Octobre 1914. Il y a cent ans, se déroulait la célèbre bataille d’Ypres. Après une course contre la montre pour rejoindre les plages de la mer du Nord et de la Manche, les troupes allemandes sont bloquées sur les rives de l’Yser. Fin octobre, alors que l’armée belge se trouve à court de munitions, c’est depuis Nieuport que débutera la plus célèbre des inondations des polders, qui prendra trois jours. Entre ces deux villes, nous vous emmenons sur les routes de la mémoire dans une Flandre ouverte, accueillante et… pas si plate que ça!
Rendez-vous est pris devant un symbole célèbre de cette période de l’histoire: la Porte de Menin, à l’entrée d’Ypres. Construit par les Britanniques, cet arc de triomphe rend hommage aux disparus du premier conflit mondial. C’est ici que l’on vous propose d’attendre les camarades motocyclistes en parcourant les alentours de ce monument pas comme les autres. Ypres (Ieper en néerlandais), est au bout de l’autoroute A19 depuis Courtrai ou E17 depuis Gand. La ville a subi les lourds bombardements et sa reconstruction, réussie, s’est faite dans le style original. Promenez-vous sur et autour de la Grand-Place, ça en vaut la peine. Outre un passage à l’Office du Tourisme, vous pourrez visiter l’excellent musée «In Flanders Fields», qui doit son nom au poème de John McCrae. Ce médecin d’origine canadienne composa ces quelques vers le 3 mai 1915. Nous allons découvrir l’endroit où il prit la plume. On quitte le centre d’Ypres, charmante bourgade chargée d’une histoire qui remonte au Xe siècle. Après une paire de kilomètres, on s’arrête à l’Essex Farm Cemetery, l’un des 170 cimetières militaires que compte la région. John McCrae soignait les blessés dans les casemates bétonnées que l’on visite à côté du cimetière. Les coquelicots qui conservaient leur fière allure ont été les témoins des milliers de jeunes qui perdaient la vie au combat. McCrae a été inspiré par cette fleur fragile. Derrière, on parcourt à pied le chemin de halage du canal Ypres-Yser qui départageait les protagonistes lors du premier conflit mondial.
Une Flandre différente
Nous reprenons la route et entamons une boucle au sud d’Ypres. Les grandes plaines agricoles dominent. On traverse le village de Dikkebus. A la sortie de l’entité, nous faisons halte au New Cemetery qui fut utilisé entre février 1915 et mai 1917. Ce sont 624 corps qui gisent ici sous les stèles… Ces chiffres terrifiants qui s’alignent à chacune de nos haltes, ne peuvent que nous conforter dans l’idée que la vie est le plus beau des cadeaux, et qu’il faut en profiter du mieux que nous pouvons. Nos motos et ces balades que votre magazine vous propose vont dans ce sens.
L’âme un peu secouée, on remonte sur nos machines. De vastes paysages commencent à s’offrir à nos regards, rien à voir avec l’image que l’on a de la Flandre, bâtie en tous sens. Nous sommes sur les derniers contreforts du Heuvelland, le pays des collines. Splendide! Les routes serpentent agréablement et l’on enquille les kilomètres sur un filet de gaz, jusqu’à Wijtschate, notre nouvelle pause- souvenir à la mémoire de ces jeunes sacrifiés au combat. Nous sommes à un endroit où la guerre des mines a fait le plus de victimes. Les deux parties creusaient des galeries sous les camps retranchés de l’ennemi pour y poser des centaines de tonnes d’explosifs. L’endroit était par ailleurs pilonné par l’artillerie. Combien de milliers et de milliers d’obus ont été tirés ici? Les troupes étaient prises au piège. L’enfer venait du ciel, et sous les pieds des combattants, le sol se transformait en happe-chair! Une horreur! Nous parcourons ce cimetière avec émotion. Heureusement, les joies de la moto nous remontent le moral. Les petites routes sont toujours aussi agréables. La vue est dégagée, quelques gros nuages bourgeonnent dans le ciel: on se croirait dans un tableau de Permeke. Cet itinéraire invite à la balade tranquille. Notre W800, avec les bonnes vibrations de son twin vertical, nous berce de son poum-poum régulier. Ce moulin est parfait pour parcourir cette région sans forcer sur les gaz. Nous sommes maintenant au cœur du Saillant d’Ypres.
Ypérite
Suite aux inondations d’octobre 1914, la ligne de front décrivait un arc de cercle autour d’Ypres. Il est temps de rejoindre «Hill 60». C’est un pont stratégique, autour duquel les troupes britanniques et allemandes se sont acharnées. Chaque trou, chaque bosse est le fruit de l’explosion d’une mine ou d’un obus, ce qui a créé un paysage ravagé. Un mouton paît tranquillement. La couleur de l’herbe apporte une petite note d’espoir en cet endroit où le gaz moutarde (ou Ypérite, du nom de la ville d’Ypres) a été utilisé pour la première fois. Ce composé cytotoxique passe à travers les vêtements et le caoutchouc des bottes, brûle la peau, les yeux et toutes les muqueuses, créant des gourmes qui éclatent rapidement. Nous ferons le tour de l’endroit à pied. Le calme du lieu contraste avec ce que l’on peut imaginer du vacarme incessant des bombes, des attaques répétées et du gémissement des blessés. Quelle terrifiante époque! C’est à nouveau avec un sentiment d’être des favorisés que nous enfourchons nos motos. Le sourire nous revient vite aux lèvres en retrouvant d’autres petites collines vers Tyne Cothoek. L’endroit est célèbre et les nombreux autocars britanniques témoignent de la ferveur qui existe autour du centenaire de la Grande Guerre.
Installé sur une légère pente, le cimetière héberge 11.952 tombes. C’est le plus grand cimetière militaire du Commonwealth au monde. Sur le long mur d’enceinte en demi-cercle, on peut lire les noms des soldats dont le corps ne fut jamais retrouvé. Il y en a 34.863… Ces chiffres effroyables nous tournent la tête. Les nombreux champs et les quelques bois que nous avons traversés permettent la pousse de bien des céréales, la fabrication de bien des farines et de bien des pains que nous dégustons volontiers. Ces trésors de saveurs poussent sur une terre gorgée de sang et de corps meurtris. D’autres jolies routes nous attendent pour revenir vers les polders, ces terres situées en dessous du niveau de la mer. Notre GPS indique que nous arrivons à une «altitude» située entre -4 et -6 mètres.
L’Allemagne aussi…
Après avoir traversé le village de Langemark, on découvre un cimetière allemand. Lors de notre repérage, une commémoration se terminait… Des figurants avaient revêtu l’uniforme allemand pour un hommage. L’endroit est poignant par sa simplicité. L’énorme portique fait de briques de sable de la Weser (rivière allemande), permet de découvrir les dalles qui évoquent les 44.000 militaires allemands dont c’est la dernière demeure. 25.000 d’entre eux sont dans une fosse commune. Après ce nouvel épisode empreint de souvenirs et d’émotions, des petits virolos nous attendent pour rejoindre le canal Ypres-Yser qui a servi aux inondations d’octobre 1914.
Sur les berges, on découvre des paysages splendides. Le canal est une merveille de paix et de sérénité. On voit au premier coup d’œil que sans les berges et les digues, toute la région serait sous eau. On remonte plein nord. Au détour d’un méandre de l’Yser, la célèbre tour du même nom se dessine sur le ciel. Ce symbole de Paix porte dans les 4 langues l’inscription « Plus Jamais de Guerre ». Quand on connait les torrents de haine que déversent certains mouvements flamingants en ces lieux chaque année, on se dit que les horreurs de l’histoire ne servent pas de leçon. En dehors de cela, le lieu est plutôt émouvant.
Autre moment d’intense émotion, l’entrée au cimetière allemand de Vladslo. 25.000 corps reposent sous vos pieds. Au fond du cimetière on découvre la sculpture « Les Parents endeuillés » réalisée par Käthe Kollwitz, dont le fils Peter, mort en 1914, est enterré tout près. Cette statue qui représente Käthe Kollwitz et son mari, pleurant la disparition de leur fils, est devenu le symbole à travers le monde de tous les parents ayant perdu un enfant à la guerre. Peu de gens visitent les cimetières allemands, pourtant une très grande majorité de ces victimes étaient obligées de venir se faire massacrer dans ce coin reculé de Belgique. Est-ce qu’un conscrit allemand serait moins digne qu’un conscrit allié? C’est sur cette réflexion que l’on reprend la route en longeant l’Yser. Ce cours d’eau est vraiment de toute beauté.
L’enfer des tranchées
Quelques kilomètres plus loin, nous arrivons au célèbre «Dodengang», le Boyau de la Mort. Sans doute l’un des plus anciens lieux de mémoire du premier conflit… Vous y découvrirez ce que pouvait être l’enfer des tranchées. Voilà une journée où nous avons pu, à notre manière, évoquer les horreurs des guerres. Il ne nous reste plus qu’à rallier Nieuport. L’arrivée se fait par le célèbre rond-point dominé par la statue d’Albert Ier. Outre l’hommage à celui qui est resté dans la mémoire collective le «Roi-Chevalier», on sait moins que l’endroit abrite les cinq écluses qui ont permis de noyer le Westhoek, de bloquer le front Ouest et d’empêcher la progression des troupes allemandes. Afin d’aller nous changer un peu les idées, nous terminerons par le verre de l’amitié et une promenade pedibus sur la digue en contemplant les beautés de la mer du Nord…
Arrêts gourmands
A Ypres, la «Brasserie Central» a permis de nous réchauffer avec un excellent chocolat chaud. Mobilier en bois et terrasse aux beaux jours, un endroit agréable avec vue sur la Grand-Place. Brasserie Central, Grote Markt, 14 à 8900 Ieper www.central-ieper.be. Ouvert dès 7h le samedi.
Dixmude: «Water en Vuur» vous propose une expérience étonnante: manger à l’intérieur d’une péniche construite en 1942. Nous avons opté pour une salade aux pleurotes gargantuesque. Un délice. Pas vraiment bon marché, mais le lieu et la qualité des plats servis valent le détour. De quoi se faire plaisir… Water en Vuur, Ijzerdijk 48 (au pied de la Tour de l’Yser) Tél.: 0498/56.55.55, www.waterenvuur.be.