Pour fêter l’arrivée du printemps, quoi de mieux que de rouler vers le Levant, de manière à profiter au maximum des rayons de l’astre du jour? Nous sommes partis du centre géographique de la Belgique, à Nil-Saint-Vincent, entre Namur et Louvain-la-Neuve, pour rallier la région de Manderfeld, dans l’extrême est de la Belgique. Quel cap? 90°, mon capitaine!
Ruée vers l’Est… C’était le titre d’un bouquin sorti voici 35 ou 40 ans, consacré à la mise en valeur des immenses ressources naturelles de la Sibérie par ce qui était alors l’Union soviétique… Celle-ci n’existe plus mais le nom du livre est demeuré dans mon esprit. Tout comme est resté gravée dans ma mémoire, suite à un passage (obligé…) au 19e Régiment d’Artillerie à Cheval, la dénomination de la carte militaire la plus à l’est de notre beau pays: Losheimergraben. Une carte étonnante, avec un tout petit morceau de territoire belge en couleurs, et le reste en noir et blanc, avec beaucoup moins de détails, parce que situé en Allemagne! D’où l’idée de relier, pour le simple plaisir de rouler, le centre géographique de la Belgique, à son extrémité… «Losheimergraben», avouez que c’est autre chose que Ostende ou Arlon (où nous conduit directement l’autoroute, beurk…). Le lieu, à la sonorité «exotique» semble prometteur d’espaces lointains, perdus au milieu des bois. De fait, Losheimergraben n’est guère qu’un lieu-dit, au croisement des routes reliant Büllingen (B) à Prüm (D), d’une part, et Saint-Vith (B) à Schleiden (D), à 3-4 km de la petite localité allemande de Losheim, en Rhénanie du Nord-Westphalie.
Au centre de la Belgique
On s’était donc fixé rencart à Nil-Saint-Vincent, au «centre géographique de la Belgique» (voir le Carnet de route pour plus de détails). L’endroit est hélas d’une banalité affligeante, dans un village de moins en moins rural et de plus en plus «banlieusard». Après avoir béquillé les bécanes sur le parking, on suit le fléchage pour gagner pedibus l’endroit exact du centre du pays, matérialisé par un tripode (en référence aux 3 régions) qu’on aurait espéré plus inspiré. Tout cela est, en outre, dans un état d’entretien assez moyen, avec des emballages plastiques et les inévitables canettes qui jonchent le sol. Enfin, on pourra dire «nous y sommes allés»… Le temps de s’offrir quelques croissants à la boulangerie Hayet, quelques centaines de mètres après le départ, et nous voilà partis. On roule gentiment jusqu’à Tourinnes-Saint-Lambert, le temps de chauffer les mécaniques, et quelques courbes plus rapides nous permettent de rallier la N243 reliant Chaumont-Gistoux à Perwez. Nous abandonnons rapidement ce tronçon rectiligne pour aller tournicoter vers Aische-en-Refail, Mehaigne et Eghezée. Puis, comme il y a quand même des bornes à faire, on tire tout droit vers Huy, en étant attentif dans les villages: radars fixes ou mobiles, il y en a pour tous les goûts! Mais ça nous permet d’être rapidement à pied d’œuvre, prêts à déguster les virolos condruziens et ardennais. Le temps de dire «ouf» et Huy, fille de Meuse, est déjà dans nos rétros! Nous empruntons à présent la sinueuse et très plaisante route de la vallée du Hoyoux. À Pont-de-Bonne, l’Hôtel des Touristes, déjà souvent visité dans le cadre de nos BBB, nous accueille pour le traditionnel café que nous n’avons pu boire à Nil-Saint-Vincent.
Dans le vif du sujet
Après quelques kilomètres de rectiligne purgatoire, nous arrivons à Ocquier, charmant village condruzien tout en pierres grises et nous allons commencer à virer sérieusement. Dieu que ça fait du bien après l’interminable trêve hivernale! La direction à suivre à présent est celle de Barvaux s/Ourthe. Quatre petits kilomètres après Ocquier seulement, gaffe à ne pas manquer la bifurcation à droite vers Tohogne. Le panneau «Province du Luxembourg» marque l’entrée en Ardenne et la route, sinueuse en diable, alterne les portions bien revêtues avec d’autres qui le sont nettement moins. Avec nos gros trails, on s’en f… un peu mais force est de constater que nos routes se dégradent de plus en plus, malgré les beaux discours. L’arrivée sur Barvaux est marquée sur la gauche par une vue imprenable sur un camping géant, véritable verrue dans un paysage attrayant. Loin de nous l’idée de vilipender les amateurs de caravane mais à quand une meilleure intégration «paysagère» de ce type d’infrastructure? Parce que là, un parc industriel ne serait pas pire…
Tout cela s’oublie heureusement très vite sur la belle N806. Cette route était en travaux lors de notre reconnaissance, avec une circulation alternée, rythmée par des feux tricolores dans ses premiers kilomètres. Là où commence le chantier, on tourne à gauche, hors road-book, pour grimper vers Ozo. Grimper est bien le verbe qui convient puisque l’espace de quelques centaines de mètres, ça monte sévère, avec quelques virages dignes d’un col alpin. Ozo n’est qu’un hameau, surtout connu pour sa chèvrerie. Les lieux se visitent en entrée libre. Tout est ouvert mais il n’y a pas âme qui vive, hormis les chèvres et la musique de Deep Purple («Child in time»…) dans l’étable! La Chèvrerie d’Ozo possède environ 200 chèvres qui produisent en moyenne 3 litres de lait par jour. Elles sont alimentées six fois par jour par un distributeur de céréales automatisé, paraît-il unique en Belgique… La visite terminée, il n’y a plus qu’à redescendre et à reprendre le fil de notre itinéraire en direction de Manhay. On fera le plein de fromages une autre fois, le magasin n’étant accessible que le samedi… L’approche de Manhay est pour nous synonyme de plaisir motocycliste parce qu’il s’agit sans doute de l’un des coins les moins densément peuplés de Wallonie. Le regard porte plus loin, l’air semble tout d’un coup plus vif… C’est que, mine de rien, l’altitude augmente gentiment, ainsi qu’en témoignent des traces de neige qui, en ce mois de mars, subsistent par-ci, par-là.
Santons de Wallonie
Peu avant Lierneux, nous faisons une de ces découvertes qui participent au charme de ces BBB. Bien que la Wallonie soit un mouchoir de poche, il y a toujours de l’inédit à se mettre dans l’objectif et dans le carnet de notes! Et une fois de plus, tout cela est dû à un pur hasard. Ça commence par un panneau «Santons de Wallonie» au bord de la route, une petite maison avec une cheminée qui fume en contrebas et un ruisseau dont les gazouillis annoncent le printemps. Il n’en fallait pas plus pour nous inviter à béquiller au lieu dit «Le Moulin d’Ecdoval», à l’entrée de Lierneux. Un coup d’œil à la fenêtre de l’atelier: il semble désert mais la porte est ouverte. On entre… Personne! Le maître des lieux, Robert Noirhomme, arrive quelques instants plus tard. Accueil cordial et la conversation s’engage en français et en wallon… «I n’fait nin tchaud» nous dit Robert, en rechargeant son poêle à bois, avant de poursuivre, pince-sans-rire «ici c’est la haute montagne, nous sommes à 500 m d’altitude…» Et quand Tchè, notre photographe, lui demande s’il peut s’asseoir à sa table de travail, il lui répond que la saison ne commence qu’en juin mais qu’il «est toujours d’accord pour faire semblant de travailler!». Ça c’est l’esprit wallon en plein: caustique mais jamais agressif, juste un peu «fouteû d’djins» (ce qu’on pourrait traduire approximativement par moqueur). Lors de notre passage, Robert travaillait sur une figurine très différente d’un santon: un GI de la Bataille des Ardennes. «Si ça vous intéresse, allez voir notre petit musée militaire à Joubieval, près de Vielsalm. On a pas mal de motos militaires américaines et allemandes…». (Bulge Relics Museum: www.bulge-relics-museum.be, ouvert de 13h à 17h, les week-ends, de juin à septembre ou sur réservation au 0496/31.61.74.). Bonne idée. Mais ça sera pour une autre fois, parce que notre estomac crie famine…
Cantons de l’Est
En passant devant l’ancienne caserne des Chasseurs Ardennais, à Rencheux, aujourd’hui reconvertie en parc artisanal, la devise des soldats au grand béret vert (29,35cm de diamètre!) orné de la hure me revient en mémoire: «Résiste et mords»… Et elle sonne encore mieux en allemand, langue aussi parlée au 3e Chasseurs Ardennais caserné ici: «Halten und beissen». Nous arrivons à Vielsalm, que nous traversons pour continuer toujours plein est. La N675 invite à ouvrir… Aussi, est-ce rapidement que nous arrivons à Saint-Vith. Changement radical d’atmosphère et plongée dans le monde germanique! À la sortie de la ville, la vallée de l’Our nous tend les bras. Ici on est vraiment au bout de la Belgique et malgré quelques tronçons en travaux, le plaisir de rouler est là et bien là. Pour les amateurs d’émotions fortes, ne manquez pas le site de la «montée impossible» de Schönberg. Pour s’attaquer à ça à moto, il faut vraiment en avoir… À partir de Manderfeld, le paysage s’ouvre et les innombrables éoliennes de la République fédérale se profilent devant nous. À Losheim, vous voilà à pied d’œuvre pour la virée allemande que nous vous proposerons le mois prochain. Bonne route et prudence, toujours!
Carnet de route
– Orient et Occident, sont, on le sait, des synonymes pour Est et Ouest. Connaissez-vous l’origine de ces deux mots? Ils proviennent du latin «oriri», qui signifie «surgir» et de «occidere» qui veut dire tomber. L’Orient est donc l’endroit où le soleil «surgit» lorsqu’il se lève et l’Occident celui où il «tombe» lorsqu’il se couche. On parle parfois aussi de «Levant» – c’est d’ailleurs ainsi que s’appelait la Syrie actuelle dans l’entre-deux guerres, à l’époque du mandat français – et de «Ponant». La France possède des îles dites «du Ponant», situées à l’ouest du continent, dans la Manche et dans l’Atlantique. Parmi elles, les îles Chausey, de Bréhat, d’Ouessant, de Groix, etc.
– Le centre géographique de la Belgique se situe dans l’entité de Walhain-Saint-Paul, au lieu-dit «Le Tiège», place du Tram, à Nil-Saint-Vincent. C’est la commune d’Ittre, proche de Nivelles, qui, jusqu’en 1919, portait le titre de Centre géographique de la Belgique. Cependant, à la suite de la Première Guerre mondiale et du Traité de Versailles, la Belgique s’est agrandie avec l’annexion des cantons de Saint-Vith, Eupen et Malmédy, que l’on appelait autrefois «cantons rédimés» et que l’on nomme de nos jours «cantons de l’Est». Ce n’est qu’en 1995 que l’Institut Géographique National français a refait le calcul, confirmé l’année suivante par son homologue belge. Le Centre de la Belgique est matérialisé par une sculpture métallique, œuvre de l’architecte Bernard Defrenne, inaugurée en 1998. Le triangle représente la Belgique, les trois pylônes symbolisent les trois régions. La pyramide indique le lieu et le tube métallique dirigé vers le ciel marque le centre précis dont les coordonnées sont, en latitude: 50° 38′ 28 » Nord ; et en longitude: 04° 40′ 05 » Est.
– Le château de Modave, situé pile-poil sur notre parcours, mérite d’être honoré d’une visite. D’abord, la drève qui y conduit est superbe. Ensuite les bâtiments, remarquablement restaurés, le sont aussi. Mais comme on vous a déjà parlé à plusieurs reprises dans les BBB de ce château des comtes de Marchin et de sa fameuse «roue hydraulique», on ne va pas tartiner, surtout que vous avez toutes les infos utiles sur www.modave-castle.be et ce en 6 langues, y compris le russe et le japonais! À noter que des travaux de restauration étaient en cours lors de notre passage. Réouverture prévue le 1er avril.
– La Chèvrerie d’Ozo: par ici les bons fromages! À l’est de Barvaux-sur-Ourthe, la Chèvrerie d’Ozo est accessible en visite libre (1€) mais le magasin attenant n’est ouvert que le samedi. Les fromages produits ici sont réputés et se trouvent dans de nombreuses (bonnes) fromageries en Wallonie et à Bruxelles. Plus d’infos sur www.chevreriedozo.be.
– Les santons de Wallonie, à Lierneux: un arrêt s’impose mais prévenez avant votre passage si vous voulez visiter l’atelier et discuter le coup avec le santonnier, qui aime autant la Provence que sa Wallonie natale. D’où l’idée de santons wallons…
La Wallonie en Santons, Moulin d’Ecdoval, 17 à 4990 Lierneux. Tél.: 080/31.98.27, www.santons.be.
– Vielsalm: la commune doit son nom à une petite rivière, la Salm. Vielsalm signifie «vieille Salm». Au cours du Moyen Âge, le seigneur du lieu transporta son château en un autre endroit appelé aujourd’hui Salm-Château. L’ancien centre du bourg devint alors, par opposition, la «vieille Salm». Vielsalm est aussi connu pour l’extraction du coticule, une pierre à aiguiser de grande qualité, aujourd’hui quasi épuisée, et ses carrières d’ardoise.
– À Saint-Vith (ou plutôt Sankt-Vith…), on parle allemand et l’atmosphère est typiquement germanique. Mais le dialecte local se révèle très proche du luxembourgeois. Jusqu’à l’époque napoléonienne, Saint-Vith fit partie du Luxembourg avant que le Congrès de Vienne, en 1815, ne la cède à la Prusse. Après la Première Guerre mondiale, elle revint jusqu’en 1940 et à nouveau en 1945 à la Belgique. Saint-Vith a beaucoup souffert des bombardements alliés de 1944, lors de la fameuse «Offensive des Ardennes», elle fut détruite à 95%. Ce qui explique qu’elle ne compte guère de bâtiments anciens. La ville possède un intéressant Heimatmuseum (musée local), installé dans l’ancienne gare. Plus d’infos: www.stvith.be.
Arrêts gourmands
– Envie de boire un coup dans un endroit agréable, en extérieur si le temps le permet? Arrêtez-vous à Pont-de-Bonne, au débouché de la vallée du Hoyoux, en venant de Huy. «L’Hôtel des Touristes» est, à notre avis, la meilleure adresse. Et si vous êtes partis tard, il est aussi possible d’y manger (carte de brasserie variée ; spécialité de brasérade et de raclette) très correctement.
Hôtel des Touristes, Vallée du Hoyoux, 4 à 4577 Pont-de-Bonne (Modave). Tél.: 085/41.15.05, www.hoteldestouristes.be.
– À Vielsalm, «Les Contes de Salme» est une adresse incontournable. Au programme, une bonne cuisine de brasserie qui fait honneur aux spécialités ardennaises, servie dans un cadre rustique et plaisant. Tarifs raisonnables et service aussi aimable qu’attentif. Et en prime, vous avez un vaste parking devant le restaurant, en plein centre de la localité (notre itinéraire passe devant!).
Les Contes de Salme, rue J. Bertholet, 6 à 6690 Vielsalm. Tél.: 080/21.62.36, www.contesdesalme.be.