Quand on dit volcans, on pense souvent à l'Auvergne. Mais il est également un massif d'origine volcanique plus proche de chez nous: c'est l'Eifel, à cheval sur les Länder de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et de Rhénanie-Palatinat. Cap donc sur l'Allemagne…
Le mois dernier, à l'issue de notre virée «Cap à l'est», nous vous avions laissés à Losheim, petite localité située pile-poil à la frontière belgo-allemande, sur l'axe reliant Butgenbach à Prüm. C'est d'ici que part notre road-book du jour… Vu que nous n'avons pas campé sur place depuis le mois dernier (!), nous sommes partis de bonne heure, qui de la région namuroise, qui du Condroz liégeois. La fortune appartient à ceux qui se lèvent tôt, c'est bien connu! Mais qui dit départ matinal dit également températures frisquettes… Et les Cantons de l'Est que nous avons traversés de part en part depuis Malmédy, après avoir enquillé la N66, ne sont pas réputés pour leurs températures tropicales… Aussi est-ce frigorifiés que nous arrivons à Losheim: la température extérieure de la Yam n'indique 2°C ou 3°C. Brrr… Le temps de se réchauffer à l'hôtel-restaurant situé juste à la frontière et nous voilà partis. Pour nous accueillir, l'Allemagne offre à nos yeux un vaste parc éolien. Les énergies douces, on y croit chez nos voisins et on les met en œuvre avec tout le sérieux germanique: à l'heure actuelle, les quelque 25.000 éoliennes allemandes assurent près de 9% de la production électrique du pays… Pour l'heure, place au plaisir de retrouver les beaux bitumes allemands sur un itinéraire joliment sinueux dont le fil conducteur est la vallée de la Kyll, qui a donné son nom à la petite localité de Stadtkyll (prononcez «Chtatkul»). Et en prime, nous avons droit à une délicieuse odeur de sapin: les scieries sont nombreuses dans cette région où le bois reste une ressource naturelle importante.
Au cours des premières dizaines de kilomètres, qui nous font traverser un paysage de collines tantôt boisées, tantôt recouvertes de verts pâturages, nous ne sommes pas épargnés par les déviations, consécutives à des chantiers routiers: ici on entretient et on répare les routes! Si le revêtement n'est pas partout excellent, comme il peut l'être plus au nord du côté de Monschau, par exemple, nous n'avons pas trouvé de routes vraiment dangereuses à moto comme il y en a hélas trop en Belgique: quelques inégalités, certes, mais pas de trous ou d'ornières capables de vous jeter à terre. Aussi est-ce agréablement que nous rejoignons le célèbre Nürburgring, qui a déjà eu l'honneur d'une BBB en septembre 2013 (voir Moto 80 n°754). Si les bâtiments, oppressants et sans grâce, n'ont guère d'intérêt, les lieux valent toutefois le détour. Pour le musée, installé dans l'Info Center, et surtout pour la fameuse Nordschleife – Die grüne Hölle, l'enfer vert – dont l'entrée mérite d'être vue. L'Allemagne reste un pays où l'on aime les moteurs: ça se voit et ça s'entend! Et si le cœur vous en dit, n'hésitez pas à découvrir la Nordschleife (voir le «Carnet de route»): c'est une expérience vraiment hors du commun mais qui doit être planifiée (réservation obligatoire).
Je reviendrai à Monreal…
Nous quittons à présent le «Ring» et mettons le cap au Sud par des axes bien moins fréquentés que la fameuse «258» reliant Monschau à Koblenz. Le relief se fait plus accusé et certains tronçons sont assez tortueux. La qualité du bitume va de moyen à excellent. Après quelques dizaines de bornes nous arrivons en vue de Monreal. Rien à voir avec la grande ville canadienne, bien sûr, où Robert Charlebois voulait revenir «dans un grand Boeing bleu de mer» puisqu'il s'agit d'une petite localité typique de l'Eifel avec ses maisons à colombage dont certaines sont très anciennes, blotties le long de la rivière. Pour éviter de troubler la quiétude des lieux, mieux vaut arpenter les quelques rues du centre à pied… Le village offre aussi des possibilités de restauration (voir encadré).
La direction s'infléchit ensuite plein sud, vers la vallée de la Moselle. À une série de virages assez serrés succèdent des portions plus rectilignes et des courbes plus rapides, jusqu'à Kaisersech, où nous faisons le plein (les stations-services ne sont pas très nombreuses sur le parcours…) puis enjambons l'autoroute A48 reliant Koblenz à Trier. C'est ensuite la descente sur Cochem, par une route sinueuse à travers bois. À l'arrivée sur les bords du fleuve (d'accord la Moselle est géographiquement une rivière, puisque c'est un affluent du Rhin mais au vu de sa largeur, le terme «fleuve» nous semble plus approprié…) le soleil déchire la couverture nuageuse. Après avoir sacrifié à l'inévitable séance photos, nous marquons la pause à l'écart de la ville, le long de l'eau, dans un Weinstube bien sympathique et craquons pour un petit riesling de derrière les fagots. Il fait doux, le soleil brille, les cerisiers sont en fleurs… On se croirait en vacances!
Manderscheid et ses «Burg»
Après ce petit apéro, nous résistons farouchement à la tentation d'en prendre un second et c'est donc en total respect de la législation que nous enfourchons les bécanes pour remonter le cours de la Moselle. Partout, les berges sont plantées de vignes. Le terrain est parfois très pentu, ce qui impose aux viticulteurs l'utilisation de curieux ascenseurs genre monorail, histoire de transporter sans trop de difficultés leur matériel ainsi que le raisin au moment des vendanges. L'heure est au farniente et nous roulons coolos le long de l'eau, aux allures réglementaires. Les axes trop fréquentés nous incitent à la méfiance… Heureusement ce purgatoire n'est que de courte durée. À Bremm, que nous traversons par de mignonnes petites rues arpentées par de nombreux promeneurs, nous partons à l'assaut du coteau. Sur quelques kilomètres, on se croirait presque dans les Alpes! Quelques sérieuses déclivités et autres virolos d'anthologie nous réjouissent…
Par Beuren, Bad Bertrich, Lutzerath et Strotzbüsch, où une averse, aussi brève que violente, nous surprend, nous atteignons Strohn et sa «Lavabombe», un énorme boule de rocher d'origine volcanique, malheureusement cachée par un épais brouillard lors de notre passage… Attention à ne pas manquer la bifurcation à gauche au centre de Strohn, pour faire l'aller-retour jusqu'à cette curiosité! Nous revenons ensuite sur nos pas pour mettre le cap sur Gillenfeld. Nous arrivons dans la région des Maare, ces petits lacs d'origine volcanique, typiques de ce coin de l'Eifel. Quelques kilomètres plus loin, une énième déviation nous contraint à rejoindre Manderscheid par une autre route que celle initialement prévue. Le site du ou plutôt des «Burg», car ils sont deux, de Manderscheid ne manque pas de majesté, serti dans son écrin forestier. Hélas, il recommence à tomber des cordes et les lieux ne sont plus accessibles à la visite depuis une bonne heure. Il est temps d'aller se trouver un petit Gasthaus bien propre pour se lester l'estomac et faire ensuite un bon dodo réparateur, en espérant que la pluie nous abandonne le lendemain…
Une boucle forestière
Le lendemain, le soleil brille dans un beau ciel bleu: les dieux de la météo ne sont pas restés sourds à nos prières. Mais il est fait frisquet et les prés sont tout blancs de givre. En motard muri par l'expérience, Tchè, notre photographe, tâte le bitume du pied: l'homme n'a pas envie de mettre sa GS Adventure par terre, surtout avec tout le matos photo qu'il y a dans les valises. On commence donc gentiment et on aborde les premières épingles avec beaucoup de circonspection… Mais bien vite, la gelée blanche disparaît et nous pouvons y aller plus franchement. Nous empruntons des routes très peu fréquentées qui traversent de vastes forêts où le gibier abonde. Un mirador en bois qui sert aux forestiers nous permet de faire quelques photos dans le plus pur style de «La Grande Evasion»! Cette boucle est tout simplement superbe, avec ses virolos en pagaille, la quiétude des forêts et des petits villages bien sympathiques mais qui n'ont pas l'opulence de la Bavière, par exemple. Non, tout le monde n'est pas plein aux as en Allemagne! De retour à Manderscheid, la direction générale s'oriente au nord, vers Udersdorf et Oberstadtfeld. La descente sur cette dernière localité est très belle, avec toutes ces maisons qui resplendissent dans le soleil: un régal pour les yeux!
La route B421 (puis B410) qui relie Daun à Gerolstein, et que nous rejoignons maintenant, fait la part belle aux courbes moyennes et rapides. À condition de «couper» dans les traversées de village, on peut y maintenir un bon rythme. Oh, ce n'est pas la grosse attaque mais plutôt une façon d'enrouler fort, en étant bien concentré sur son sujet. Le genre de terrain où l'on peut encore (mais pour combien de temps?) sentir vivre la mécanique. Gerolstein, connue pour son eau minérale, puis Prüm, nous voient passer rapidement. Pour rejoindre le pays, nous nous offrons un dernier plaisir: le «toboggan» qui par Pronsfeld (ancienne gare et voie verte…), Habscheid et Winterspelt, conduit en territoire belge. À Saint-Vith, terme de la balade, nous buvons le dernier pour la route au café-restaurant An den Linden. Cette agréable formalité accomplie, l'autoroute nous tend les bras pour le retour à la maison. Bonne route et prudence, toujours!
Carnet de route
– Carte Michelin: avant toute chose, la première chose à faire pour parcourir l'Eifel l'esprit serein est d'acquérir la carte Michelin 543 «Nordrhein-Westfalen, Hessen, Rheinland-Pfalz, Saarland» au 1/350.000. La carte Michelin vous en dit plus que bien des livres ou sites Web…
– Germanie, mode d'emploi: c'est un proverbe célèbre qui le dit. «À Rome, on fait comme les Romains». Donc, en Allemagne, on fait comme les Allemands… Et en matière de moto, certains des usages de nos voisins diffèrent des nôtres. C'est ainsi qu'il est très mal vu, au feu rouge ou à un passage à niveau, de remonter les files de voitures à l'arrêt, surtout en «mordant» sur la bande blanche. Si vous le faites, au prétexte que vous l'avez toujours fait en Belgique ou en France, ne vous étonnez pas de devoir subir des commentaires peu aimables. Autre différence, on ne se gare pas n'importe où à moto quand on est en ville. Nous avons failli nous faire verbaliser pour ce motif à Cochem, surtout qu'il y avait un parking spécial moto à moins de 100 mètres mais que nous n'avions pas vu. Dernière différence, enfin, le respect des limitations de vitesse est impératif dans les villes et villages. La Polizei veille et les amendes se paient cash. Hors agglomération, il règne en revanche une certaine tolérance …
– Le Nürburgring: boucler un tour de la Nordschleife au guidon de votre moto est possible certains jours et à certaines heures. Il vous en coûtera 29€. Réservation préalable obligatoire sur www.nuerburgring-shop.de/fahraction/touristenfahrten/nordschleife-2014.html. Le site du «Ring» vous donne également les dates où la piste est accessible (cliquer sur «tourist drives») ainsi que toutes les infos concernant le passionnant musée situé dans l'Info Center: www.nuerburgring.de/en/fans-info/info/opening-times.html.
– Monreal: un petit village de carte postale, où le temps semble s'être arrêté. Vieilles maisons à colombages le long de la rivière Elzbach, ruelles pavées où il fait bon flâner… Une halte vraiment charmante!
– Cochem: avec son château vieux de 1.000 ans entouré de vignes dominant la Moselle, le site de Cochem est l'un des plus courus de Rhénanie. Le centre historique mérite la visite avec ses anciennes demeures, ses ruelles étroites et son hôtel de ville baroque. On peut aussi se laisser tenter par une croisière sur la Moselle entre Calmont et Klotten… Et bien sûr aussi par une dégustation de vin (avec toute la modération qui s'impose, cela va sans dire!). Les occasions ne manquent pas au sortir de la ville, en direction de Trèves (Trier).
– Les Maare: Les Maare sont de petits lacs d'origine volcanique typiques de l'Eifel. Ils témoignent du passé géologique «turbulent» de la région, voici 10.000 ans à peu près. Autour de Daun, ont trouve ainsi différents plans d'eau. Le Gemündener Maar, aux eaux vert sombre, est très fréquenté par les amateurs de plaisirs nautiques à la belle saison. Le Pulvermaar, à côté de Gillenfeld, est sans doute le plus beau, avec sa forme presque parfaitement circulaire. Des Maare, notre itinéraire vous en fera découvrir plusieurs, comme le Holzmaar, entre Gillenfeld et Manderscheid, ou le Meerfelder Maar, presque à la fin de la «boucle» de Manderscheid.
– Strohn est connu pour sa «bombe volcanique» (Lavabombe), une curiosité géologique. Cette énorme boule de lave pétrifiée, découverte en 1969 fait 5m de diamètre et pèse quelque 120 tonnes. Notre road-book prévoit un aller-retour au départ de Strohn pour vous faire découvrir la chose…
– Manderscheid ou plutôt Niedermanderscheid (Manderscheid bas) est un site assez spectaculaire avec son «Niederburg» et son «Oberburg». Depuis la route qui grimpe vers Manderscheid, la vue est de toute beauté. Des reconstitutions historiques sont régulièrement organisées: on peut y voir s'affronter dans des tournois des chevaliers qui semblent sortis tout droit du Moyen-Âge. La prochaine «Burgenfest» est prévue les 27 et 28 août 2016. Plus d'infos sur www.burgenfest.info. Les horaires de visite du château de Manderscheid peuvent être consultés sur www.niederburg-manderscheid.de. L'entrée coûte 2€.
– Et pour finir, une vraie gourmandise motocycliste, la route reliant Daun à Gerolstein… Alternant courbes moyennes et rapides, bien revêtue, elle procure un plaisir de pilotage intense. C'est sur des tronçons comme ça que rouler à moto prend tout son sens et permet d'accéder à une certaine forme de félicité, n'ayons pas peur des mots!
Arrêts gourmands
– Le traditionnel espresso de début de BBB, nous l'avons pris à la frontière, au Balter's Landgasthof de Losheim. Une adresse bien située et accueillante qui fait également hôtel et restaurant.
Balter's Landgasthof, 55 Prümerstrasse, Losheim à 53940 Hellenthal. Tél.: 00/49.65.57.92.06.10, www.balters-landgasthof.de.
– À l'heure de midi, nous nous sommes arrêtés à la «Haus Löwenburg», au cœur de Monreal. Cet établissement propose des spécialités allemandes et italiennes de bonne facture. Service aimable et diligent mais ambiance intérieure un peu vieillotte. Bonne adresse néanmoins et située exactement sur notre itinéraire.
Hotel-Restaurant Haus Löwenburg, 1 Bahnofstrasse à 56729 Monreal. Tél.: 00/49.65.17.17.01. www.haus-loewenburg-monreal.de
– Des possibilités de se restaurer existent aussi au Nürburgring (voir les liens Internet ci-dessus) ainsi qu'à Cochem mais ambiance et prix très touristiques dans ce dernier cas. Si vous êtes plus loin sur l'itinéraire, la petite localité de Manderscheid possède plusieurs restaurants. Nous avons essayé le Gasthaus Brand: cuisine allemande sans surprise, avec un large choix de Schnitzel (ça plaira au rédac'chef!). Accueil aimable et service diligent. Attention, paiement en liquide uniquement! En allemand, on dit «Bargeld», c'est-à-dire, littéralement, «argent nu»…
Gasthaus Brand, 55 Kurfürstenstrasse à 54531 Manderscheid. Tél.: 00/49.65.72.785.
– Cette BBB, ou plutôt BBA (pour Belle Balade Allemande…), étant assez longue, il n'est pas idiot de la planifier sur deux jours. On peut envisager de passer la nuit du côté de Saint-Vith ou de Losheim (voir ci-dessus), ou alors de loger quelque part sur l'itinéraire. C'est pour cette dernière solution que nous avons opté. À la vallée de la Moselle trop fréquentée, nous avons préféré le calme de Manderscheid où l'hôtel Am Ceresplatz, tenu par un couple de Néerlandais, accueille volontiers les motards. Chambres nickel avec douche et WC et tarifs supercompétitifs: à partir de 36€ la nuit, petit-déjeuner (buffet copieux!) compris. Évidemment, le week-end et en saison, il y a des risques de se retrouver avec des hordes de motards hollandais bruyants. Mais rien n'interdit d'aller manger chez Brand, en face…
Hotel Am Ceresplatz, 2 Wittlicherstrasse à 54531 Manderscheid. Tél.: 00/49.170-964.33.53 (en allemand, anglais ou néerlandais…), www.hotelamceresplatz.com.