes – des traductions comme Namen, Bastenaken, Hoei ou Nijvel nous horripilent –, il l’est tout autant de franciser les noms de localités flamandes, soyons de bon compte. Cette mise au point faite, passons la première pour décoller gentiment, à un train de sénateur. Rappelons à ceux qui l’ignoreraient que les radars fixes abondent en Flandre. Nous mettons le cap au nord, direction Hulst mais bifurquons bientôt vers Nieuwkerken et Vrasene. Après avoir enjambé la voie rapide Antwerpen-Maldegem, nous prenons à droite vers le singulier village de Doel, connu pour sa centrale nucléaire… mais pas seulement.
Village fantôme
Nous arrivons maintenant dans une zone de polders, des terres gagnées par l’homme sur la mer. L’Escaut se fait ici très large et la zone portuaire d’Anvers est gigantesque. Ce qui nous vaut des paysages surprenants, avec les passages des porte-containers géants devant les cheminées de la centrale nucléaire, le tout agrémenté d’un moulin à vent un peu incongru, seule survivance du passé. Le village de Doel n’avait rien de bien folichon mais vivait tranquille, sans rien demander à personne, jusqu’à ce que son existence même se voie, à partir de 1998, menacée par les projets d’extension du port d’Anvers. Les habitants (un petit millier…) ont été expropriés et le village, abandonné, puis rapidement squatté, tagué, vandalisé et pillé, ressemble aujourd’hui à certains quartiers sinistrés de Chicago, avec un zeste de Tchernobyl en prime! Quelques irréductibles l’habitent toujours et des panneaux vengeurs sur leurs maisons disent en termes «choisis» tout le bien qu’ils pensent de la classe politique par laquelle ils s’estiment totalement abandonnés. La résistance des irréductibles s’est organisée autour du collectif «Doel 2020». Quant aux travaux d’agrandissement du port, ils sont aujourd’hui arrêtés. Mais jusqu’à quand?
Le village se visite rapidement et est accessible à moto, il n’y a que quelques rues qui se croisent à angle droit. De la localité se dégage une indicible impression de tristesse et de gâchis. Ça et là, une maison est encore occupée, souvent équipée d’une vidéosurveillance, pour décourager les pillards… Les amateurs de street-art seront par contre ravis: certains tags sont superbes. Ou quand le talent va se nicher jusque dans un aérosol! Nous reprenons notre itinéraire par de toutes petites routes rectilignes et les changements de direction sont fréquents. À Emmadorp, nous parvenons déjà aux Pays-Bas. L’horizon se dégage quelque peu et on commence à sentir le vent du large tandis que le soleil joue à cache-cache avec les nuages. Mais nos motos sont «repeintes» comme on dit. Il avait, en effet, beaucoup plu les jours précédant notre reconnaissance et les routes, quoique asphaltées, étaient particulièrement boueuses. Mieux vaut donc effectuer cette balade par temps sec: l’agrément y trouvera son compte et la sécurité aussi… Lorsque l’on arrive en territoire néerlandais, les changements sont très perceptibles. Tout apparaît propret et bien rangé, avec un petit côté riant qui fait défaut à la campagne (ou ce qu’il en reste…) côté flamand.
Villages accueillants
La petite localité de Hulst, à un jet de pierre de la frontière – Sint-Niklaas n’est qu’à quelques kilomètres au sud – est l’une des villes fortifiées les mieux préservées des Pays-Bas. Si on prend la peine d’arpenter, à pied, ses 3,5km de remparts, on profite d’un panorama magnifique sur le centre ancien. Hulst n’est toutefois pas une ville musée: son centre est très animé et ses nombreux magasins, cafés et restaurants sont souvent ouverts le dimanche. Axel, quelques bornes plus loin à peine, constitue le cœur de cette région qu’on appelle chez nos voisins néerlandais la Flandre maritime (Zeeuws Vlaanderen). La localité possède un château d’eau (watertoren) haut de 60m. Il est possible d’accéder au sommet, ce qui permet d’avoir, ici aussi, une vue imprenable sur ce pays de plaine où rien ne vient arrêter le regard. L’occasion de remarquer combien la terre a, ici, été façonnée, formatée et domestiquée par la main de l’homme. Axel possède également un attrayant marché du samedi où il doit être aussi dépaysant qu’agréable de déambuler.
Si l’on est attentif, dans la région d’Axel, on peut aussi découvrir des traces de la Guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648) et, plus précisément, des vestiges d’un système de fortifications: les «Staats-Spaanse Linies» qui, lors de ce conflit, ont été d’une grande importance pour la maîtrise de l’Escaut occidental (Westerschelde) et, par conséquent, du port d’Anvers. Il s’agissait surtout de levées de terre et de fossés. De nos jours, un itinéraire cyclable (la «Fortenroute») permet de partir à la découverte de ces traces d’un passé lointain. Sur ces considérations vélocipédiques, il est temps de reprendre les motos. Plus agréable et nettement moins fatigant… Nous enjambons le canal Gent-Terneuzen, à hauteur de Sluiskil, et poursuivons notre route «toujours plus à l’ouest» comme le dirait Tryphon Tournesol (relisez «Le Trésor de Rackham Le Rouge!»).
La mer, enfin…
Peu avant Hoodplaat, nous retrouvons l’élément liquide. Sommes-nous encore le long de l’Escaut ou déjà en bord de mer? Un peu les deux, tellement le fleuve, qui sépare ici la Zeeuws Vlaanderen de l’Ile de Walcheren, est devenu large… Nous longerons l’eau sur quelques kilomètres avant d’éviter Breskens – dont le port de plaisance est réputé – en le contournant par le sud. Les petites localités typiquement zélandaises se succèdent. Le paysage est toujours aussi plat et les limitations de vitesse draconiennes. On envie les cyclistes qui évoluent sur de véritables véloroutes parfaitement signalées et équipées de leurs propres tunnels voire même ronds-points. Boerenhol, Groede, Nieuwvliet sont rapidement traversés.
À Zuidzande, ceux qui ont envie de voir la mer bifurquerons, hors road-book, vers Cadzand et Cadzand Bad, agréable lieu de villégiature fréquenté par de nombreux Belges et, surtout, des Allemands. Les autres poursuivront vers Sluis en suivant grosso modo la direction générale sud-ouest. Sluis constitue notre ultime halte en terre néerlandaise. Les derniers kilomètres de notre itinéraire vous amèneront jusqu’à la ravissante cité de Damme, dont la Flandre s’enorgueillit toujours, et à juste titre. L’arrivée sur cette cité moyenâgeuse, le long du canal Damme-Sluis est des plus apaisantes. Un régal pour les yeux mais hélas pas pour les suspensions, la faute à un revêtement typiquement belge… La Flandre ne fait pas mieux que Bruxelles et la Wallonie sur ce point, il faut le savoir! À Damme, le plus simple pour revenir vers le centre du pays et Bruxelles sera de suivre le fléchage «E40» qui vous amènera à Beernem où l’autoroute Oostende-Bruxelles vous tend les bras. Bonne route et prudence, toujours!
Carnet de route
– Sint-Niklaas: s’enorgueillit de quelques maisons Art déco et de son imposant Hôtel de ville néogothique, construit en 1878, doté d’un beffroi et d’un carillon. La statue de saint Nicolas, saint patron de la ville, trône devant le bâtiment. Mais Sint-Niklaas c’est aussi un extraordinaire rassemblement de montgolfières, organisé chaque année début septembre, lors des «Vredefeesten» (Fêtes de la Paix). Le «Ballonfestival» de Sint-Niklaas est mondialement célèbre. Nulle part sur la planète, on ne peut assister à l’envol d’autant de montgolfières (près de 60!), simultanément, depuis le centre d’une ville. Un spectacle aussi coloré que grandiose! Ce festival a vu le jour en 1948, pour les commémorations de la libération de la ville à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Toute l’année, de nombreuses sociétés spécialisées proposent des baptêmes de l’air et des balades en montgolfière («heteluchtballon», dans la langue de Vondel) au départ de la capitale du pays de Waas. Infos: www.sint-niklaas.be (en néerlandais).
– Doel: la presse se fait régulièrement l’écho de ce qui se passe à Doel et relate les dernières péripéties du combat mené par la poignée d’irréductibles qui se refusent à quitter le village. La Libre Belgique, dans un article certes pas très récent mais intéressant, présentait bien la question (www.lalibre.be/economie/actualite/doel-le-village-fantome-resiste-51b8ef65e4b0de6db9c78fa5). On peut aussi consulter le site officiel de la «résistance» (www.doel2020.org), régulièrement mis à jour mais dont la lecture impose de déjà bien connaître le dossier et d’avoir une connaissance approfondie du néerlandais. On peut aussi y acquérir au prix de 12€, le livre «Waarom Doel en de polders (niet) weg moeten», c.à.d. «Pourquoi Doel et les polders (ne) doivent (pas) mourir».
– Les petites localités de Hulst et Axel, typiquement zélandaises, valent aussi le coup d’œil, avec leur petites maisons toutes pimpantes et leurs aménagements urbains souvent intelligents qui font la part belle au vélo, bien sûr. Hulst, à deux pas de la frontière belge, possède une basilique qui a été élue en 2009 «plus belle église des Pays-Bas». Le centre est attirant avec ses nombreuses boutiques et ses terrasses accueillantes à la belle saison. Axel est connu pour son moulin à vent qui date de 1750 et restauré à la fin du siècle dernier. Le moulin fonctionne théoriquement tous les samedis… si le vent souffle assez fort. Du sommet de ce monument, on profite d’un vaste panorama.
– Sluis mérite une halte et est connu pour son beffroi, son canal «Damme-Sluis», son moulin «De Brak» et son centre ancien où il fait bon se balader… mais qui est hélas très fréquenté les week-ends et jours fériés. Sluis est aussi la ville natale de J.H van Dale, auteur d’un dictionnaire aujourd’hui encore considéré comme une référence pour tous les néerlandophones. La statue du grand homme trône sur la Walplein. Il y a quelques dizaines d’années, Sluis était aussi réputée pour ses… sex-shops, la législation en la matière étant, à l’époque, plus libérale côté batave que côté belge. Ce genre de commerce, souvent un peu glauque, a aujourd’hui disparu à Sluis.
– À la fin de notre itinéraire, Damme est la petite ville flamande de carte postale, un concentré de tout ce qui, par le passé, faisait le charme de la Flandre mais qui, de nos jours, n’est plus qu’un souvenir, sauf exception. Damme en est une, avec son canal (qui la relie à Bruges…), ses petites maisons blanches, ses majestueux bâtiments gothiques… Le tout compose un vrai paysage à la Jacques Brel. La ville conserve aussi le souvenir de Tijl Uilenspiegel (Thyl l’Espiègle), le héros imaginé en 1867 par Charles De Coster. L’ouvrage «La légende d’Uilenspiegel» est aujourd’hui mondialement célèbre et se relit toujours avec délectation. Uilenspiegel est connu comme un héros de la liberté et un farceur, le symbole de l’âme flamande, parcourant le pays avec son amie Nele et son compagnon Lamme Goedzak. Dans le livre, Thyl devient l’adversaire du roi Philippe II d’Espagne. Uilenspiegel s’engage dans la révolte des Pays-Bas. Depuis lors, on attribue à Uilenspiegel toutes sortes de qualités: il est individualiste et pugnace, entre autres… Infos: www.toerismedamme.be. Damme est, enfin, synonyme de plaisirs de la table: vous aurez l’embarras du choix, que ce soit pour prendre un verre avant de reprendre la route ou manger un morceau…
Arrêts gourmands
– Le Grote Markt de Sint-Niklaas ne manque pas de cafés et autres bistros pour attendre les copains et prendre le traditionnel café-croissant de début de BBB. Un bémol toutefois: ne pas abandonner les motos n’importe où, garées n’importe comment. Les «flics» ne sont jamais loin… Et ils n’ont pas tort de faire preuve de fermeté: quand ils roulent en groupe, trop de motards s’autorisent des comportements qu’ils n’adopteraient jamais seuls… Nous, quand on voit des types comme ça, on a envie de prendre le train!
– C’est en territoire néerlandais que nous avons cassé la croûte, et plus précisément au restaurant «Het Wapen van Axel», situé pile-poil sur notre itinéraire et proposant un grand parking juste à côté pour béquiller les motos. Service avenant et rapide, cuisine simple (salades, uitsmijters, croquettes de crevettes, etc.) mais bonne (il est bien révolu le temps où ce que l’on mangeait aux Pays-Bas ne servait qu’à se nourrir). Cadre agréable, prix très corrects (plutôt moins chers qu’en Flandre…). Franchement, que demander de plus? Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 11h à 24 h (cuisine fermée à 21h).
Het Wapen van Axel, 3, Kanaalkade à 4571 CD Axel. Tél.: 0031/(0)115-53.13.96. – www.hetwapenvanaxel.nl