70 km/h en Flandre, une éclosion de radars en Wallonie, des sens interdits et des cassis partout… que reste-il de nos amours et, surtout, de nos plaisirs? Sur route, le pilotage est devenu austère. D’ailleurs, on ne pilote plus, on conduit un véhicule. Pour aller s’amuser, il faut s’expatrier ou quitter la voie droite, presque la droiture, pour les chemins de traverse. Eh bien puisqu’il faut du chemin de traverse, en voici!
Départ: place de Villers-le-Gambon. Rien d’intéressant à propos de ce patelin si ce n’est que, quelques centaines de mètres plus loin, vous pourrez remplir votre Camelbak à la source dite Fontaine au Moisny, du nom du très ancien propriétaire puisque remontant au XVIIe siècle. Profitez bien de cette eau car d’autres que vous l’achètent en magasin sous le nom de Villers Monopole. Une conduite relie la source à l’usine de mise en bouteille, un kilomètre plus loin.
Après vous être abreuvé d’une manière plus que respectueuse de la législation sur l’alcool au guidon, repartez sur cette route nouvellement asphaltée à travers bois. Très heureusement, le bitume se dégrade un peu plus loin puis se recouvre carrément d’une belle couche d’argile. S’il a plu, allez-y mollo.
Vous longez le ruisseau du Grand Pré, malheureusement pollué, entre autres, par les nitrates. Plus de poisson et parfois une odeur désagréable. Juste après un virage et un pont de béton en contrebas, une forteresse apparemment médiévale surplombe la route. Le château de Merlemont, avec ses petites tourelles et son emplacement surélevé, n’est pas sans évoquer les contes de Grimm ou de Perrault. Pierre grise et entretien impeccable gardent toute sa superbe à cette demeure privée néo-renaissance (origine: XIIe siècle ; état actuel: début du XVIIe siècle et XIXe siècle).
Vous rejoignez ensuite le village de Merlemont. Descente, petit pont, tout droit jusqu’à la rue Tienne Wérichet, indiquée comme un cul de sac. Quelques mètres d’asphalte et voici le premier chemin de terre, bordé de prés, comme il se doit. Attention, très grosse flaque d’eau ou très gros trou selon la météo des jours précédents.
Au bout du chemin, après le grand virage et une habitation en briques, une fermette en marbre rose attirera sans doute votre attention. Un carrier d’origine italienne, Guiseppe Zecchin, l’a construite. Il travaillait dans les carrières de marbre de la région et a donc paré son habitation du matériau qu’il avait à sa portée. Le marbre qui recouvre cette fermette comme, en partie, d’autres habitations est le même que l’on trouve au Louvre et à Versailles paraît-il ; du marbre de Rance. Enfin, n’hésitez pas à faire une rapide halte face à cette demeure, les nouveaux propriétaires sont des motards et aimeraient savoir si vous appréciez cette balade. Baste, continuons.
Une Chinelle pour vous
À la ferme castrale dite Ferme du Vieux Sautour, vous partez à droite pour une montée sur un bitume bien explosé. Plus loin, ça devient du vrai chemin: caillasse très légère et terre blanchâtre. Ça passe sans souci. Petit tournant en angle droit, ligne droite à travers les patates, petite portion de bitume et hop, à nouveau du chemin roulant. Traversée de la N40, direction Vodecée. Avant d’arriver au village, bifurquez à droite.
Vous traversez les dépendances d’une ferme. Il s’agit d’une servitude car le chemin très roulant continue au-delà. Attention aux traces laissées par l’agriculture, inutile de bourrer comme un malade, ce n’est pas un rallye! Retour à Villers-le-Gambon. Chapelle, petite route étroite, rase campagne. Après l’épingle à cheveux suivante, à une centaine de mètres, soyez attentif! Dans l’enclos à votre droite, paissent, sans dédain, des daims, di din l’pré.
Ensuite, la Chinelle vient titiller les évocations motardières. Vous la longez. Je parle du ruisseau et non de l’épreuve d’enduro bien connue, sise d’ailleurs en ces lieux. Et puisqu’il est question de Chinelle, continuons sur notre lancée: il y a l’épreuve, le ruisseau et aussi la bière. Brassée dans une microbrasserie devant laquelle vous venez de passer, la Chinelle se décline en plusieurs présentations et goûts. Loin de surfer sur la vague des bières régionales insipides, plus proches d’une vague pils que d’une bière digne de ce nom, la Chinelle est riche en goût et en arôme. Il y a la Black, la Scott, l’Ambre…
Ses concepteurs continuent la recherche de nouvelles déclinaisons sans pour autant jouer la facilité. Une des bières à goûter avant qu’il n’y en ait plus est la Sheriff, un brassin mêlé à du bourbon. Excellente. Mais à déguster après l’itinéraire car allez avoir besoin de toutes vos facultés…
Aventure à Omezée
Passés ces délires bachiques et houblonneux, la route s’élève via un bitume étroit et, merveille, se dégrade de plus en plus. Pour une fois que l’état des routes belges devient plaisant, ne crachons pas sur notre plaisir! La chaussée se transforme ensuite en un chemin empierré au bout duquel nous croiserons la rue de Curiat. Ici comme ailleurs, lorsque vous débouchez sur une route en arrivant d’un chemin, modérez votre vitesse car les gravillons, fréquemment présents à ces croisements, pourraient vous empêcher de stopper à temps face à un véhicule ou toute autre «surprise».
Après le carrefour, sol bien dur jusqu’Omezée. À la sortie ouest du village, vous vous retrouvez face à un chemin indiqué comme se terminant en cul de sac. Si ce n’est pas tout à fait vrai, ce n’est pas tout à fait faux non plus. C’est sur cette portion d’environ deux kilomètres que se situe la partie la plus technique de l’itinéraire. Si j’ai pu réaliser la traversée de cette portion sans me vautrer comme une bouse, je pense que je le dois plus à la chance qu’à une maîtrise totale de la 790 embarquée dans l’aventure (c’était d’ailleurs une Adventure R).
En outre, je ne suis pas certain que des machines de plus de 1.000cc puissent emprunter en toute décontraction ce sentier plus proche d’un exercice du GS Trophy que du chemin champêtre. N’hésitez jamais, comme nous le fîmes, à reconnaître à pied un passage délicat avant de vous y embarquer. Cela vous fera peut-être réfléchir et, éventuellement, vous permettra d’adopter la bonne réaction au bon moment.
Au début, en apéro, sensation caillouteuse. Plus loin, en amuse-gueule, ornières larges et herbes au centre. Ensuite, grosse gadoue et ornières très profondes. Entrée en lisière de forêt: descente sur terre meuble et grosses pierres disséminées de-ci de-là. Plat de résistance : ornières à nouveau profondes et passage d’un côté à l’autre de la sente. Dessert: pans de rochers obliques affleurant le chemin et obligeant l’équilibriste ou le motard à passer d’un côté à l’autre du chemin.
Cette dernière péripétie réussie, le reste passera comme une fleur. Durant le parcours, vous ne pourrez vous mettre debout sur les pose-pieds car de grosses branches – non, pas des brindilles – vous en empêcheront. Bref, il faudra pédaler comme un débutant. Et si vous souhaitez contourner ce passage délicat, rejoignez Soulme via Surice par la route.
Russes, Anglais & Allemands
Après le petit pont de Soulme, très belle montée avec gravillons à travers bois. Comme il s’agit d’une ancienne chaussée, vos pérégrinations restent en forêt et légales. Encore un bout de chemin à travers champs et arrivée à Agimont. Vous en conviendrez, il s’agit d’un très beau village: maisons en pierres, vieilles fermes, fontaines, pompes à eau. Cependant, qui dit belles maisons, dit pognon, et qui dit pognon dit syndrome «Nimby». C’est-à-dire: «not in my backyard», pas chez moi! Et donc, alors que nous vous avions concocté une petite descente sympa vers la Meuse, il a fallu se rabattre sur une petite ligne droite, sympa aussi, certes, mais droite tout de même, parce qu’à Agimont, un nouveau quartier s’est réservé un morceau de chaussée avec un beau panneau C3 (que je hais ces panneaux !) adjoint de «excepté tracteurs, vélos et cavaliers».
Bon, de toute manière ce n’est pas trop grave puisqu’il ne s’agissait que de bitume. Restez-y, sur le bitume, en ralliant Doishe puis en descendant vers Givet. La grosse marmite pointue que vous voyez sur le côté est une chapelle œcuménique. C’est-à-dire qu’elle est consacrée à plusieurs religions. Elle date du XVe siècle et a servi durant plusieurs guerres. S’y sont recueillis: des Russes (deuxième guerre franco-prussienne, qui appréciaient son style byzantin), des Anglais (Première Guerre mondiale) et des Allemands (Deuxième Guerre mondiale).
Continuez la descente vers Givet puis, si vous envisagez une halte culturelle, bifurquez à droite vers Charlemont (voir encadré), sinon, continuez tout droit. Il est l’heure de passer à table et pour ce faire, j’ai testé pour vous la Brasserie-Grill de l’Hôtel de Ville (voir où manger).
Une fois repu, direction Foisches en longeant la Meuse. J’aurais aimé vous faire passer par la Citadelle de Charlemont mais, si la route existe bel et bien, elle a toujours été fermée. Du temps des bidasses, c’était interdit et aujourd’hui, il n’est toujours pas question de l’ouvrir puisqu’elle ferait passer du monde par la citadelle, site désormais touristique avec entrée payante. De Foisches, chemin à travers champs pour rejoindre la Belgique. La frontière est marquée par une borne et aussi, comme d’hab’, par une différence dans l’état du chemin de part et d’autre.
Escapade en forêt
Retour sur la route Rimbaud-Verlaine et passage à Hierges. Très beau village médiéval, en retrait de l’axe principal marqué par la Meuse. Dans votre rétro, l’étonnant château de Hierges, oscillant entre ruines médiévales et briques renaissances, remonterait à un castrum du IXe siècle. Un temps appelé château de Jérusalem, il a connu les croisades, a été reconstruit plusieurs fois – dont la dernière au XVIIIe siècle – pour être détruit par des révolutionnaires en 1792. Propriété privée mais classée, l’édifice se visite de juin à septembre. Les jardins ont été remis à la sauce XVIe siècle.
Après cette dernière incursion dans un passé lointain, offrez-vous une descente en forêt. Retour le long de la Meuse. Traversée par le pont métallique de Vireux-Molhain. Grimpette sur route. Faubourg puis grosse baraque cossue. Attention passage technique! D’abord, ça ressemble à un beau gazon, puis ça s’enfonce dans le bois. Jusque-là, tout baigne. Ensuite, s’il n’a pas été déblayé, il faut contourner un chablis en passant sous des baliveaux quelque peu enchevêtrés. Mais «ça passe».
Au gros panneau jaune, un sentier se cache sous les fougères. Eh bien… c’est par là! Petite montée debout sur les pose-pieds, puis déambulation dans un paysage de l’ère primaire ; fougères à gogo sous les taillis. N’hésitez pas à reconnaître le passage à pied. Avant d’arriver à la route, bifurquez vers la réserve d’eau à droite car le sentier devant vous se termine par un fossé. Allez-y mollo car après la bute, il faut pouvoir freiner sur terrain meuble avant de rejoindre la chaussée. Ce chouette passage d’environ 500m à travers bois sera malheureusement le seul que nous ayons trouvé à vous mettre sous la gomme en terre française. Plusieurs autres escapades forestières se sont arrêtées net à cause, ici, d’un panneau «propriété privée», et là d’un autre indiquant «interdit sauf autorisation». Bref, en France, c’est permis quand ce n’est pas interdit. Mais cela semble souvent interdit…
Vallée mosane
Cela dit, un peu de macadam ne pourra que vous relaxer après les épreuves déjà remportées à coup de guidon depuis le début de la journée. En outre, la route des fortifications, celle que vous empruntez séant, ne s’avère pas des plus moche et elle s’est même vu dotée de quelques virolos pas piqués des hannetons, voire de l’une ou l’autre épingle à cheveux bien tordue. Que du bonheur!
Vous rejoignez la Meuse à Haybes avec un très joli point de vue depuis la rive gauche. Direction Fumay, tiens Fume, c’est du belge puisqu’on y retourne. Promenade en forêt, traversée de Oignies-en-Thiérache, puis re-forêt jusque Vierves-sur-Viroin. Superbe patelin adossé aux flancs de la vallée creusée par l’impétueuse rivière, Vierves-sur-Viroin fera peut-être aussi l’objet d’une halte restauratrice surtout si vous avez boudé celle proposée à Givet.
Le Petit Mesnil et, surtout, son patron vous y attendent. Ensuite, ce sera une gentille balade forestière et champêtre jusque Samart. Ici aussi, un nouveau quartier s’est réservé une portion de chemin touristique mais peu nous en chaut car en prenant à droite juste avant Samart puis en remontant le chemin le long de la prairie, on évite l’interdiction et on ne retrouve un de ces horribles panneaux qu’à la sortie, à notre gauche et donc sans effet.
Amusez-vous sur cette dernière montée de grosses caillasses puis de terre avant d’arriver au terminus, sur la place de Philippeville. Là, si la ville n’est pas encore touristiquement morte, vous trouverez certainement une terrasse où vous remémorer les péripéties de la journée.
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Itinéraire
Difficulté: deux passages techniques, le premier, très difficile au départ d’Omezée. Toute la partie belge de cet itinéraire a été proposée à la DNF, dont nous avons reçu l’avis favorable. En ce qui concerne la France, la circulation en forêt y est autorisée mais nous nous sommes retrouvés maintes fois face à des panneaux d’interdiction ou indiquant une forêt privée. De plus, les chemins ouverts sont étrangement et fréquemment barrés d’arbres tombés et laissés là, un peu comme par hasard. Lors de la reconnaissance de ce parcours, il faisait chaud et sec depuis deux jours. Certains passages étaient donc encore gras mais point trop. Nous ne vous conseillons pas de vous aventure sur certaines parties de cette balade trail le lendemain d’une grosse averse ou, pire, sous la pluie.
Longueur: 120km
Partie trail: 30% à 40%
Durée: une journée
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À visiter
– Fort de Charlemont
Infos: www.charlemont-citadelle-de-givet.fr ou +33/3.24.56.96.87.
– Château de Hierges
Infos: https://www.chateaudehierges.com ou +33/3.24.42.92.42.
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Où manger
– Brasserie-Grill de l’Hôtel de Ville, place Carnot, 10 à 08600 Givet, France (+33/3.24.42.06.36). La patronne apporte à la restauration française cette chaleur qui bien souvent lui manque. L’entrecôte grillée (17€) à point avec sa sauce au poivre ou la côte à l’os pour deux personnes (55€) valent, à elles seules, le déplacement. Décor Art Déco, terrasse, parking avec vue sur la bécane depuis l’établissement.
– Le Petit Mesnil, rue de la Chapelle, 7 à 5670 Vierves-sur-Viroin (060/39.95.90), est un restaurant typique qui vieillit dans son jus, son patron est aussi typique, un Ardennais comme on les aime. Tentez l’expérience de la truite meunière (13€) et vous m’en direz des nouvelles. L’établissement fait aussi hôtel (1 étoile, de 30€ à 80 € la nuit donc ne vous attendez pas au service du Sheraton).
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Où loger
– Ibis Budget, route de Beauraing, 08600 Givet, France (àpd 45€ la nuit).
– Les Reflets Jaunes, rue du Général de Gaulle, 24 à 08600 Givet, France, 3 étoiles (+33/3.24.42.85.85). Du luxe et du raffinement (nuitée de 58€ à 118€). Hangar prévu spécifiquement pour les motos.
– Le Petit Mesnil, voir Où manger.