150KM d’Andenne à Andene – Tous ensemble sur les traces de Jean Tousseul

Balades à moto Tourisme P.Bonamis J.Berghmans
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Notre Wallonie regorge de talents divers. Souvent méconnus, ils constituent pourtant un patrimoine culturel qui ne demande qu’à être (re)découvert. En ce mois d’avril, nous nous penchons sur Olivier Degée. Ce nom ne vous dit rien? Peut-être celui de Jean Tousseul résonnera-t-il de façon plus familière à vos oreilles…

La ville d’Andenne sera notre point de départ. La cité des Ours est accueillante. Charles Martel au VIIIe siècle, alors qu’il n’était âgé que de 9 ans, y aurait tué un ours qui terrorisait la ville. Depuis lors, l’animal est resté l’emblème de la ville. Une exposition au musée de la céramique revient sur l’ours d’Andenne avec humour. Ne traînez pas: elle se termine le 19 avril! Pour faciliter les choses, le début de la balade se fera sur la place des Tilleuls, devant la maison communale (méfiance, le vendredi est jour de marché et l’accès à la place est bloqué). Nous quittons Andenne par le sud. Nous grimpons agréablement le versant pour rejoindre un doux plateau ondulé. Condroz, nous voilà!

Les délices de Goyet

Strud se laisse caresser du regard. L’église, perchée sur un éperon rocheux, domine tout le village. Les maisons serrées en pierre de grès ou en mœllons calcaire (la célèbre pierre de pays aux reflets bleutés) datent pour la plupart du XVIe et XVIIe siècles. Quelques kilomètres à se laisser descendre et l’on atteint Goyet. Ce hameau du village de Mozet est connu pour ses grottes. Creusées par le Struviaux, un ruisseau souterrain affluent du Samson, ces cavernes forment un site préhistorique majeur en Wallonie. Goyet est également connu pour son château. Il ne se visite malheureusement pas. En arrivant à la chaussée de Gramptinne, la célèbre vallée du Samson, nous marquons la pause pour aller remplir les sacs de réservoir. La Fromagerie du Samson nous réserve bien des délices de bouche. À partager avec les proches et les amis, dès le retour, si l’on est capable de résister à ces saveurs. Prudence, les valises embaumeront le fromage en arrivant chez vous! Quelques centaines de mètres, après avoir traversé le Samson, et l’on remonte la rive gauche vers Mozet.

Tout sauf l’autoroute!

L’endroit mérite son appartenance aux «Plus Beaux Villages de Wallonie». On ne résiste pas à l’envie de s’arrêter à hauteur de la ferme Marchand, qui date du XVIIe siècle. Les haies sont taillées aux ciseaux à ongles, l’endroit est un bel exemple de préservation d’un merveilleux patrimoine. La route tournicote gentiment pour nous mener à Wierde (prononcez Vièrde et pas Wiirde, comme on l’entend trop souvent. Ici, ce n’est pas la Flandre, crénom!). On enjambe la E411, la moto n’a vraiment que peu d’intérêt sur ces longues voies rapides. Nous préférons glisser lentement vers Andoy. Le Fort d’Andoy fit partie des défenses de la ville de Namur durant les deux conflits mondiaux. La vallée de la Meuse nous attend: nous la retrouvons à l’occasion d’un crochet sur la grosse chaussée de Liège. Nous l’abandonnons très vite pour remonter vers Loyers. L’espace de quelques centaines de mètres, on se croirait presque en montagne, tant ça grimpe fort! Depuis 1977, se tient à Loyers la fête de la Miaou qui se déroule le… 15 août. C’est à cette occasion que l’on déguste la Miaou, une boisson originale à base de jus de fruits et de gin. Dans la foulée, nous rejoignons le village de tous les amateurs de Triumph: Bonneville. Plus sérieusement, l’endroit héberge un château du XVe siècle. Depuis 1690, la propriété reste dans la même famille de génération en génération. Nous passons dans l’ombre de la jolie petite église. À la sortie du village, la vue sur le sillon mosan est impressionnante. Au loin, Andenne et son pont se laissent deviner. Quelques grosses péniches impriment des vagues régulières à la surface de l’eau. De l’endroit où nous sommes, ces vraquiers, comme on les appelle, font penser à des maquettes et tout le paysage pourrait être un vaste diaporama! On rejoint la rive droite du fleuve. La N90 est tentante et la poignée droite démange. Mais prudence, outre les radars régulièrement présents avec leurs onéreuses photographies, l’endroit est «accidentogène». Le Pont de Namêche nous permet de rallier la rive gauche.

Carrière et Saint-Materne

Nous effectuons une petite boucle dans le village. La vue sur les carrières nous ramène directement à Jean Tousseul. Namêche s’enorgueillit d’une longue tradition d’exploitation de la pierre calcaire et de la dolomie. La localité possède depuis le XIXe siècle de nombreuses maisons ouvrières en pierre calcaire. Jetez y un œil en passant. Si l’église actuelle date 1858, la fondation de la première est attribuée à Saint-Materne, rien à voir avec les confitures que l’on doit à Edouard Materne, de Wépion, en 1890. Saint-Materne, donc, fut évêque de Trêves et fonda également les églises de Walcourt, Dinant, Hastière et Ciney. On remonte le cours de la Meuse. Juste avant le camp commando, la route grimpe vers Marche-les-Dames. Nos estomacs crient famine. Nous nous éloignons quelques instants du parcours pour rejoindre Live-Sur-Meuse, sur la rive droite, et aller nous sustenter. L’hôtel-restaurant Best Western permettra de manger sans nous attarder et de reprendre la route rapidement. Nous repassons à proximité du célèbre camp et de son «parade ground» sous les gigantesques blocs qui abritent les «tarzans courses», via ferata et autres ponts de singe où s’entrainent les militaires. Quelques virages plus loin nous sommes déjà à Vezin. Le village est suspendu sur les rochers de Sclaigneaux, célèbres par les nombreux grimpeurs qui partent à l’assaut des 35 mètres de minéral vertical. Vezin est au cœur d’une longue histoire d’exploitation de l’oligiste au XIXe siècle. Tout cela nous rapproche encore de Jean Tousseul, qui fut lui aussi ouvrier carrier.

Naissance d’un écrivain

Landenne sera notre prochaine halte. C’est ici qu’Olivier Degée est né en 1890. Après son décès à Seilles en 1944, et à sa demande, il fut inhumé au pied de l’église. On retrouve sur la place du village un buste à la mémoire de l’ouvrier-écrivain-autodidacte. C’est à Seilles que l’on récupère les bords de Meuse. Le fleuve exerce une force d’attraction étonnante. Chaque week-end, les motards parcourent la région par groupes nombreux. La route n’est pas d’un très grand charme, si ce n’est le nom du village de Java qui nous permet de nous évader de la succession de blocs bétonnés qui hébergent les entreprises de la région. À Bas-Oha, nous décrivons une dernière boucle sur la rive gauche vers Moha et ses carrières à chaux avant d’emprunter le pont de Wanze. L’ouvrage d’art vaut le détour. Construit dans les années ’80, son tablier est creux pour en alléger la structure. 40 haubans relient le tablier au pilier central, haut de 93 mètres. Le Pont Père Pire doit son nom à Dominique Pire, un père dominicain qui reçut le Prix Nobel de la Paix en 1958 pour son travail en faveur des réfugiés après le second conflit mondial et qui sera également le créateur des fameuses « Iles de Paix».

Nous retrouvons de jolies campagnes et des paysages agréablement ondulés sur la rive droite. La commune de Marchin, bordée par le Hoyoux, possède plusieurs châteaux. Nous longeons les méandres du Hoyoux pour atteindre Grand-Marchin. Jetez un œil à l’église et à son clocher tors. Au cours des siècles, ce clocher s’est tordu tout seul sous l’effet du vent et du travail du bois! Détruit par la foudre, il fut reconstruit volontairement tors en 2005. Il nous reste encore quelques bornes agréables pour rejoindre Andenne. On y entre en découvrant la Collégiale Sainte-Begge, du nom de la trisaïeule de Charlemagne qui fonda vers 692 une abbaye à Andenne. L’état de la collégiale laisse à désirer. Nous terminons cette balade où nous l’avons commencée: sur la place des Tilleuls où nous sacrifions au traditionnel verre de l’amitié. Le retour sera facilité par la E42 toute proche pour les plus pressés ou en prenant plaisir à longer la Meuse et ses majestueux méandres pour les épicuriens. Bonne route et prudence, toujours!

Arrêts gourmands

– Andenne: L’Inédit est une taverne dont la terrasse est bien agréable lors des beaux jours. L’Inédit, place des Tilleuls, 52 à 5300 Andenne. Tél.: 085/84.21.76.

– Fromagerie du Samson: l’endroit est à la fois une fromagerie et une crèmerie. L’atelier de la fromagerie produit une vingtaine de fromages au lait cru (de vache, chèvre et brebis). La crèmerie jouxtant l’atelier les met en vente aux côtés d’autres fromages belges, français, italiens ou espagnols. Les charcuteries sont à recommander. La Fromagerie du Samson, chaussée de Gramptinne, 37 à 5340 Gesves. Tél.: 081/58.36.66, www.fromageriedusamson.com.

– Hôtel-Restaurant Best Western de Lives-sur-Meuse: propose une cuisine simple mais agréable. Un tartare, un hamburger et un plat du jour ont ravi nos papilles, le tout servi rapidement et à des tarifs corrects, vue sur la Meuse en prime. Best Western New Hôtel de Lives, chaussée de Liège, 1178 à 5101 Namur. Tél.: 081/58.05.13.

Jean Tousseul, un écrivain à redécouvrir

Jean Tousseul – Olivier Degée à l’état-civil – vient au monde dans une famille ouvrière le 7 décembre 1890, à Landenne-sur-Meuse, une petite localité proche d’Andenne, à ne pas confondre avec Landen (Brabant flamand). Cinq ans après sa naissance, sa famille déménage à Seilles, le «village gris» qui sera le titre du premier des cinq tomes du roman-fleuve de l’écrivain, «Jean Clarambaux», une œuvre en partie autobiographique. De santé fragile, le jeune Olivier qui rêvait de devenir instituteur, doit interrompre ses études à l’âge de 14 ans. Aussi, est-ce en autodidacte qu’il s’initie à la botanique, l’anthropologie, la géologie, l’astronomie et la sociologie. Il découvre les auteurs grecs et latins. Il lit Rousseau, Tolstoï et Romain Rolland. Pour gagner sa vie, il exerce différents métiers: garçon de laboratoire, ouvrier dans les carrières de Seilles, peseur, payeur, comptable… Sa carrière littéraire commence de façon bien modeste: il rédige des comptes rendus cyclistes pour une gazette locale. Il écrit aussi quelques articles pacifistes au moment où la guerre éclate, ce qui lui vaudra un séjour en prison (Saint Léonard, à Liège, puis Forest). Il bénéficie finalement d’un non-lieu en 1919.

Avec sa femme Magdeleine et sa fille Yvette, née en 1913, il s’installe à Liège. Il exerce alors des activités de journaliste et de militant syndical. En 1920, il quitte sa femme et s’installe en région bruxelloise avec sa nouvelle compagne, Mathilde, qu’il épousera en 1928. Le couple vit alors à Machelen, où Jean Tousseul rédigera la majeure partie de son œuvre. Il travaille la journée, notamment comme ouvrier dans une pépinière – et écrit comme un forcené le reste du temps. Voici ce qu’en dit, dans sa belle préface à «La cellule 158», l’écrivain liégeois René Henoumont, cher à notre cœur (on  vous en parle toujours lorsqu’une de nos BBB passe à proximité de Hamoir, dans cette vallée de l’Ourthe qu’il aimait tant…) et qui découvrit Tousseul à l’adolescence: «Injustement oublié après sa mort, en janvier 1944, alors qu’il avait été l’écrivain wallon le plus lu et le plus traduit de son temps, on peut affirmer que, par-delà ses errances et ses engagements politiques, il fut indéfectiblement fidèle à son pays mosan. Écrivain de la condition ouvrière, il se situe bien au-delà du régionalisme étroit où certains ont voulu le confiner. Le meilleur Tousseul est sur les hauts de Meuse, au pays de Landenne qui n’est plus la Hesbaye et pas encore le Condroz». Reste que Jean Tousseul est une âme tourmentée et pessimiste. C’est un écorché vif mais dont la plume nous parle aujourd’hui encore. À l’image d’un Maupassant, il illustre la puissance que peuvent posséder les mots même et surtout s’ils sont sobres et pudiques pour décrire la vie et les sentiments des gens simples de chez nous.