BBB – 200km dans le Hunsrück – Au pays de « Heimat »

Balades à moto Tourisme Vincent Marique
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Au pays de «Heimat»

Au départ de Trèves, à quelques kilomètres seulement du Luxembourg, nous vous proposons une plongée en pleine nature dans le Hunsrück, une région rurale de Rhénanie-Palatinat où les routes tournent, grimpent et descendent comme on aime. C’est parti pour 200km de plaisir et de découvertes!

Textes Philippe Bonamis & Jacques Berghmans

Commençons par un bref mot d’explication. Intituler un article «Au pays de Heimat» peut sembler un peu bizarre quand on sait que «Heimat» signifie «pays» dans la langue de Goethe… Mais pas le pays au sens administratif du terme… En allemand, le «Heimat», c’est la patrie, la région ou même le village où l’on se sent chez soi. Notre belle (mais moribonde…) langue wallonne utilise l’expression «petite patrie», qui possède un sens assez voisin. Mais Heimat, c’est aussi un film, l’un des plus grands succès du cinéma allemand du XXe siècle. Heimat, sorti en salle en 1984, et diffusé depuis par les télévisions du monde entier, a pour cadre le Hunsrück, à l’est de Trèves. C’est en regardant le film que nous avons appris à connaître un peu mieux cette région. Ce qui nous a donné l’envie de partir sur les traces de Maria, Paul, Katharina, Mathias, Eduard, Lucie, Anton, Ernst, Hermann et tous les autres protagonistes de cette extraordinaire fresque retraçant l’histoire de l’Allemagne à travers la vie d’une famille, les Simon. Objectif: le mythique village de Schabbach qui, en fait… n’existe pas, le film ayant été tourné dans différents coins du Hunsrück! Une région où -ceux que le cinéma allemand laisse de marbre seront heureux de l’apprendre- il fait vraiment bon rouler à moto. Au programme, la fameuse «Hunsrück Höhenstrasse», bien sûr mais aussi plein de petites routes «à moto» qui serpentent dans les vallées avant de repartir à l’assaut du plateau, pour notre plus grand plaisir… Fertig?

Rendez-vous à Trèves

Pour nous qui arrivons de l’ouest par le Grand-Duché (ou via St Vith et Bitburg ce qui est plus agréable…), Trèves (Trier) constitue la porte d’entrée du Hunsrück. Cette région, jadis particulièrement rude et pauvre, est un plateau d’une altitude moyenne de 400m, délimité par la Moselle à l’ouest et au nord, par le Rhin à l’est et par la rivière Nahe au sud. Pour votre édification, le mot «Hunsrück» signifie «dos de chien». Le coup d’envoi de notre balade sera donné à Waldrach, petit village à l’est de Trèves, juste devant la pension… Simon! Une fois les dernières maisons du village disparues dans les rétros, les premiers vignobles apparaissent sur le côté gauche de la route. Nous sommes sur la «Ruwer Riesling Route», un nom qui donne déjà soif, non! Quelques virolos bien sentis et nous rejoignons pour une poignée de kilomètres la rectiligne 52 qui nous conduit à Hermeskeil, où nous attend une étonnante exposition d’avions en plein air qui s’étend sur plus de 75.000m2. Y sont présentés plus de 100 appareils complets, civils et militaires, et un grand nombre de pièces, dont plus de 60 moteurs. L’avion-café dans un Concorde avec 150 places assises représente une véritable attraction. À l’entrée, on est accueilli par un Iliouchine de l’Interflug, l’ancienne compagnie aérienne est-allemande. La partition du pays après la Deuxième Guerre mondiale et sa réunification en 1990 restent des événements majeurs de l’histoire récente pour nos voisins… Nous roulons à présent sur la B327 ou Hunsrück Höhenstrasse (haute route du Hunsrück), en direction de Morbach. Longue de 157km, cette route relie Saarburg à Coblence. Elle a été construite en 1938-39 par l’Organisation Todt, sur l’ordre de Göring, à des fins militaires. Le but était de relier rapidement le «Westwal» (appelée en France «Ligne Siegfried»), à la frontière française, avec l’intérieur du pays. Véritable exploit technique, sa réalisation n’a pris qu’une centaine de jours. Son tracé suit, grosso modo, la ligne de partage des eaux entre la Moselle et la Nahe. La route s’est successivement appelée Hunsrückstrasse, Reichsstrasse 327, puis Reichshöhenstrasse. Sa construction est évoquée en toile de fond de la partie 4 du film Heimat…

Les ruines de la Baldenau

À Morbach, village d’origine d’Edgar Reitz, le réalisateur de Heimat, nous effectuons une courte pause au Café… Heimat, au pied de l’église (voir encadré «Arrêts gourmands»). Mais nous sommes impatients de découvrir le site de la Baldenau, à quelques kilomètres à peine. Les ruines de ce petit château moyenâgeux au bord de l’eau se visitent librement. Des panneaux, en allemand et en en anglais, informent sur le rôle tenu par le «Burg Baldenau» dans Heimat 1: à l’occasion d’un pique-nique familial, au tout début des années 20, Paul Simon réussit à y capter un concert retransmis par radio, avec l’appareil qu’il a construit de ses propres mains! Nous rejoignons à nouveau la B327. Ce n’est pas la montagne, d’accord, mais ça tournicote suffisamment pour se faire plaisir. Juste avant l’aéroport de Hahn, une ancienne base aérienne de l’OTAN transformée en un aéroport civil moderne, utilisé en délestage à celui de Francfort, nous empruntons la L190, pour dévaler vers Rhaunen, à travers un paysage de champs et de bois. Le temps d’une photo, nous marquons la pause près de Krummenau à proximité d’un ancien moulin à eau, le Schlossmühle, dont la roue tourne toujours. Les lieux sont devenus un hôtel-restaurant plutôt «chicos». On ne peut pas vous en dire plus: c’était jour de fermeture lors de notre passage (plus d’infos sur www.historische-schlossmuehle.de – avis à ceux qui cherchent une étape de charme dans la région!). À Rhaunen, l’hôtel de ville et son typique porche couvert à colonne, nous ramènent de nouveau à Heimat: c’est de Rhaunen qu’Eduard Simon devient Bürgermeister avant la guerre, pour plaire à son ambitieuse femme Lucie…

Schabbach, enfin… 

À la sortie de Rhaunen, nous empruntons un régal de route sinueuse qui évoquerait irrésistiblement une course de côte si le relief était un peu plus accusé. Reste que le plaisir de pilotage est intense avec un revêtement irréprochable, peu de circulation et de très nombreux virolos. Par Hausen, nous arrivons à Woppenroth (Schabbach), où ont été tournées de nombreuses scènes extérieures de Heimat. On retrouve notamment l’auberge et l’église. Mais hormis une pierre sculptée devant cette dernière, il n’y a pas grand-chose qui évoque le film, dommage. Il paraît que, par le passé, des panneaux «Schabbach» avaient été installés aux entrées du village mais qu’ils ont rapidement fait le bonheur de collectionneurs cinéphiles peu scrupuleux. Par Dickenschied, une route toute droite où la vue porte très loin nous conduit à Kirchberg. Le nombre de panneaux solaires sur les toits impressionne: le solaire, l’Allemagne y croit autant qu’à l’éolien. Ces deux sources d’énergie «verte» assurent aujourd’hui près de 15% de la production d’électricité en Allemagne. La petite ville de Kirchberg nous séduit. La Marktplatz est un vrai décor de carte postale. Ne ratez pas la pharmacie, dont les origines remontent au XVIIIe siècle et les maisons à colombages très (trop?) bien restaurées. La balade dans les ruelles avoisinantes vaut le coup, pour voir les nombreuses maisons anciennes aux formes parfois curieuses, comme la Heimathaus (au croisement de l’Eifelgasse et du Schülergasse) malheureusement en travaux actuellement. Sur la place même, l’inévitable glacier, une constante partout en Allemagne, et le non moins inévitable restaurant asiatique… C’est maintenant tout droit, ou presque jusqu’à Simmern, chef-lieu du «Kreis» Rhein-Hunsrück. Simmern c’est aussi la «grande ville» du film Heimat. C’est à Simmern qu’Hermann, le fils de Maria et Otto, va au lycée et que Pauline et Robert tiennent une horlogerie-bijouterie. Cette cité de 8.000 habitants est connue pour avoir accueilli de nombreux huguenots de Lorraine, d’Alsace et des Flandres, après la révocation de l’édit de Nantes, à la fin du XVIIe siècle. La Schlossplatz est agréable avec de l’animation et pas mal de possibilités de se restaurer… Une bonne étape!

De vallées en vallées

La direction générale de notre itinéraire s’infléchit à présent vers le sud-ouest. À peine remontés sur le plateau, nous nous arrêtons déjà. D’abord à la Nunkirche, sur le côté droit de la route, à l’entrée de Sargenroth. Le cimetière qui entoure l’édifice a la particularité d’abriter les sépultures des héros de Heimat. Un curieux mélange de réalité et de fiction. On aurait presque l’envie de se recueillir devants ces tombes, évidemment vides, de personnages imaginaires! Le tracé se fait ensuite plus vallonné et nous gratifie de quelques belles enfilades, tout ce qu’il a de réjouissant. On traverse ensuite Mengerschied, un village typique du Hunsrück, avec ses nombreuses maisons à colombages. Quelques kilomètres plus loin à peine, nous effectuons un crochet pour découvrir Gehlweiler où se trouve la maison de la famille Simon, avec la forge de l’autre côté de la cour. On se croirait vraiment dans le film! Un peu partout dans le village, des panneaux expliquent comme les bâtiments ont, à l’occasion du tournage de «L’Exode», été «maquillés» pour leur faire reprendre l’aspect qu’ils devaient avoir vers 1840. L’œuvre d’Edgar Reitz est vraiment omniprésente dans cette partie du Hunsrück…

Après ces séquences «nostalgie», il est temps de tourner la poignée dans le bon sens. Ça tombe bien, les routes vont se faire vraiment sinueuses. Nous suivons à présent le cours du Simmerbach, un affluent de la Nahe. Ce tronçon est une vraie gourmandise pour motard épicurien! À Simmertal, nous obliquons vers l’est pour suivre le cours de la Nahe, la route, plus large est nettement plus fréquentée et… contrôlée! Mais ça reste globalement plaisant. Aussi est-ce presque sans nous en rendre compte que nous arrivons à Idar-Oberstein. Cette ville de plus de 30.000 habitants, s’est spécialisée dans la transformation des pierres semi-précieuses et possède un musée qui leur est consacré. Les mines d’agate, jadis prospères, ont aujourd’hui fermé, mais la région est toujours un centre important pour le commerce des pierres de joaillerie. Idar-Oberstein est aussi connu pour sa Felsenkirche, une église «incrustée» dans le rocher: impossible de la rater lorsqu’on arrive dans la ville!

Il est à présent temps de penser au retour sur Trèves. Heureusement, les derniers kilomètres de cette BBB (ou plutôt BBA…) n’ont rien d’une punition. Quelques travaux nous ralentissent mais ce purgatoire ne dure pas. Nous renouons avec une belle campagne à partir de Tiefenstein, puis Katzenloh, où nous mettons résolument le cap à l’ouest. Nous recoupons la Hunsrück Höhenstrasse à hauteur de Thalfang, avant d’aller déguster les derniers virolos du côté de Beuren et Lorscheid. Rien de très particulier ici, simplement le plaisir de rouler sur de belles routes peu fréquentées où l’on apprécie la courtoisie dont les automobilistes allemands font preuve vis-à-vis des motards. Bonne route et prudence, toujours!


La trilogie Heimat

Heimat est une œuvre cinématographique hors norme, due à Edgar Reitz, qui s’articule en 3 volets. Le premier opus, divisé lui-même en 11 parties, retrace la vie de Maria Simon, de sa naissance en 1900 à sa mort en 1982. En 16 (seize!) heures de film, c’est toute l’histoire de l’Allemagne au XXe siècle qui défile devant nous, vécue par Maria, sa famille et les habitants du petit village de Woppenroth, rebaptisé Schabbach dans le film. Le deuxième opus, plus long encore (25h30!), s’attache au troisième fils de Maria, Hermann, qui, à 18 ans, quitte Schabbach pour aller étudier la musique dans le Munich des années 60 et y oublier un terrible chagrin d’amour. Heimat 3, enfin, est un film plus court (11h, tout de même…). Il débute en 1990 à Berlin où Hermann  retrouve Clarissa, l’amour de sa vie. Avec elle, il va revenir s’installer dans le Hunsrück, tandis que l’Allemagne, réunifiée, change profondément… Edgar Reitz a encore réalisé en 2013 «Heimat Chronique d’un rêve – L’Exode» qui raconte l’histoire de ces habitants du Hunsrück qui, entre 1842 et 1844, ont choisi d’émigrer en Amérique du Sud pour fuir la misère et se construire une vie meilleure.

La trilogie Heimat n’a rien à voir avec la plupart des films actuels et des séries télé où tout est «formaté» pour que le spectateur comprenne vite, sans faire d’effort. Dans Heimat «tout est vrai, sans artifice», écrivait le journal Le Monde. On ne peut mieux dire… Edgar Reitz prend le temps de poser le décor, de nous faire connaître puis aimer des personnages crédibles qui, comme dans la vraie vie, sont des êtres complexes, avec chacun leur part d’ombre et de lumière. Ces trois films, bien que relativement fleuves, réussissent le tour de force de ne présenter aucune longueur, ou presque. Vous avez dit paradoxe? Tout cela fait que quand on s’arrête «en vrai» devant la maison de la famille Simon, dans le village de Gehlweiler, on est quelque part ému, comme si on arrivait chez des gens que l’on connaît bien… Du très grand cinéma, à voir impérativement!


Carnet de route

– Trèves (Trier): Située sur la Moselle à quelques kilomètres de Waldrach, point de départ de cette balade, Trier est l’une des plus anciennes villes d’Allemagne. Ces origines remontent à la période romaine, ainsi qu’en atteste la fameuse «Porta Nigra», son monument emblématique. La ville, en partie piétonnière, se visite de préférence… à pied – le centre n’est pas très étendu – et a pas mal de choses à offrir. Ne pas manquer la maison natale de Karl Marx (Brückenstrasse, 10), la basilique, les thermes impériaux, les nombreuses maisons à colombages Renaissance et d’époque baroque, etc. Et pour les amateurs du genre, pourquoi pas un petit tour en bateau sur la Moselle? Plus d’infos sur www.trier-info.de.

– Le musée de l’aviation à Hermeskeil est ouvert de 10h à 17h, entre le 1er avril et le 1er novembre. Entrée: 9€. Vidéo de présentation (en allemand) sur le site web du musée.

Flugausstellung Hermeskeil, Habersberg 1, Hunsrückhöhenstrasse, 54411 Hermeskeil II, Tél.: +49(0)6503.7693, www.flugausstellung.de.

– Rhaunen: voir le Rathaus (maison communale), avec ses colonnes et son porche couvert. Rhaunen est le village natal d’Albert Kahn, architecte industriel américain promoteur du béton armé et connu pour avoir réalisé nombre d’usines automobiles aux États-Unis.


Se loger

Trèves et sa région ne manquent pas d’hôtels à tous les prix, de petites pensions de campagne sympas, de chambres d’hôtes (Zimmer frei) et de campings. Nous avons cependant eu toutes les peines du monde à nous loger. Sans le savoir, nous avions programmé notre reconnaissance dans les jours qui précédaient l’ADAC Rallye Deutschand, qui compte pour le championnat du monde des rallyes WRC. Autant dire que la moindre chambre était prise d’assaut et que les prix pratiqués s’en ressentaient. Nous avons finalement dégotté un petit hôtel confortable et tout ce qu’il y a de nickel mais sans grand caractère, le Keisers Hotel. Pas de restau mais une pizzeria (quelconque…) à côté. Accueil sympa et vraie volonté de rendre service: on nous a permis de mettre les motos à l’abri dans le local à vélos, sans nous faire payer aucun supplément. Attention, ça peut marcher pour 2-3 bécanes mais pas pour 10, c’est trop petit. Compter entre 63€ et 85€ la chambre, petit-déjeuner en sus (8€). Réservation facile par booking.com.

Keisers Hotel, Eurenerstrasse, 190a à 44294 Trier. Tél.: +49(0)651.810040,  www.hotel-keisers.de.

Nous aurions voulu essayer le Landgasthof-Hotel Simon, à Waldrach, juste au point de départ de notre road-book mais c’était complet, manque de chance. Voici néanmoins le site web, au cas où: www.landgasthof-simon.de


Arrêts gourmands

– Le Café Heimat, à Morbach, est un incontournable pour les fans du film, puisque toute la déco lui est consacrée. De plus, il est installé dans la maison des parents du réalisateur, Edgar Reitz, né dans le village. L’endroit est de toute façon l’occasion d’une halte agréable et de boire un coup, notamment d’excellents cafés du monde entier. Parmi les autres produits de la carte, des soupes régionales et des gâteaux «maison». Possibilité aussi d’acheter DVD et livres consacrés à la trilogie Heimat, mais en version allemande uniquement, semble-t-il… Ouvert du mercredi au dimanche, de 9h à 18h (10h à 18h le dimanche).

Café Heimat, Biergasse, 5 à 54497 Morbach. Tél.:+49 (0)6533-9588203, www.cafe-heimat-morbach.de.

– Au centre de Simmern, situé au point le plus à l’est de notre itinéraire, nous avons jeté notre dévolu, un peu par hasard il faut bien le dire, sur le restaurant Zeitgeist, et sa terrasse accueillante, bien abritée sous de grands parasols. Cuisine allemande traditionnelle avec des formules du jour à 10,90€ et 13,90€. Au habituels Schnitzels et autres plats en sauce, nous avons préféré, vu la température estivale, une excellente tarte flambée (7,90€), variante de celle qui fait la fierté de l’Alsace. Les lardons avaient cédé la place à des fines lamelles de jambon de la Forêt Noire et les oignons ordinaires à des petits oignons frais. Excellent et servi avec le sourire!

Café-restaurant Zeitgeist, Schlossplatz, 1 à 55469 Simmern. Tél.: +49 (0)67612914, www.zeitgeist-simmern.com.


Moyenne: 55km/h
Durée: 4h30
1 land traversé (Rheinland-Pfalz)
200km
16€